À Fos-sur-mer, l’arrêt des hauts-fourneaux d’ArcelorMittal inquiète salariés et élus locaux
Face au ralentissement économique dû à la crise sanitaire, ArcelorMittal a décidé d’arrêter temporairement la production de son usine de Fos. Même si le groupe sidérurgique s’en défend, les salariés du site et les élus locaux craignent que l’arrêt "provisoire" des hauts-fourneaux préfigure une fermeture définitive.
Fos-sur-mer.
L'enjeu
Après l'arrêt d'un premier haut-fourneau fin mars, le deuxième du site pourrait suivre fin juin. 80 % des salariés seraient alors en chômage partiel.
Le contexte
Si l'ensemble des sites européens du groupe sont impactés, la CGT craint un "arbitrage" entre les usines, alors qu'ArcelorMittal négocie la reprise d'une usine italienne.
Lorsque les baigneurs poseront leurs serviettes et parasols sur les plages de Fos cet été, si les mesures de sortie du confinement le leur permettent, ils seront probablement étonnés par la pureté du ciel bleu : à quelques centaines de mètres de là, l’usine ArcelorMittal n’émettra presque plus les fumées rousses et grises habituelles. Mais tout le monde ne s’en réjouira pas : les 2500 salariés du site sont soucieux à l’idée de voir leur usine en sommeil, comme les 1500 personnes, au bas mot, qui travaillent pour les entreprises sous-traitantes d’ArcelorMittal autour de l’étang de Berre. Pour elles, l’incertitude face à l’avenir va probablement se doubler de problèmes financiers immédiats.
Comme l’ensemble de l’économie, le marché de l’acier est largement impacté par le ralentissement économique provoqué par la crise sanitaire et les mesures de confinement. Et au milieu de la concurrence mondiale, l’acier européen est à la peine. “Il s’agit d’une crise économique sans précédent depuis la Seconde guerre mondiale”, souligne le service de communication de l’usine de Fos. Elle a vu son carnet de commandes fondre comme neige au soleil. En Italie et en Espagne, les deux pays européens les plus touchés par la pandémie du Coronavirus, les industries consommatrices d’acier sont au point mort. Les clients situés dans ces deux pays représentent plus de la moitié des ventes de l’usine fosséenne en temps normal. La direction a donc choisi de réduire sa production de moitié, et d’arrêter le premier des deux hauts-fourneaux dès le 23 mars, mettant un quart de ses salariés au chômage partiel.
En Italie et en Espagne, les deux pays européens les plus touchés par la pandémie du Coronavirus, les industries consommatrices d’acier sont au point mort. Les clients situés dans ces deux pays représentent plus de la moitié des ventes de l’usine fosséenne en temps normal.
“Tout va dépendre de la conjoncture économique”
“La décision d’arrêt temporaire du deuxième haut-fourneau sera prise en fonction du niveau de la demande”, assure-t-on du côté d’Arcelor. Mais pour les syndicats et les élus locaux, il est clair que cette mise en veille de l’ensemble de l’appareil de production aura lieu fin juin. “C’était initialement prévu fin mai, mais ils ont pu récupérer quelques commandes supplémentaires, et reporter l’arrêt total d’un mois”, fait savoir Sandy Poletto, secrétaire général CGT de l’usine. “Ce sera alors 80% des employés qui seront au chômage partiel, poursuit-il. En fait on va être à contretemps du pays : quand les enfants seront retournés à l’école, les papas n’iront pas au travail…”
La décision d’arrêt temporaire du deuxième haut-fourneau sera prise en fonction du niveau de la demande.
Le service de communication d’Arcelor Fos
Au-delà de ce décalage social, ce qui inquiète le représentant syndical comme beaucoup de salariés, c’est l’idée que cet arrêt provisoire des deux hauts-fourneaux – inédit depuis la mise en service de l’usine en 1973 – soit la première étape d’une fermeture définitive du site, comme cela avait été le cas il y a quelques années pour l’usine ArcelorMittal de Florange, en Moselle. “Tout va dépendre de la conjoncture économique une fois la crise passée”, tempère Sandy Poletto. Mais s’il y a des arbitrages à faire entre les usines européennes d’Arcelor pour réduire la voilure, il est possible que la direction se dise que celle-ci étant déjà arrêtée, il est plus facile d’aller vers la fermeture.”
Maintenir la cokerie “au chaud”
Même si l’ensemble des sites européens d’ArcelorMittal sont impactées – seulement 8 des 20 hauts-fourneaux du groupe en Europe sont encore en fonctionnement – aucune usine n’est totalement à l’arrêt, comme celle de Fos devrait l’être au début de l’été. “Nous répétons qu’il s’agit d’un arrêt temporaire et que dès que les conditions seront réunies, nous redémarrerons la production d’acier à Fos”, martèle le service de communication de l’usine, qui en veut pour preuve la mise en place d’un système pour continuer à chauffer la cokerie (partie de l’usine où l’on transforme le charbon en coke, ndlr) malgré l’arrêt de l’usine, et pouvoir ainsi la redémarrer à terme.
S’il y a des arbitrages à faire entre les usines européennes d’Arcelor pour réduire la voilure, il est possible que la direction se dise que celle-ci étant déjà arrêtée, il est plus facile d’aller vers la fermeture.
