Pour accueillir les gens du voyage, la métropole choisit une ancienne casse sous l’autoroute
Très en retard sur le nombre d'aires d'accueil des gens du voyage dont elle dispose, la métropole Aix-Marseille-Provence vient de relancer un projet à La Ciotat. Comme souvent, le terrain choisi est très excentré et en proie à de nombreuses nuisances. L'aire ne devrait pas ouvrir avant 2026.
Le site choisi comportait de nombreux points dénoncés par les associations de gens du voyage. (Photo : Loeiza Alle)
C’est un trou de verdure où sifflent une voie ferrée, une autoroute et une départementale. Les herbes y sont folles, séchées par le soleil de juillet. Elles envahissent l’ancienne carrière de granulats, coiffée de pins et bordée d’imposantes falaises, dont certains éboulis sont retenus par de fins grillages. Çà et là, un bidon rouillé, un morceau de carcasse de voiture, un vieux pneu, seuls témoins du passé de casse automobile du lieu. À l’entrée, le portail métallique est couvert de larges panneaux, qui annoncent une tout autre ambition : ce sera une aire d’accueil pour les gens du voyage. Ici, au vallon de la Forge, au milieu des bois, à 50 mètres du parc national des Calanques et au bord de la route entre Cassis et La Ciotat.
Des craintes de pollution
Sur les panneaux, le temps a effacé les détails du projet. Il faut dire que celui-ci fêtera bientôt ses vingt ans. Remisé dans les cartons plusieurs années durant, il vient d’être relancé. Mais aujourd’hui comme hier, l’emplacement choisi ne satisfait pas du tout les associations représentant les gens du voyage. L’ancienne activité de casse automobile, notamment, fait craindre la présence de polluants dans le sol. Autre source d’inquiétude : les nuisances sonores occasionnées par la proximité immédiate avec le trafic routier et ferroviaire. La carrière se situe en effet à quelques mètres du péage de La Ciotat, de la départementale 559 et de la voie ferrée.
“À l’époque, nous avions déjà alerté sur des risques sanitaires, sans avoir de réponse”, se souvient Marie Winterstein, administratrice de l’association nationale des gens du voyage citoyens (ANGVC), qui participe notamment à la commission départementale consultative des gens du voyage. La voyageuse dit n’avoir pas été informée de la relance du projet en 2019, et juge ce choix toujours aussi risqué. “Cet emplacement est dangereux, au niveau des falaises, des bruits et des émanations de gaz potentielles. Pourquoi cet endroit serait-il bon pour nous et pas pour les autres ? Nous demandons une étude claire afin de savoir si cet endroit est sain.” Dès juillet 2013, dans un document préalable à l’étude d’impact, la Soleam, société publique chargée du projet, assurait qu’après dépollution de la casse, une étude n’avait révélé aucune présence de polluants. Concernant le bruit, elle mentionnait “l’instauration de marges de reculement le long des axes” prévues par le plan local d’urbanisme, “respectées par l’implantation du projet”.
À six kilomètres du centre-ville, sans transports en commun
Il faut toujours se justifier pour avoir accès aux droits, alors que nous sommes des citoyens comme les autres.
Marie Winterstein, administratrice de l’association nationale des gens du voyage citoyens.
Ce qui fait encore davantage tiquer les associations, c’est l’isolement de cette aire, située en pleine forêt, à 6 km environ de La Ciotat, sans desserte par les transports en commun. Pour les associations, la localisation est loin d’être un détail dans l’accès aux services, à la scolarisation, aux soins ou encore au travail. Caroline Godard, de l’association Rencontres tsiganes, décrit le vallon comme un “lieu de relégation” de plus. Pour elle, ce qui préside aux choix des emplacements ce sont surtout “les réactions d’hostilité des riverains, qui font que les élus n’aiment pas se saisir de la question”. Quand elle évoque cette mise à l’écart, la voix de Marie Winterstein, voyageuse depuis toujours, se teinte de lassitude. “Il faut toujours se justifier pour avoir accès aux droits, alors que nous sommes des citoyens comme les autres.”
Interrogée à ce sujet, la métropole préfère mettre en avant la proximité avec les voies de circulation comme “un accès pratique pour les gens du voyage”, et indique que “des solutions seront étudiées notamment pour ce qui concerne le transport scolaire”. L’institution justifie cet éloignement par “des difficultés à trouver du foncier “disponible” dans la zone littorale du territoire”. Et se veut rassurante : “Des études ont démontré la capacité de ce site à accueillir ce type de programme”. La majorité des lieux d’accueil dans le département sont effectivement situés sur des lieux isolés et/ou pollués, dont l’aire de Saint-Menet, située dans une zone à risque industriel “Seveso”, est un exemple patent. L’accès à la scolarité y est aussi problématique.
