Le 8 décembre à Marseille, un dispositif “de guerre” face aux “gilets jaunes”
À la suite des coups portés à Maria, Mediapart a découvert l’existence de brigades hybrides de policiers, non formés au maintien de l’ordre et chauffés à blanc par une note du ministère de l'intérieur et une hiérarchie considérant qu’en temps « de guerre », tout est permis. Même le RAID a été associé à la mobilisation. Un article proposé aux lecteurs de Marsactu.
Des forces de l'ordre au bas de la Canebière le 8 décembre. Photo Guillaume Origoni.
Aux alentours de 18 h 40, le 8 décembre 2018, à Marseille, à l’angle d’une ruelle du centre-ville, une dizaine d’hommes vêtus de noir, masqués, casqués et armés, matraquent et rouent de coups de pied une jeune fille à terre. Ils lui fracassent le crâne. Un des agresseurs lui lance même : “Tu en veux encore ?”
Cet escadron sauvage n’est autre qu’une brigade de policiers, créée pour renforcer le maintien de l’ordre lors des manifestations des “gilets jaunes”, dont Maria, 19 ans, a donc été victime.
Sept jours plus tôt, le 1er décembre, Zineb Redouane a été tuée à Marseille par un tir de policier. Le 5 décembre, le ministre de l’intérieur et le directeur général de la police nationale Éric Morvan envoient un télégramme, dont Mediapart a obtenu copie, qui décrit un dispositif inédit. Le RAID, une unité d’élite qui a l’habitude d’intervenir dans les opérations de terrorisme et de prise d’otages, est mobilisé. “La réserve d’intervention pourra être engagée dans le cadre des missions dévolues au RAID”, précise le télégramme.
Lors de son audition, le chef d’état-major de la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP), Jean-Marc Luca, qui a préparé et dirigé les opérations depuis la salle de commandement, décrit un “engagement extraordinaire des forces de l’ordre”. Il confirme que le RAID était engagé, prêt à intervenir, “en réserve au service, à l’écoute radio”, depuis l’hôtel de police de Marseille, l’Évêché.
Sans plus de rapport avec le maintien de l’ordre face à de simples manifestants, la brigade de recherche et d’intervention (BRI) de Marseille, qui a pour mission de lutter contre la grande criminalité (ou contre les terroristes, comme ce fut le cas pour les attentats de janvier 2015), est de son côté envoyée sur le terrain.
Lors de son audition par l’IGPN, si le chef de la BRI marseillaise Pascal Bonnet reconnaît que “cela ne rentre pas dans [ses] prérogatives”, il assure néanmoins que “la BRI participe à l’effort de guerre dans le cadre du mouvement des gilets jaunes”.
“C’était la guerre”
“La guerre”, le mot est lancé, sans aucune retenue et sans complexe, parce que c’est effectivement dans cet esprit-là que la réponse policière est apportée aux citoyens qui manifestent le 8 décembre à Marseille. “C’était la guerre”, explique aussi le chef d’état-major Jean-Marc Luca, lors de son audition. Lorsqu’il commente la vidéo montrant des policiers qui frappent à coups de pied Maria, à terre, sa réponse est : “Moi, je ne vois pas de violences, la violence est partout ailleurs.”
Dans cette optique, la note du ministère de l’intérieur du 5 décembre a aussi prévu un dispositif particulier qui se traduira par la mobilisation de brigades singulières : les “compagnies de marche”, créées initialement “en réponse” aux violences urbaines.
Ces compagnies constituent des groupes hétéroclites de policiers, entre huit et neuf, en tenue ou en civil et issus de différentes unités. On y retrouve des “fonctionnaires de bureaux”, des agents du service interdépartemental de sécurisation des transports en commun (SISTC) chargé de la sécurité ferroviaire, des membres de la police judiciaire ou encore des policiers de la brigade anti-criminalité (BAC).
Ce 8 décembre, le dispositif comptait, pour l’après-midi, neuf compagnies de marche, dont quatre en civil. Comme le précise lui-même le commissaire divisionnaire responsable des opérations sur le terrain, Philippe Combaz, ces compagnies “sont des gens non aguerris au maintien de l’ordre”, avant d’ajouter : ils “bougent en cours de manifestation, donc on ne peut connaître précisément leur position”.