Sandy Poletto, secrétaire général CGT de l’usine Arcelor à Fos
Il est normalement impossible d’arrêter complètement une usine sidérurgique sans endommager gravement ses installations. “Si les fours réfractaires de la cokerie ne sont plus chauffés à 900°C, ils se déforment et ne peuvent plus être utilisés ensuite”, rappelle ainsi Sandy Poletto. Habituellement, c’est le gaz issu des hauts-fourneaux qui vient chauffer la cokerie. Comme ceux de l’usine fosséenne seront à l’arrêt dans quelques semaines, la direction est en train de faire installer un “mélangeur” utilisant gaz de ville et azote capable de produire la même chaleur extrême. Un système de chauffe alternatif inconnu jusque-là à Fos, mais qu’ArcelorMittal a déjà utilisé dans d’autres usines du groupe. “S’ils avaient la volonté de fermer l’usine, ils n’auraient probablement pas investi dans ce nouveau système qui coûte plus d’un million d’euros, d’après leurs dires… Sans compter le gaz qu’ils vont devoir acheter”, avance le maire PS de Fos, Jean Hetsch, qui s’entretient régulièrement par téléphone avec le directeur de l’usine, Bruno Ribo.
Depuis mi-avril, l’élu de Fos, comme le député PCF de la 13e circonscription, Pierre Dharréville, et le président LR de la Région Paca, Renaud Muselier, ont obtenu des engagements des responsables locaux ou nationaux d’ArcelorMittal sur la poursuite de l’activité de l’usine de Fos une fois la crise passée. Pierre Dharréville souligne ainsi que le président d’ArcelorMittal France, Philippe Darmayan, l’a invité “à ne pas considérer cet arrêt progressif des installations comme un arrêt définitif”, dans un mail en réponse à un courrier du député s’inquiétant de la possibilité d’une fermeture définitive du site. “Je ne suis pas complètement satisfait par ce message, mais je le prends”, dit le député. “Ce qu’il faut pour garantir l’avenir du site, ce sont des investissements sur l’outil de production, pour qu’il soit à la fois plus performant et moins polluant”, affirme Pierre Dharréville, qui plaide pour une “relance industrielle écologique et sociale”. Dans ce cadre, il souhaite organiser dès que possible une “table ronde” pour y réfléchir avec les industriels du secteur, les syndicats et les collectivités locales.
Relocalisation du marché de l’acier ?
Ce qu’il faut pour garantir l’avenir du site, ce sont des investissements sur l’outil de production, pour qu’il soit à la fois plus performant et moins polluant.
Pierre Dharréville, député PCF
En période de crise économique, les entreprises industrielles ont cependant plutôt tendance, ayant des caisses moins bien remplies, à réduire leurs investissements… Dans une interview accordée à nos confrères de La Provence, le directeur de l’usine de Fos, Bruno Ribo, demande ainsi “aux politiques de [les] aider pour réduire [leur] impact environnemental”. La pollution générée par l’industrie est devenue ces dernières années une préoccupation majeure d’une partie des habitants de Fos et des communes alentours.
Bruno Ribo invite aussi l’ensemble des pays européens à revoir leurs importations d’acier. “Aujourd’hui on importe de l’acier de Chine ou de Turquie parce qu’il est moins cher. Il faut assumer nos choix en matière de protection sociale et environnementale et privilégier l’acier qui est produit localement”, renchérit Jean Hetsch.
Mais une relocalisation industrielle européenne n’aura pas que des avantages pour l’usine de Fos. À Tarente, dans le sud de l’Italie, ArcelorMittal veut reprendre le site sidérurgique de l’italien Ilva, capable de produire plus d’acier que son homologue fosséen. Les négociations sont toujours en cours avec le gouvernement italien. L’usine est au cœur des attentions pour améliorer ses conditions environnementales de production. Si la transaction pour la reprise par Arcelor aboutissait, il est probable que cette usine alimente davantage le marché italien. Ce qui pourrait provoquer un gros manque à gagner pour l’usine de Fos.
“C’est un scénario trop simpliste”, veut croire Sandy Poletto, assurant que le site italien, qui tourne aujourd’hui au ralenti, ne reviendra jamais à son niveau de production d’il y a quelques années. Mais pour certains salariés, la reprise d’Ilva par ArcelorMittal viendrait confirmer le fait que le groupe veut se “débarrasser” de l’usine fosséenne et saisit l’occasion de la crise actuelle pour amorcer la fermeture… Si les nuages polluants sont plus rares à Fos ces jours-ci, les motifs d’inquiétude en matière d’emploi ne sont eux pas totalement dissipés.
Commentaires
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Merci à Marsactu d’ être bien seul à mettre sur le tapis cette question essentielle, pour l’emploi local comme pour l’indépendance industrielle nationale. L’arrêt des hauts fourneaux, c’est un enjeu local de 3500 emplois qualifiés (à minima) et un enjeu industriel national . Sauf erreur de ma part, quelle réaction de la Région, du Département, de la Métropole, des municipalités concernées, des organisations syndicales, et j’en passe ? Désolé si j’ai loupé certaines réactions, merci à Marsactu de les faire connaître.
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