À Istres, la population sceptique face au processus de concertation sur la pollution

Reportage
le 7 Juin 2019
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Des ateliers de concertation sur la pollution autour de l’étang de Berre se déroulent jusqu’à samedi dans 12 communes. Le dispositif global, baptisé « Réponses », doit durer jusqu’en octobre et déboucher sur un plan d’action, sur lequel industriels, Etat et collectivités locales ont promis de s’engager pour réduire les pollutions.

Photo Nina Hubinet.
Photo Nina Hubinet.

Photo Nina Hubinet.

Il faut longer des rangées de maisons en construction sur le chemin du Capeau, à Istres, pour trouver le gymnase le Podium, flambant neuf. Mercredi soir, une quarantaine de personnes viennent de s’installer dans la salle dédiée à cette première « réunion – forum » du dispositif de concertation Réponses (pour Réduire les Pollutions en Santé Environnement) quand Yves Garcia, adjoint au maire d’Istres en charge de l’Environnement, prend la parole. “Cette démarche de concertation, ce n’est pas un projet de plus qui n’aboutira à rien, assure-t-il. Il s’agit de construire un plan d’action réaliste, à appliquer dans le plus court terme.”

Gwenaëlle Houdin, déléguée générale du Secrétariat permanent pour la prévention des pollutions industrielles (SPPPI), structure qui a lancé, avec l’appui de la Préfecture et de l’Agence régionale de santé, la concertation, lui emboîte le pas :

Il s’agit de recueillir vos inquiétudes autour de la pollution et d’apporter des solutions concrètes. Il y a tous les leviers d’action autour de la table : la Dreal, tous les industriels, toutes les collectivités locales… Réponses a été mis en place pour sortir par le haut de la situation de tension qui existe actuellement autour de l’étang de Berre.

Devant un “mur à palabres” où des post-it fluos attendent les contributions, l’animateur de la réunion, Renaud Dupuis, du cabinet Neorama (mandaté par le SPPPI pour piloter Réponses), décrit ensuite le dispositif : un questionnaire en ligne destiné aux habitants, la désignation d’un panel citoyen pour suivre la démarche de bout en bout, quatre réunions-forums ouvertes au public, huit ateliers avec des associations locales et neuf micro-trottoirs, à la sortie des usines notamment. Des actions qui couvriront 21 communes du territoire, de Port-Saint-Louis-du-Rhône à Vitrolles en passant par Rognac, Fos-sur-Mer, Sausset-les-Pins ou Martigues…

Série d’études

La “situation de tension” autour de l’étang de Berre est liée, comme le décrit Gwenaëlle Houdin, à la publication ces trois dernières années de plusieurs études sur l’état de santé des habitants de la région, la pollution de l’air ou des aliments locaux (Fos-Epseal, Index, Scenarii, étude associative sur les produits AOC du territoire). Elle pointe aussi la médiatisation des questionnements des habitants sur ce sujet. Questionnements qui ne tardent pas à resurgir, dès que le micro passe dans l’assistance. “Il faudrait avoir des informations en temps réel sur la pollution, en fonction des vents”, lance une première personne. “C’est une bonne idée, mais comment garantir la fiabilité de ces informations ?, rebondit Florence, une habitante de Fos-sur-Mer. On connaît tous des gens qui travaillent dans l’industrie, et ils disent tous que les données transmises par les industriels sont falsifiées.”

À lire : notre dossier sur la pollution industrielle

Un autre habitant, membre de l’association Étang nouveau, exprime lui des doutes sur “l’honnêteté intellectuelle” de la concertation. “Est-ce que l’objectif n’est pas de noyer le poisson ?” Puis c’est au tour d’un médecin généraliste d’Istres : “Cela fait trente ans qu’on réclame un registre des cancers, et l’ARS se décide seulement maintenant ? C’est un scandale… Est-ce qu’on a lancé cette démarche pour nous faire patienter encore ? On sait très bien quels sont les problèmes et ce qu’il faut faire. À Fos, il y a 17 usines Seveso. Il suffit de demander à la Sécu la carte des « affections longue durée » : il y a une tâche rouge vif sur notre région”, s’emporte le docteur. Le « monsieur Loyal » de la soirée recadre alors le débat, rappelant que l’objet de Réponses n’est pas de “faire une étude” mais de “porter un plan d’action”

