Les croûtes aux morilles d’Angel Page
Pour Marsactu, Malika Moine va à la rencontre des gens dans leur cuisine et en fait des histoires de goût tout en couleurs. Pour cette première rencontre en cuisine après le confinement, elle nous conte l'histoire d'Angel Page et de ses croûtes aux morilles jurassiennes.
Les croûtes aux morilles d’Angel Page
J’exagérerais un peu si je disais que je connais Angel depuis qu’il est tout petit car et d’une, il a aujourd’hui 29 ans et je ne suis pas si vieille, et de deux, je l’ai juste croisé quand il sortait de l’enfance et entrait en adolescence. À l’époque, j’étais remplaçante cuisinière au cirque Plume et c’est beaucoup avec sa tante, la Sof, comme on dit dans le Jura, que je partageais la cuisine du cirque et l’amour de la gourmandise. Je me souviens avoir goûté ma première croûte aux morilles dans un resto italien de Besançon, avec Sof et une partie de la famille. Angel en était.
Depuis, les années ont passé et Angel a fait ses études de médecine à Marseille. Aujourd’hui, il officie au château en santé de Kallisté. Sof m’a dit qu’il avait fait une croûte aux morilles terrible au repas de famille de Noël et c’est pourquoi je lui ai proposé de me livrer une recette de son Jura natal.
Je me rends chez Angel, depuis Malmousque, un après-midi, après avoir été témoin d’une scène très désagréable de racisme ordinaire. Je le croise rue d’Endoume, il fait ses dernières courses pour le repas de ce soir, quelques tomates chez le primeur et de la chair à saucisse chez le boucher. Il habite une petite rue escarpée, au deuxième étage d’un immeuble qui n’a pas fini de m’étonner. Avant de se rendre aux fourneaux, on descend au jardin, commun à tous les habitants. En contrebas dans les petites remises du bout du jardin, un atelier de bricolage et un studio de musique. Une grand table au premier niveau, à côté d’un vrai compost. Il fait bon (vivre) loin des tumultes urbains… Je questionne Angel sur sa famille, dont j’ai entendu des bribes d’histoires de la bouche de sa tante, Sof.
Histoires de famille
Il faut quand même dire que Sof est une merveilleuse conteuse, dépositaire d’une mémoire à travers laquelle les histoires de chacun deviennent de prodigieuses aventures. Chaque personne est transformée en personnage de roman dont la vie rocambolesque prend des allures mythiques. Angel m’apparaît donc en petit-fils d’une lignée étonnante venue pour une part d’Italie dans des temps antiques, il y a une poignée de générations, et les suivantes se sont arrêtées en Tunisie, avant d’aller s’installer dans le Jura.
Son arrière-grand-père maternel fut médecin pendant la Grande guerre et le carnet de notes qu’il a laissé ressemble à un carnet de voyage. Son grand-père et sa grand-mère maternel-le-s étaient médecins aussi, tout comme son père. Angel me parle de son aïeule paternelle, la Lulu de Mouthe : “Ma grand-mère tenait un resto, moi je l’ai pas connu mais Antoine (son grand frère, ndlr) en a de bons souvenirs. C’était le seul hôtel-restaurant du village et ils faisaient la bouffe pour tous les ouvriers et les gens du coin. Mon grand-père, Bernard, a cuisiné jusqu’à la fin sur sa cuisinière à charbon. Il faisait la croûte aux morilles mais c’est pas un truc qui se passe de générations en générations, c’est un truc exceptionnel, comme le poulet au vin jaune. Ma grand-mère cuisinait bien mais plus à la fin, elle était vieille -elle est morte à 99 ans. Ses grandes spécialités était la soupe de poireaux et le tiramisu.”
Je m’étonne et m’enquiers de la recette de la soupe, heureuse qu’il lui ait toutefois préférée celle de la croûte pour ce soir. “C’était tout simple, des poireaux et des patates, et tu rajoutais la crème à la fin dans l’assiette… elle était hyper bonne et ce qui est étonnant, c’est que personne n’a jamais réussi à la refaire !”.