Un grand flou subsiste autour du mode de fonctionnement de ces brigades aux profils disparates, non rompues aux interventions pendant les manifestations et, semble-t-il, sans commandement. D’ailleurs, la major à la tête de l’une de ces compagnies, habituellement chargée des bureaux de plaintes, précise ne “pas avoir donné d’instruction particulière” à ses effectifs, dont elle ne peut retracer précisément le parcours lors de la manifestation. Le chef d’état-major, Jean-Marc Luca, reconnaît lui-même être “incapable de dire qui était où” lorsque Maria a été rouée de coups.
“C’est consternant et très inquiétant surtout d’entendre un chef d’état-major reconnaître qu’il ne sait pas qui fait quoi, alors que c’est sa mission. S’il n’y a pas de commandement, certains policiers s’autorisent n’importe quoi. Les compagnies de marche ont été décidées au niveau national et on voit le résultat”, déplore une source policière, consternée par cette affaire et par l’impunité qui règne au sein de l’institution.
“Ce sont des agents qui n’ont aucune formation en maintien de l’ordre, qui sont laissés libres sur le terrain. En cas de problème, la hiérarchie peut dire : on ne sait pas, ce n’est pas nous. Mais bien au contraire, les responsables sont ceux qui ont autorisé la création de ces brigades hors la loi”, conclut cette même source.
“Il n’y avait plus de limites”
Les auditions confirment ce grand n’importe quoi. “Il n’y avait plus de règles, plus de limites”, assène Jean-Marc Luca, comme pour justifier les actes des policiers, quel que soit leur statut. Mais quelle était la nature de la menace et de la panique pouvant expliquer la folie policière qui s’est abattue sur Maria et sur d’autres ce jour-là ? “La BRI participe à l’effort de guerre dans le cadre du mouvement des gilets jaunes.”
Cet acte IV des gilets jaunes, qui était également une journée de mobilisation contre les logements insalubres, présente un bilan bien plus léger qu’un 14-Juillet, selon le bataillon des marins pompiers, qui a dénombré 50 poubelles et une seule voiture brûlées. Et face à environ 2 000 manifestants, les 458 policiers et gendarmes ont tiré plus de 680 grenades lacrymogènes.
Plusieurs magasins ont été pillés mais, aux alentours de 18 h 40, lorsque des policiers brutalisent Maria, la rue où elle se trouve est calme, les affrontements se déroulant sur le Vieux-port et la Canebière. Dans son audition, le conseiller du préfet de l’époque, Jean-Michel Hornus, atteste lui-même que vers 17 heures le centre-ville, périmètre où Maria a été blessée, était, “un secteur plutôt calme”. Les photos prises par plusieurs témoins le prouvent.
Auprès de l’IGPN, le chef d’état-major Jean-Marc Luca a une tout autre lecture de cette journée. Il explique que la mobilisation de 458 effectifs, dont 300 policiers, l’utilisation de 680 grenades et les 80 tirs de LBD avaient pour but de limiter les “pillages des commerces” et d’“éviter que des barricades ne soient érigées” dans un climat “insurrectionnel et chaotique”, “l’objectif [étant] d’atteindre les forces de l’ordre dans leur chair”. Il assure même que “des policiers ont fait rempart de leur corps pour que cela ne dégénère pas”.
Certains ont surtout utilisé leur arme de façon frénétique. Sur 80 tirs de LBD, 70 sont le fait de trois policiers de la BAC en l’espace de six heures (soit 20 à 25 chacun). À la fin de cette journée, deux policiers ont été légèrement blessés, dont un en chutant, tout seul, dans sa course. Neuf personnes, en revanche, ont été victimes des forces de l’ordre, parmi lesquelles un jeune de 14 ans, touché à la tête par un tir de LBD, et Maria.
Des policiers habituellement chargés des transports
Au fil de l’enquête, l’étau se resserre cependant sur des policiers d’une compagnie en civil, chargés habituellement des transports en commun (SISTC), trahis par leurs vêtements, leurs casques de “skateboard”, l’attelle de l’un à la main gauche et le prénom d’un autre entendu dans la vidéo. Près de dix mois après les faits, aucun n’a été entendu.
