À l’école Ruffi, “des concentrations de polluants sont 3 à 10 fois supérieures qu’à Trets”
Lors du conseil municipal du 25 novembre, l'élue écologiste Lydia Frentzel a publiquement dénoncé la présence de polluants dans l'école Ruffi (3e) créant, selon elle, un "très haut risque sanitaire de génotoxicité". Chercheur au Cerege, Yves Noack dément une telle affirmation tout en soulignant des concentrations parfois dix fois supérieures à celle d'une école de Trets, incluse dans la même étude.
À l’école Ruffi, “des concentrations de polluants sont 3 à 10 fois supérieures qu’à Trets”
L'enjeu
Une étude commune à plusieurs laboratoires du CNRS révèle des taux importants de polluants dans l'école Ruffi, déjà au cœur d'une polémique liée à l'ouverture d'une nouvelle école toute proche.
Le contexte
La conseillère municipale EELV Lydia Frentzel a dénoncé lors du conseil municipal de lundi le risque que la présence de polluants faisait courir aux élèves. Pour elle, cela justifierait un transfert.
Ce lundi, dans le brouhaha de fin de conseil, la conseillère municipale EELV Lydia Frentzel tente de se faire entendre. Son intervention porte sur l’école Ruffi (3e). Comme d’autres représentants de l’opposition de gauche, elle demande le déménagement rapide des enfants installés dans les préfabriqués de ce groupe scolaire provisoire vers l’école neuve, construite à proximité.
Mais l’élue écologiste ne s’en tient pas aux seuls arguments sur la supposée ségrégation sociale provoquée par la carte scolaire de la nouvelle école Antoine-de-Ruffi votée ce lundi (lire notre article sur le combat des parents d’élèves). Elle pointe également un “très haut risque sanitaire de génotoxicité”, précisant qu’il s’agit“d’agents d’origine physique ou chimique qui provoquent des lésions dans l’ADN et peuvent conduire à des mutations génétiques”. L’élue s’appuie sur une étude récente menée par trois laboratoires du CNRS dans trois écoles de Trets, Port-Saint-Louis-du-Rhône et Marseille sur les poussières des sols et la présence de polluants.
L’élue s’alarme des résultats supposés de cette étude qui, dit-elle, “font froid dans le dos”. “Tous les éléments de pollution génétoxiques sont présents à des doses très fortes”, décrit-elle. Tentative de mise au clair avec Yves Noack, directeur de recherche au Cerege (Centre de recherche et d’enseignement de géosciences de l’environnement) qui participe à cette étude toujours en cours.
Avez-vous eu vent de l’intervention de Lydia Frentzel ? A-t-elle raison de s’alarmer ?
Yves Noack : Il y a des choses fausses et d’autres vraies dans ce qu’elle a dit. Visiblement, elle a eu accès à des informations de seconde main. Au sens où elle n’a pas elle-même assisté au séminaire de l’observatoire hommes-milieux, à Fuveau, le 15 novembre dernier. Il y a des erreurs dans ce qui lui a été rapporté. Elle dit des choses justes dans sa définition des éléments de pollution génotoxiques. Nous nous intéressons à des composants qui une fois présents dans le corps ont des effets sur l’ADN et peuvent provoquer des cancers. En revanche, nous avons étudié ces éléments uniquement sur l’école de Trets et pas du tout sur celle de Ruffi.
Quel est le cadre de votre étude ?
En 2015 et 2016, trois laboratoires du CNRS et un laboratoire portugais ont décidé de s’associer pour mener une étude sur la pollution des sols dans trois écoles du département. Des accidents récents [l’accident de Lubrizol à Rouen, l’incendie de Notre-Dame à Paris, ndlr] ont montré l’intérêt qu’il y avait à étudier ces pollutions. Comme les écoles dépendent des communes, nous avons sollicité un certain nombre de villes pour y effectuer des prélèvements de poussières. Nous avons sollicité huit communes, trois nous ont répondu positivement.
Dans cet échantillon, Trets a valeur de site témoin ?
Disons que nous souhaitions avoir une ville plus neutre, une autre sous influence d’un milieu industriel – ce à quoi correspond Port-Saint-Louis-du-Rhône – et une école dans une grande ville. Nous cherchions également à avoir une école dans un milieu plus rural pour tester la présence de pesticides. Mais, à vrai dire, nous nous sommes contentés de ce qu’on avait puisque seulement trois villes nous ont autorisé à réaliser des prélèvements.
Comment avez-vous choisi l’école Ruffi ?
De mémoire, ce n’est pas la Ville qui nous a orientés vers elle, ni nous qui l’avons spécifiquement visée. Une étude du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) il y a quelques années a fait l’inventaire des niveaux de pollutions dans les écoles au plan national. L’école Ruffi y figurait sans qu’il y ait de recommandations spécifiques à son endroit. En revanche, elle est située dans un quartier à fort passé industriel, avec la présence de friches et à proximité d’autoroutes, notamment l’A55 qui est située en surplomb du quartier.
Où avez vous effectué ces prélèvements ?