Cuisines de famille
Je reste sur ma faim, je voudrais d’autres recettes, des récits, j’ai entendu des années Sof me raconter les interminables repas de Noël, je veux en savoir plus ! “Ma grand-mère maternelle Jacqueline faisait systématiquement poulet patates et flan au dessert. Elle massait le poulet à la harissa et faisait des entailles sous la peau pour le bourrer d’ail. Elle faisait sauter les patates à la poêle dans beaucoup d’huile à feu très fort. Inégalable. La cuisine était genrée, mon grand-père, Jo, faisait des palets, des dames et c’est tout. Ma mère cuisinait à la bonne franquette mais c’était bon. Je fais encore ses bricks à l’œuf à la tunisienne : tu fais cuire à la poêle de l’oignon avec du persil et un peu de flotte et hop ! Le repas de fête c’était les lasagnes à la viande parce que les végétariennes, elle les a toujours foirées ! Mais ma mère c’est comme la Sof, elles peuvent faire à manger pour quarante personnes pour quarante balles en quarante minutes… je sais pas d’où elles tiennent ça. Mes origines pied-noires, ça correspond uniquement à ma mère qui disait de ma grand-mère « Chez nous, à Tunis » Elle était arrivée à 20 ans à Besac. Dans la file d’attente pour s’inscrire en fac de biologie, elle avait rencontré une fille qui lui avait dit « c’est nul la biologie, inscris-toi plutôt en médecine ! » Et c’est là-bas qu’elle a rencontré mon grand-père, Jo.”
Bouffe à l’obsession
A quoi ça tient, la vie. Il ajoute : “Je cuisine de manière obsessionnelle, comme mon père qui avait deux recettes à son actif : riz-pommes-noix quand il était tout seul et poisson papillote sinon. Moi, cet hiver j’ai mangé tous les jours du riz, sauce soja, salade d’endive. L’été dernier, je cuisinais des poivrons, aubergines ail et en ce moment, je fais des tomates farcies. D’ailleurs, j’en fais pour ce soir…” Ça tombe bien qu’on en parle parce qu’il est temps de remonter cuisiner.
Pour les proportions un peu plus précises de la recette pour six personnes, voilà :
– 90 ou 100g de morilles sèches -que vous pouvez donc remplacer par d’autres champignons secs
– 500g de champignons de Paris si vous voulez rallonger
– 150g de beurre : 50g pour faire revenir les champignons et 100g pour faire le roux
– 100g de farine pour faire le roux
– 50cl de crème fraîche
– Sel et poivre
– Certains ajoutent aussi une petite lampée de savagnin, ce délicieux vin du Jura, dans le roux…
– Du pain : Angel a pris de la baguette mais vous pouvez lui préférer un bon pain de campagne…
Vous pouvez aussi faire revenir 1 ou 2 échalotes avec les champignons
Bon appétit !
Angel a mis les champignons secs à tremper dans un grand saladier d’eau froide le matin-même mais il commente : “J’ai pas anticipé, il vaut mieux les mettre la veille”. Tout en éminçant des champignons de Paris pour rallonger les champignons secs car finalement, en plus de son coloc’, de ses voisins et de ma petite famille, d’autres ami-e-s sont conviés, Angel raconte : “Cette recette, je la tiens de gauche et de droite. Les champignons à la crème, tout le monde en fait mais si tu fais un roux, c’est tout con et vachement meilleur…”
Il fait revenir au beurre les champignons de Paris jusqu’à ce qu’ils dorent, puis, il ajoute les champignons secs et de l’ail émincé dans une grande gamelle en gardant l’eau de trempage pour faire le roux à part. “Je fais le coup classique des jeunes pour le roux, je regarde sur internet…”
Morilles, cèpes ou chanterelles
Il fait fondre du beurre, ajoute ce qu’il reste de farine dans le placard, l’équivalent de 2-3 cuillère à soupe mais il en aurait bien mis davantage. Il touille jusqu’à ce que ça fasse une pâte et ajoute progressivement l’eau de trempage des champignons en mélangeant. “Le seul problème de cette recette quand t’es en ville c’est les champignons… C’est l’arnaque quand tu dois les acheter. Tu peux remplacer les morilles par des cèpes ou des chanterelles, mélanger mais surtout il ne faut pas mettre de trompette de la mort sinon, ça tue le goût des autres”. Quand ça a bien mijoté, il ajoute deux belles cuillerées à soupe de crème fraîche, mélange et met les champignons. Il laisse mijoter à feu si doux que je ne vois pas la flamme d’où je suis.
