Les boîtes de nuit se préparent à sortir de l’ombre
On la dit endormie et sans surprise. La vie nocturne à Marseille est rarement un feu d'artifices mais plutôt un hasard de rencontres, de rendez-vous d'initiés et parfois de fêtes sauvages improvisées. À l'aube du retour des discothèques, Iliès Hagoug s'est intéressé aux derniers préparatifs après quinze mois de fermeture.
Au Cabaret aléatoire, la programmation a été adaptée pour tenir durant les mois de fermeture.
La vie festive à Marseille est-elle revenue à la normale ? Si l’on se réveillait d’une sieste débutée en janvier 2020, on pourrait presque y croire. Les terrasses sont blindées, la fête de la musique a eu lieu et les livreurs se sont remis à galérer dans les embouteillages. L’été festif est bien là, avec les playlists foireuses, les habits aussi courts que pleins de sueurs et les serveurs résignés qui le caractérisent.
Jusqu’à environ une ou deux heures du mat en revanche. Dans tout ça, on aurait presque oublié qu’il existait un temps que les moins de 18 ans ne sont pas censés connaître. Un temps qui ne vit aujourd’hui que par les Homère modernes, qui relatent en terrasse des histoires abracadabrantesques, gonflées, réécrites par plusieurs auteurs, que la majorité de l’audience a déjà entendues. Un temps où après la fermeture des bars, des établissements commençaient seulement à ouvrir. On les appelait clubs, boîtes, discothèques, after.
Ils étaient un symbole. Qu’importe l’heure, qu’importe le portefeuille, qu’importent les échecs : la soirée peut toujours continuer. Dur à imaginer, dans une année 2021 où la personne qui propose un appartement avec une enceinte devient vite un prophète de l’après minuit, vite suivi par de nombreux apôtres.
Une réouverture, mais plusieurs réalités
Il semblerait pourtant que d’ici peu, ces établissements puissent sortir de l’obscurité administrative et sanitaire pour revenir dans l’obscurité de l’ébriété. L’annonce est venue sur Twitter, par le ministre délégué aux PME : “Les discothèques, c’est ce dernier secteur de notre économie qui n’était pas rouvert. C’est désormais acté, rendez-vous sur la piste de danse à partir du 9 juillet”. Cette fois, c’est la bonne : même Jean-Roch fait le tour des plateaux télé pour le dire, c’est dire si c’est officiel.
Parmi ces endroits, il en est un qui sert de cadre à bien des poèmes. Le Cabaret aléatoire, au pied de la Friche, a poussé de nombreux publics à se rendre aux portes du troisième arrondissement, même certains qui habituellement ne passent jamais la frontière de la rue Breteuil.
Aujourd’hui, par la force des choses, la fête est partout. Mais seuls les professionnels sont tenus à des standards qui ne correspondent à aucune réalité …
Pierre-Alain Etchegaray
Pierre-Alain Etchegaray, directeur et fondateur de la salle, a appris il y a quelques jours, en même temps que le reste de la France que l’État se souvenait des clubs et salles de concert. “C’est toujours pas très clair, on attend un décret pour savoir ce qu’on est censés faire : passe sanitaire, bar assis, masques … C’est d’une complexité inimaginable, et les infos sont insuffisantes”. Rapidement, la décision a été prise de ne pas rouvrir tout de suite, notamment le Club Cabaret, format du vendredi incontournable pour la fête et la création musicale électronique à Marseille. “En début d’année, étant donné qu’on n’avait aucune visibilité sur la réouverture, on a mis en place des chantiers qu’on a habituellement pas le temps de traiter : de la création musicale, des rencontres entre professionnels, des tables rondes. On a surtout programmé énormément d’événements à l’extérieur cet été, puisque c’est ce qu’on nous a poussés à faire.” Au théâtre Silvain, sur le toit de la Friche, le Cabaret s’exportera donc. “Même si on est dans le même bateau, nous ne sommes pas qu’un club. Je suis ravi pour toutes les boîtes puissent ouvrir, mais j’attends de voir ce que ça va donner et voir qui va survivre. Aujourd’hui, par la force des choses, la fête est partout. Mais seuls les professionnels sont tenus à des standards qui ne correspondent à aucune réalité …”
“On compte les blessés”
Qui va survivre, c’est bien une question qui se pose. En février 2021, les syndicats tiraient déjà la sonnette d’alarme, estimant que près d’un tiers des discothèques ne survivraient pas à la crise sanitaire. Aurélien Dubois, président de la chambre syndicale des cabarets artistiques et discothèques, le voit aussi : “On compte les blessés. Même si depuis novembre 2020, les établissements de nuit ont été aidés à hauteur de 80 %, symbole que l’État a quand même soutenu, la situation est une preuve du manque de compréhension de notre milieu”. À Marseille particulièrement, le mode de sortie a changé ses dernières années. Les récits d’apéro devant un concert côtoient ceux des afters en PMU.