Nous avons prélevé des poussières en été et en hiver pour avoir des conditions météorologiques différentes à la fois à l’intérieur et à l’extérieur, dans les classes, les dortoirs mais aussi dans la cour et à proximité des jeux où on trouve des revêtements issus du recyclage de matières plastiques. Nous n’avons pas choisi de prélever des poussières dans l’air car cela aurait nécessité d’utiliser des pompes bruyantes et donc peu pratiques en présence de jeunes enfants. Il était très important pour nous que ces prélèvements aient lieu alors que les enfants étaient présents. Il n’était pas question de le faire pendant les vacances par exemple. Et je peux vous dire qu’à voir ce que nous avons trouvé, cette activité a un effet que cela soit par la présence de chouchou, de paillettes ou de grain de riz (rires). Nous prélevions en fin de journée en demandant à ce qu’il ne fasse pas le ménage dans les deux jours précédents.
Quels étaient les composants recherchés ?
Les analyses ont porté sur les concentrations en métaux et en hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Ce sont des composés chimiques à base de benzène globalement mauvais pour la santé et dont certains sont cancérogènes.
En quelle proportion sont-il présents ?
Relativement à l’école de Trets, les concentrations sont trois à dix fois supérieurs dans les écoles de Port-Saint-Louis et Marseille. À Port-Saint-Louis, on trouve du chrome, du manganèse, du zinc qui sont des dérivés connus de la métallurgie et de la sidérurgie, une influence claire de la zone industrialo-portuaire de Fos. À Ruffi, en revanche, on trouve une concentration étonnante en aluminium aussi bien dans la cour qu’à l’intérieur.
Encore un coup de l’usine Alteo de Gardanne ?
Ah non ! Quand même pas ! Même si votre remarque n’est pas si stupide. Il y a sur le port, un silo qu’utilisait Péchiney (ancien propriétaire de l’usine, ndlr) pour ses exportations d’alumine. Il est encore utilisé pour stocker de l’alumine qui part ensuite dans les Alpes. Les riverains de Mourepiane se plaignent régulièrement de la présence de poussières blanches. Mais c’est trop loin de Ruffi pour que cela soit lié. Pour le moment, je ne sais pas.
Et pour les hydrocarbures ?
Il y en a beaucoup plus à Ruffi et Port-Saint-Louis qu’à Trets. C’est probablement lié à l’environnement de ces écoles. Les sources naturelles sont les feux de forêt et les éruptions volcaniques. Il est donc probable de les attribuer à des activités humaines : le trafic routier, l’industrie pétrochimique ou métallurgique, le chauffage. Il y en a un peu plus à Ruffi qu’à Port-Saint-Louis.
Est ce que ces concentrations de polluants dépassent les normes ?
Il n’existe pas de réglementation en France sur les poussières. Vis-à-vis des normes en vigueur dans d’autres pays, nous sommes au niveau bas des valeurs limites données. Disons qu’on pourrait commencer à se poser des questions. Si on regarde ce qui se fait au Canada, pour certains hydrocarbures, on fixe une norme entre 600 et 5300 nanogrammes par gramme de poussières. À Ruffi, nous sommes à 650 ng/g.
Est-ce que ces valeurs présentent un risque pour la santé ?
Une concentration ne suffit pas à définir un risque sanitaire. Si un enfant se retrouve en présence d’une concentration d’hydrocarbures dix minutes puis plus du tout, cela n’a aucun effet. Cela dépend de l’ingestion de ces poussières. Les métaux passent plutôt par l’estomac, les HAP passent par l’intestin. Cela dépend aussi de ce qu’on appelle la spéciation des éléments, comment celui-ci se dissout ou pas en traversant le corps. Certains métaux vont passer à travers l’estomac, la circulation sanguine et atteindre un organe. C’est le cas du plomb dans le saturnisme. D’autres entrent et sortent par les voies naturelles.
Ces pollutions pourraient-elles trouver leur origine dans la présence ancienne de stockage d’hydrocarbures à proximité immédiate de l’école Ruffi ?
Cela pourrait être une possibilité que les hydrocarbures soient encore présents dans les sols. Il y avait énormément de chantiers à l’époque où nous avons fait les prélèvements, à tel point que les enseignants ne pouvaient pas ouvrir les fenêtres. Il est très possible que ces chantiers aient remobilisé des contaminations anciennes. Les poussières se retrouvent alors en suspension, mais aussi sur les chaussures des usagers de l’école.
Comment va se poursuivre votre étude ?
Nous avons démarré une étude avec l’ouverture d’une thèse sur ce qu’on appelle l’effet cocktail. Comment l’ingestion de métaux et des HAP peuvent avoir un effet génotoxiques en étant associés. Pour cela, nous avons besoin de réaliser de nouveaux prélèvements en élargissant notre zone d’études à Bouc-Bel-Air, par exemple et à une commune sous influence agricole. Cette étude a démarré et devrait durer trois ans.
Commentaires
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Merci Benoît pour ces clarifications ( il reste un “modifier” en début de paragraphe 3).
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Pour l’aluminium, moi je propose le déchargement de l’alumine au niveau de la porte 3 du port. Dans le coin de la montée Mouren, lors des épisodes de mistral, il m’arrive de récupérer un demi bocal de confiture (soit environ 150 ml) de poussière blanche d’alumine sur des surfaces inférieures à 50 m². Cette poussière très fine est certainement capable d’être transportée à 1km de distance donc à l’école dont il est question.
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Bonjour
C’est effectivement une possibilité que j’évoque, mais à démontrer.
Et il m’intéresserait de récupérer de vos poussières blanches
Merci
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Je précise que l’alumine en question ne provient pas de Gardanne mais arrive d’Afrique à destination des Alpes. Alteo n’y est donc pour rien.
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