Kevin, le coloc d’Angel, fait une courte apparition avec sa copine, Nora, tandis qu’Angel attaque les tomates farcies. Il épluche et coupe finement 2-3 oignons et quelques gousses d’ail qu’il mélange à la chair à saucisse. On parle du pain frotté à l’ail de la recette des croûtes aux morilles et “Merde ! j’ai plus d’ail et pas de pignons non plus pour les tomates farcies…” Tant pis pour les pignons mais des croûtes sans ail, c’est difficilement jouable… J’appelle mon compagnon qui doit être sur la route en train d’acheter des bières supplémentaires. Ouf, mon fils lui transmet in extremis la course à faire…
“Le château, c’est un peu la famille”
Tandis qu’il vide les tomates, Angel raconte : “Avant, je voulais devenir médecin de campagne dans les Cévennes, j’y ai fait un remplacement mais c’est dur. Le côté cool, c’est que tu fais tout, du pas grave au grave, mais le corollaire c’est que tu es seul, tu es le correspondant du Samu, jour et nuit de garde et quand il y a un truc grave, c’est l’angoisse. Je bossais au Château en santé avant le corona mais pendant cette période, j’y ai été encore plus et ça m’a conforté dans mon envie de rester pour l’instant à Marseille. Le Château, c’est un peu la famille et il y a plein de champs de tafs possibles à Marseille, avec les migrants, les toxs, des assos…”
Et pour sa thèse, Angel a trouvé un sujet après en avoir plusieurs fois changé : il travaille sur une analyse de la peur du Covid et du retentissement comportemental de la peur à partir d’entretiens au château : “L’enfermement, la désinfection systématique de tout, la peur de la mort, de l’autre, de l’isolement, de la catastrophe, la peur pour et de ses proches… Les histoires de ouf, des gens sont sortis deux ou trois fois en deux mois, désinfectaient tout ce qui venait de l’extérieur. Mais il y a aussi des gens qui ont vécu des moments de communion avec leurs proches, des gens qui ont décroché du quotidien et pour qui c’était heureux. Pour les vieux, ça a souvent été pas mal l’enfer car ils se sont retrouvés confinés parfois de leurs propres chefs mais parfois aussi par leurs enfants et c’était raide pour eux.”
Adrien arrive avec sa bonne humeur et un tiramisu aux framboises qui a un peu souffert pendant le trajet dans le sac isotherme mais en deux temps trois mouvements, il n’y paraît plus et le tiramisu est dans le frigo des voisins partis confiner ailleurs. Ils ont laissé leur clé et ont prêté leur appart à des amies d’Angel pendant la période.
Ça sent bon les champignons, Adrien a rapporté du persil et de la coriandre qu’Angel brasse avec la farce. “Cette recette vient de nulle part, j’ai appelé deux fois ma mère pour savoir comment elle faisait et j’ai oublié les deux fois… Nous les jeunes, on cuisine mais on a peu de recettes transmises. je fais quand même le riz cantonais comme ma mère, le riz au chorizo aussi, le filet mignon aux champignons mais c’est à peu près tout.”
Qui se fait à manger ?