Référendum local et défiance

Après d’autres interventions témoignant de problèmes de santé liés à la pollution, interrogeant la part du trafic automobile ou questionnant l’aspect contraignant, pour les industriels, du futur plan d’action, on passe au deuxième temps de la rencontre. Renaud Dupuis, l’animateur, invite les personnes présentes à rejoindre deux tables, où ils et elles doivent lister sur des post-it leurs “attentes” envers Réponses autour de deux thèmes : “l’information” sur les pollutions et “les pollutions autres qu’industrielles”.

Malgré un temps d’étonnement dans l’assistance quant au choix du deuxième thème, la discussion, toujours vive, prend facilement. “L’important c’est de travailler ensemble pour arriver à des résultats concrets… Une fois que l’on est autour de la table, les gens se parlent”, se félicite Renaud Dupuis. Pierre, un habitant de Fos, écrit “respect de la volonté des populations locales” sur un post-it. L’une des intervenante de Neorama lui demande de préciser. “Il faut qu’on soit entendu, pas comme avec l’incinérateur, où 90 % des habitants de Fos avaient voté contre, et pourtant aujourd’hui il nous crache ses fumées…”

“Je doute beaucoup de l’utilité du processus”

Il suggère alors l’instauration d’un système de pétition et référendum local, ou de créer un “collège de citoyens tirés au sort” au sein du SPPPI. À ses côtés, Chantal, 72 ans, acquiesce. Istréenne depuis 45 ans, arrivée avec son mari venu travailler à la Solmer (l’ancien nom d’Arcelor-Mittal), elle dit être venue “par curiosité” ce soir… “Mais je suis très sceptique. Je doute beaucoup de l’utilité du processus. On y arrivera pas tant qu’il n’y aura pas de volonté au niveau national… Les industriels essaient toujours de magouiller pour ne pas donner les vrais chiffres, quitte à payer des amendes.”

À l’inverse, Valérie, quadragénaire qui vit à Saint-Mitre et fait partie du panel citoyen, pense que la méthode de Réponses est “innovante” et a bon espoir que la parole des citoyens soit prise en compte. “L’idée, ce n’est pas d’opposer. Les industriels c’est aussi l’emploi, l’économie… Il faut les amener vers d’autres pratiques”, plaide celle qui est urbaniste. Lila, commerçante à Istres, ne conteste pas l’importance de l’enjeu économique, elle dont les deux frères travaillent dans l’industrie. Mais cette mère de trois enfants, qui s’est prêtée de bon cœur au jeu des post-it, dit avoir une “grande défiance” envers les pouvoirs publics. “L’impact de la pollution est toujours minimisé. Je suis forcément anxieuse, quand je vois mes neveux qui ont tous des allergies, les cancers chez des proches de plus en plus jeunes… J’ai aussi une cousine dont la fille est née avec une main malformée. Et les médecins évoquent la possibilité d’une cause environnementale.”

Un peu plus de deux heures après le démarrage de la réunion, les participants rangent les tables et les chaises et s’apprêtent à regagner leurs voitures. Le député communiste Pierre Dharréville se veut optimiste. “Ce que l’on a vu ce soir est un bon démarrage. Il y a un besoin absolu de transparence, et d’obtenir des réponses et d’aller chercher celles que l’on n’a pas, par exemple en menant des enquêtes publiques sous contrôle citoyen. Il faut vraiment qu’il se passe quelque chose.”

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Nina Hubinet
Ancienne correspondante de journaux français en Egypte, Nina Hubinet est journaliste indépendante, membre du collectif Presse-Papiers. Elle est co-auteur du documentaire « Fos, les fumées du silence », diffusé sur France 3 en février 2019.

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