Un casse-tête depuis vingt ans
Soutenu à l’origine par la mairie de La Ciotat, ce projet d’aire est né dans les années 2000, dans le sillage de la loi Besson qui impose aux communes de plus de 5000 habitants de proposer au moins une aire permanente d’accueil. Malgré ses 35000 habitants, La Ciotat ne s’y est pas encore pliée. La zone du vallon de la Forge était pourtant identifiée dès 2002 dans le premier schéma départemental d’accueil des gens du voyage, pour 50 emplacements. Le terrain en question est réservé à cet usage depuis 2006.
L’aménagement du lieu demande de composer avec des bois classés et des espèces protégées. En 2016, jugé trop coûteux, le projet avait été abandonné.
Ce n’est finalement qu’en 2012 qu’une convention est signée entre la commune de La Ciotat et la Soleam. Dans la foulée, les demandes d’autorisation diverses et variées s’enchaînent, car le projet est situé en pleine zone Natura 2000 et à quelques mètres d’une zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique. Sur les 10 hectares de la zone, le projet implique de défricher sept hectares de bois classés. La présence d’espèces protégées achève de complexifier le dossier, qui est mis au placard à partir de 2016, comme le rapportait à l’époque La Marseillaise. Motifs invoqués : la complexité des aménagements, le coût du projet ou encore le transfert de cette compétence d’aménagement à la métropole Aix-Marseille-Provence qui se mettait alors en place.
Pourtant, c’est cette même métropole qui relance le projet fin septembre 2019. Il faut dire qu’à la même époque, la cour d’appel administrative la somme de se mettre en conformité avec la loi et d’ouvrir les trois aires d’accueil prévues dans les communes qui entourent Marseille – une procédure inédite en France. Depuis le 14 juin 2021, les appels d’offres pour la réalisation des travaux du vallon de la Forge sont clôturés. Qu’importent les contraintes du site : la métropole a jeté son dévolu sur ce bout de forêt.
Mise en service prévue en 2026
La collectivité indique à Marsactu que “des travaux de terrassement ont déjà commencé”. Mais le projet pourrait bien s’embourber une fois de plus. La mise en service est aujourd’hui prévue “en 2026“, du fait de la durée des travaux et des délais liés aux permis et études en cours. Entre-temps, le budget est passé de 3,6 millions d’euros en 2013 à 6 millions. “L’avant-projet, lorsqu’il sera élaboré, sera présenté aux associations agréées”, précise la métropole au sujet de la future concertation.
Aucun nouveau schéma départemental n’a été réalisé depuis 2012 dans les Bouches-du-Rhône, alors qu’il devrait être renouvelé tous les six ans. En 2021, la proportion des places prévues dans le schéma actuel effectivement réalisées n’atteint pas 50 % des objectifs, loin derrière la moyenne française de 77 %, selon le ministère de l’Écologie. D’ici là, à La Ciotat, les gens du voyage devront continuer de chercher d’autres espaces. Au fil des années, certains s’étaient installés près de la caserne des pompiers, sur un parking de centre commercial, ou encore sur un terrain dans la zone industrielle Athélia. C’est là que le 9 avril 2021, sur une requête de la maire de La Ciotat Annette Salvo, 100 CRS avaient chassé la cinquantaine de caravanes qui s’étaient installées là.
Marie Winterstein, elle, ne veut pas lâcher l’affaire. Avec son association, elle compte visiter l’aire et demander des études précises. Et la voyageuse de philosopher : “Nous ne sommes pas là pour envahir, nous sommes de passage. Alors nous allons plus loin et nous essayons d’être chez nous. Malgré les barrières.”
Commentaires
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Le but est bien “qu’ils aillent plus loin”, une façon pour une municipalité de se “débarrasser” du “problème”…
Rien n’est fait pour qu’ils soient intégrés à la vie de la commune, on les tient à l’écart, mais on va leur reprocher “de ne pas s’intégrer”…
On ne les traite pas comme des citoyens du pays. On les sépare de la communauté nationale.
Sous prétexte qu’ils ont un mode de vie nomade, non conventionnel.
Les sédentaires sont ils mieux acceptés ??
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Les photos du lieu où l’on veut reléguer ces êtres humains, vallon encaissé entre des falaises de pierre, me rappellent la Vallée des Lépreux à la fin de Ben Cyr. Coïncidence ?
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6 millions d’euros pour satisfaire l’hostilité des riverains et peut-être électeurs!!!! La démagogie n’a pas de prix à la Métropole ?
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J’apprécie la référence à Rimbaud 🙂
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