Nora acquiesce, elle ne sait pas cuisiner. Adrien dément : “Moi, j’ai des recettes de ma mère. Je cuisine depuis un an parce que c’est plus économe, plus écolo et meilleur”. “C’est aussi parce que t’as trouvé le grand amour !”, intervient Angel. Adrien ne nie pas. “De ma mère, je fais le fameux pot au feu, les viandes en sauce, le gâteau de ménage…mais j’apprends aussi la bouffe provençale. La semaine dernière, j’ai fait des légumes farcis à la provençale au gorgonzola, à la mozzarella et au pain à l’huile d’olive, et hier j’ai fait un tain, euh, non, un tian à la mozza. Je vais essayer l’osso bucco et la blanquette de veau comme ma mère -tu fais tout cuire séparément- ça c’est magnifique ! Moi j’adore la bouffe!”
Pour Angel, c’est un peu différent. “J’aime bien manger mais c’est pas une problématique essentielle. Mon régime alimentaire est austère. J’anticipe jamais les courses. Kevin, quand le frigo est vide, il panique et moi, quand il est plein, je jette.”
De retour en cuisine, Kevin confirme. Ils étaient tous les trois ensemble au lycée et si Adrien habite boulevard Baille, il vient souvent ici “parce qu’ils ont réussi à me faire croire qu’ici, c’était plus facile d’accès, alors que c’est pas vrai !”. On débouche la bouteille de blanc du Jura. On trinque.
Angel fait revenir les croûtons à la poêle avec de l’huile d’olive. Il goûte les champignons. Adrien veut qu’il rajoute de la muscade, Angel refuse : “pour la béchamel, oui, pour la croûte aux morilles, non ! et puis je sais ce qui manque, c’est les morilles !”
Sauveur à l’ail
Fred arrive avec l’ail. Adrien frotte les croûtons à l’ail et on descend au jardin pendant que les tomates mijotent au four. C’est l’heure de l’apéro et les invités arrivent. Clothilde, la chérie d’Adrien, avec deux copines, un quatrième lascar du Jura, Sandro, qui n’est pas sorti depuis deux mois. Il fait des films d’animation et finalement, le confinement ne l’a pas beaucoup changé de son quotidien.
On attaque l’apéro, le soleil baisse, on décide de ne plus attendre les voisins qui reviennent de week-end, Angel monte chercher les champignons et le pain et nous sert généreusement. C’est vrai que ça manque, les morilles, mais ça marche bien quand même avec les cèpes, les chanterelles et les champignons de Paris…
En tous cas, un court instant, on entendrait une mouche voler. Puis, les conversations repartent de plus belle, les rires fusent, une nouvelle copine arrive. Les tomates sont prêtes et même quelques poivrons farcis, qui ont presque caramélisés. Le tout est accompagné de semoule. Les voisins arrivent, le repas continue, on débouche la bouteille de Trousseau de Michel Gahier, que j’ai retrouvée in extremis la veille… Le tiramisu est un délice.
Fred sort sa clarinette, Angel sa basse, Antoine son luth, Perline sa flûte traversière et Kevin une percussion. La précieuse soirée se poursuit.
Commentaires
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La bonne cuisine comtoise 😋 franc comtois également ça manque un peu toutes ces bonnes choses. Les bonnes charcuteries fumées sortie des thuyés, les bons fromages, la cancoillotte, le vin jaune, le vin de paille, le Pontarlier pour l’apéritif, un vin d’Arbois pour accompagner un Mont d’or au four, le toutché gâteau de fête. Bon ben voilà, c’est tout ça la Franche Comté. Au plaisir de vous rencontrer pour partager un moment.
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Je lis bien tard les commentaires… mais le toutché, alors, je ne connais pas !
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La bonne cuisine comtoise 😋 franc comtois également ça manque un peu toutes ces bonnes choses. Les bonnes charcuteries fumées sortie des thuyés, les bons fromages, la cancoillotte, le vin jaune, le vin de paille, le Pontarlier pour l’apéritif, un vin d’Arbois pour accompagner un Mont d’or au four, le toutché gâteau de fête. Bon ben voilà, c’est tout ça la Franche Comté. Au plaisir de vous rencontrer pour partager un moment.
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