Le mot discothèque, qui est pour l’État une classification globale désignant tout lieu où faire la teuf au plus profond de la nuit, n’est plus tout à fait adapté. “Le secteur est très divers, de plus en plus transversal. Et les difficultés à la réouverture sont nombreuses : le personnel qualifié s’est souvent reconverti, et tout rouvrir en 10 jours semble compliqué. Les plus fragiles sont les projets souvent jeunes, qui veulent être sur des modes de fêtes actuels et ont de fortes charges. Les discothèques plus classiques, lieux de vie standards souvent hors des centres urbains, quant à elles, ont laissé passé l’orage pour la plupart.”
La nuit et le “black”
À Marseille, le changement du secteur de la fête est frappant sur ces dix dernières années. Avec un public plus large et demandeur, de nombreux lieux ont émergé. L’un d’entre eux, sans être symptomatique ou représentatif du milieu, était résolument nocturne et avait connu une explosion de sa fréquentation. Le patron veut rester anonyme, parce qu’il a beaucoup à dire : “Pas un euro, du jour au lendemain. Tu t’imagines toi ? Pas un euro. Les clients nous voyaient rentrer beaucoup d’argent, et oui, je vivais vraiment correctement. Mais j’avais beaucoup de frais, et quand les clients ont disparu, les frais sont restés”. Pas un euro, car les aides demandent une rigueur administrative. On met là le doigt sur la plus grande source de controverse de tout le milieu de la nuit, devant la drogue, devant le sexe, devant les bagarres : l’argent au noir.
J’étais blindé tout le temps. Ça m’a un peu dépassé.
Un patron de lieu nocturne
“Bien sûr que je faisais du black. J’avais un établissement qui était prévu pour tourner avec une certaine jauge, et j’étais blindé tout le temps. Ça m’a un peu dépassé. Et puis je vais te dire, à part à la sécurité parce qu’on rigole pas avec ça, je te mets au défi de trouver des gens qui déclarent tout. Ça arrange tout le monde, et j’ai même des serveurs qui demandaient à ne pas avoir de contrat. Même l’URSSAF le sait.”
De nombreux patrons ont tenu ce discours au fil des années. La nuit est sulfureuse, ses acteurs le sont souvent aussi. Mais lorsqu’on joue avec le feu, on s’imagine beaucoup de choses : police, fermeture administrative, salariés mécontents et autres mésaventures. On imagine mal qu’un petit virus sorti de nulle part, qui en fin 2019 est moqué, comparé à un rhume, puisse devenir la pierre dans l’engrenage.
Un caillou juste assez gros pour arrêter toute la machine et pousser à trouver des solutions pas vraiment légales. “J’ai toujours été correct avec tout le monde moi. L’État, c’est mon associé dans tout ce que je fais, crois-moi il s’y retrouve largement. Mais voilà le virus et je me retrouve dedans. Je connais pas mal de gens dans mon cas, et on a toujours été considérés comme des voyous. Alors écoute-moi, je te le dis franchement, quitte à être considéré comme ça, autant survivre. S’il y avait pas la mâche [la cocaïne, ndlr], je serais pas là en train de te parler”.
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