Le commandant divisionnaire à la tête de leur service, Didier Delacolonge, en revanche, l’a été : il précise que 30 de ses agents, dont 9 en civil, participaient aux opérations ce jour-là. Mais il se dit dans l’incapacité d’apporter des précisions sur ces 9 policiers. Loin de les disculper, il répond souvent : “Je ne sais pas.” Impossible, par exemple, de savoir s’ils avaient des casques personnels. Ni de quel type d’armes ils disposaient. “C’est possible qu’ils aient été porteurs de grenades, mais je n’en suis pas sûr du tout.”
Le drame du 8 décembre ne l’a pas conduit à remettre en cause les pratiques de ses hommes, pas plus que son propre contrôle. Il reconnaît ainsi avoir répondu favorablement en février, soit deux mois après les faits, à une demande de ces fonctionnaires pour des casques de sport, pourtant non réglementaires, regrettant que l’administration n’y ait pas donné suite…
Dans ce courrier du 13 février 2019, que Mediapart a pu consulter, le brigadier-chef se justifie auprès du commandant Didier Delacolonge, en expliquant que ses agents “sont équipés pour certains de manière personnelle avec du matériel trouvé çà et là, dans le commerce ou sur Internet”.
Il souhaite passer commande, non pas de casques réglementaires, mais de “casques légers type “skate-VTT” permettant d’allier discrétion et protection”, prenant soin de mettre la photo le représentant. Ce n’est pas tout, il agrémente cette liste de “lunettes type masque étanches, souvent issues de catalogues motos, ski ou bricolage”, des gants de protections ou des “kits piétons “discrets” permettant une écoute secrète des ondes radio”, tout cela pour pouvoir “déambuler au sein des cortèges”.
Des policiers ni formés ni équipés
Attestant d’un haut niveau d’improvisation, il demande, alors que le dispositif est en place depuis plusieurs mois, “un stage de formation des unités en tenue civile lors de maintien de l’ordre”.
Ce courrier est la preuve patente d’agents non formés, équipés de matériels non réglementaires, avec la bénédiction de leur hiérarchie, puisque la demande a reçu l’avis « favorable » de Didier Delacolonge, avec l’appréciation suivante : « L’engagement des effectifs sur les manifestations nécessite effectivement les équipements appropriés. »
Au cours de l’enquête, un courriel de la cheffe du service gestion adressé à l’IGPN signalera que la demande n’a pas abouti, ce type de matériel n’étant pas “homologué par l’administration centrale”. Un rattrapage a posteriori.
“Mes craintes ont été confirmées, explique l’avocat de Maria, Brice Grazzini. Les policiers qui ont tenté de tuer Maria ont agi illégalement, dans un accoutrement non réglementaire, mais surtout avec l’aval de leur hiérarchie, jusqu’au plus haut niveau décisionnaire. La lecture de ce dossier donne l’impression que le ministère de l’intérieur a galvanisé ses troupes, a validé une organisation explosive et qu’il s’agissait davantage d’un engagement de soldats dans une guerre civile que de la gestion d’une manifestation, c’est-à-dire, une opération de maintien de l’ordre.”
Contacté par Mediapart, le ministère de l’intérieur a refusé de répondre à nos questions.
Commentaires
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C est effrayant
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Et en dépit de tous ces témoignages, mais aussi des multiples mutilations qu’il est difficile de nier, nous avons une porte-parole du gouvernement qui affirme tranquillement qu’elle “récuse le terme de violences policières”, auquel elle préfère celui “d’erreurs”.
Un régime qui envoie sa police mater les manifs, ça ne date pas de Macron : sous Hollande aussi, il y a eu de beaux exemples. Mais de là à le nier en dépit des preuves tangibles…
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En dépit des grades ronflants de major ou commissaire, on n’a droit qu’à des réponses dignes du sergent Schultz: “che n’ai rien fu, che n’ai rien entendu”.
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Le règne des milices a débuté, y a plus qu’à voter Benalla aux municipales !
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