[Sorties de crises ] Pour les journalistes, raconter le réel sans le présentiel
Alors que le déconfinement s'amorce, que garderons-nous de ces mois suspendus par la pandémie ? Le documentariste et auteur Michel Samson, a proposé à Marsactu de traquer les petits et les grands changements dans nos quotidiens. Le dernier épisode de la série est consacré à une profession qu'il connaît bien, pour l'avoir longtemps pratiquée.
Une conférence de rédaction chez Marsactu. (Photo Michel Samson)
Cette dernière chronique printanière essaiera de comprendre ce que les journalistes, qui ont vécu les embarras des confinements pendant une année, garderont de cette expérience inédite. Conférences de presse, réunions publiques et institutionnelles en visio, évènements impromptus inaccessibles, décisions majeures apprises par téléphone. Et bien sûr conférences de rédaction en Zoom, bavardages devant un café impossibles : le travail collectif, base de tout journalisme sérieux même quand les articles sont signés du seul auteur, a presque disparu, remplacé par les échanges en visio qui détériorent les relations humaines
Pour les éditorialistes qui se passent du travail sur le terrain, rien de neuf : ils savent parler de tout sans rien savoir d’autre que ce qu’ont écrit ou filmé les journalistes ordinaires – les vrais.
Pour les secrétaires de rédaction et alii, occasionnels ou permanents, qui précisent une référence, corrigent une faute d’orthographe, titrent les papiers pas de changements prévisibles non plus : leur travail n’est pas sur le terrain et leurs échanges avec les auteurs sont toujours rapides. Ils agissent vite, après le rendu d’une copie arrivée juste à temps – ou en retard…
Premier constat de Lisa Castelly de Marsactu : “On a tous travaillé à distance, ça fait perdre de la dynamique même si ça nous a fait comprendre – à Marsactu en tout cas – qu’on était envahis par le boulot. Ça nous a appris beaucoup sur ce terrain personnel. Je ne sais pas ce qui restera de ça”. Avant d’expliquer ce qu’elle craint : “Pour le travail avec les sources, on en apprend beaucoup en croisant les gens, en traînant après la conf de presse. Or il n’y avait plus ces rencontres inattendues, ces zones floues qui sont majeures pour comprendre ce qui a été dit – ou délibérément oublié. Il va falloir retisser tout ça, c’est pas évident“. Avant d’ajouter : “Dans les écoles de journalisme on dit : ‘Ne pas avoir de chance est une erreur professionnelle’. Forcément, dans un monde sans imprévu, c’est plus difficile”. Elle souligne alors que les décideurs politiques ont pu “maîtriser encore mieux leur communication parce qu’avec les conf’ de presse en Zoom, c’est facile de ne pas prendre ta question, tout est bien encadré”. Elle craint que “les nouveaux élus en profitent pour continuer ainsi”.
J’ai d’ailleurs constaté que le maire Benoit Payan utilisait volontiers les réseaux sociaux, cette communication à sens unique qui gomme les aspérités ou les contradictions que les journalistes ont pour tâche de relever.
“Sur le terrain sanitaire les institutions nous ont ouvert les portes comme jamais”
Jean-François Giorgetti, de France 3 Provence Alpes, est d’accord sur ce point. Et il craint que ce pli ne soit pris… Lors des confinements la télévision locale a rencontré beaucoup de gens. “On a toujours fait ça dans les locales. Il n’y a pas eu beaucoup de changement sur ce point, sinon que les gens étaient très contents de nous voir – même de venir chez nous. Et sur le terrain sanitaire les institutions nous ont ouvert les portes comme jamais alors qu’en général ça passe par des agences ce com’ “. Il ne sait pas si ça va durer : “C’est trop tôt pour le savoir”.
David Coquille, de La Marseillaise, a apprécié de pouvoir travailler chez lui. Il considère que les réunions sont souvent “chronophages”, même s’il est content de revenir au siège en ce moment. “Ça fait du bien de se retrouver à la réunion du matin” mais “juste après, je me casse”. Michel Henry, journaliste indépendant basé à Marseille, mais travaillant pour XXI, Les Jours ou Mediapart a, au contraire, déploré l’absence “des conf’ de rédaction où on se côtoie, on va boire un coup ensemble. Avant on râlait d’aller à une énième réunion, là on s’en réjouira“. D’autant que “le chef, par essence, a toujours envie que ses troupes soient à portée de vue. Ça c’est fini”, poursuit-il.
Coquille, funambule de la Toile, a pu trouver des avantages : il s’était débrouillé lors du récent confinement pour assister une réunion de presse en visio sur le foncier à laquelle il n’était pas invité, intrusion qui réjouit celui qui n’aime pas les réunions officielles. “On s’est incrustés avec Marsactu”, qui n’était pas non plus invité. Avec cette inlassable curiosité, ingrédient de base du travail de journalisme, il rappelle aussi que cette étrange année “a été historique [il souligne le mot] : on n’avait jamais vu ça ! On n’a même découvert des trucs”, se souvient-il à propos d’une enquête qu’il a faite sur les déchets hospitaliers.
Cela résonne avec ces propos de Lisa Castelly, qui peut aussi être optimiste : “Ce qui est nouveau, c’est qu’avec la crise sanitaire, beaucoup de gens se sont intéressés à la chose publique, ils se sont rendu compte que les décisions les concernaient. Peut-être que cet intérêt rendra le travail journalistique plus important pour eux”. Elle conclut quand même : “C’est un pari, bien sûr”.
La suite dans une autre chronique, dont la réalisation n’a, elle, pas beaucoup changé : elle reste agréable à écrire.
Toutes les précédentes chroniques de Michel Samson sont à retrouver ici.
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