L'inspection du travail fait boire à Unilever le calice jusqu'à la lie

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le 16 Août 2012
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La nouvelle est tombée ce matin, et elle n'est pas pour plaire à Unilever. Alors que le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) avait été validé le 20 avril dernier et les lettres de licenciements envoyées aux 103 salariés, l'inspecteur du travail vient de refuser les procédures de licenciements à l'encontre des 13 salariés protégés (élus au CE, délégués syndicaux) de l'entreprise. Un coup dur pour la direction, qui se refuse à tout commentaire. "Nous sommes en train d'examiner la décision de l'inspecteur du travail", explique Sophie Jayet, porte-parole d'Unilever France, maison mère de Fralib qui souhaite fermer le site de Gémenos. "On utilisera tous les recours nécessaires", ajoute-elle sans vouloir en dire davantage pour le moment. 

Peut-être. Mais visiblement, si on se penche davantage sur la décision de l'inspecteur du travail, la direction risque d'avoir du pain sur la planche. Cette procédure de licenciement des salariés protégés, par ailleurs tout à fait classique lors d'une fermeture d'entreprise, a donc été entamée par la direction de Fralib, "dans le cadre de la mise en oeuvre du projet de restructuration industrielle", au même titre que l'ensemble des salariés du site. Procédure refusée donc par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi  (Direccte) pour deux raisons : le motif économique et la validité du PSE.

"L'employeur a tronqué les constitutifs du PSE"

Dès les premiers paragraphes, le ton est donné : "Le PSE présenté devant le Comité d'entreprise fait état de 144 salariés à l'effectif, mais de 103 salariés compris dans le PSE, alors que l'usine de Gémenos (…) comptait 182 salariés au moment où la cessation d'activité est annoncée. La direction de l'entreprise Fralib Sourcing Unit fait valoir que cet écart s'explique par la libre conclusion de transactions de départ avec plusieurs salariés". Ce qui ne convainc pas l'inspecteur du travail qui rappelle que  ces accords individuels ont été signés "après que la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a prononcé, par arrêt du 17 novembre 2011, l'annulation du précédent PSE et déclaré nuls et de nul effet les licenciements notifiés". Ca commence bien…

"L'employeur a manifestement tronqué les constitutifs du PSE soumis à consultation du comité d'entreprise, notamment au regard de la réalité des suppressions d'emploi, des critères d'ordre de licenciement, ainsi que des mesures pouvant être mise en oeuvre pour éviter les licenciements". Conclusion lourde de sens :

Un tel défaut de procédure constitue un vice substantiel de nature à invalider la procédure de PSE sur laquelle s'appuient les demandes d'autorisation de licenciements des salariés protégés.

Doutes sur le motif économique

Et concernant le motif économique, l'inspecteur du travail est clair : "La réalité du motif économique, invoqué par l'employeur pour justifier la fermeture du site de Gémenos, n'est pas établie". Et ce, pour plusieurs raisons. Il semblerait tout d'abord que les informations jointes au PSE concernant la situation économique de l'entreprise "ne comportent aucune mise à jour", dans la mesure où plusieurs données datent de 2010. Il reproche également à la direction le manque d'informations communiquées au comité d'entreprise "pour se prononcer en connaissance de cause sur le projet de fermeture du site". 

La Direccte juge ensuite que "la dégradation de la situation de l'entreprise doit être réelle et sérieuse". Or "l'usine Fralib Sourcing Unit dégage, au 31 décembre 2011, un résultat net après impôts de 2 442 751 euros et présente une trésorerie de 13 833 812 euros. (…) Si le résultat net est effectivement en baisse par rapport à l'année précédente, il n'en demeure pas moins que l'usine de Gémenos reste excédentaire, en dépit de l'impact allégué des conflits collectifs de 2009 et 2010 et du ralentissement de la production qui a accompagné l'annonce de la fermeture du site".

L'antenne du ministère ne se montre pas non plus sensible aux arguments comptables de la multinationale : "Si l'employeur déclare que l'essentiel du résultat financier de Fralib Sourcing Unit proviendrait du loyer de location gérance perçu du Groupe Unilever France, à savoir une somme qui serait distincte des ressources tirées des activités industrielles du site, ceci découle d'un choix de gestion qu'il a lui-même opéré et que, par là même, il ne peut en prendre prétexte pour écarter la situation bénéficiaire de l'entreprise".

Encombrants salariés…

Troisième et dernier point : le reclassement des salariés au sein du groupe n'est pas valide, alors même que la direction de Fralib brandissait ce dernier argument lors de la validation du dernier PSE. Ainsi, l'inspecteur du travail constate que les emplois proposés dans le cadre du projet de reclassement ne sont pas équivalents aux postes supprimés sur le site de Gémenos, et considère que la direction "ne démontre pas avoir rempli entièrement ses obligations en matière de recherche de reclassement". 

Le compte-rendu aurait pu s'arrêter là. Mais les derniers propos de l'inspecteur du travail sont assassins pour la direction : "La situation sociale de l'établissement, marquée par de nombreux conflits collectifs durant les années 2000, ne peut être regardée comme complètement étrangère à l'orientation donnée par le groupe Unilever au choix du site de production à fermer en Europe de l'Ouest". Orientation critiquable du point de vue de l'inspecteur, à l'opposé d'un Jean-Luc Chauvin, qui renvoyait la responsabilité à "certains syndicalistes" de l'usine.

Ce document, outre le fait qu'il empêche la direction de Fralib de licencier ses 13 salariés protégés, est un coup de massue porté à l'entreprise. Les nombreux doutes émis par la Direccte sur la validité du PSE pourrait faire pencher la balance en faveur des salariés, dans le cadre de leur procédure d'appel. 

Le conseil des prud'hommes ne se prononce pas

Par ailleurs, ces mêmes salariés protégés attendaient ce matin la décision du juge des prud'hommes, qu'ils avaient saisi le 19 juillet dernier, pour réclamer les salaires que la direction refusaient de leur payer depuis le mois de mai. La raison : même si l'inspecteur du travail n'avait pas encore validé leurs licenciements, ils n'ont pas repris leur activité depuis le 11 mai, jour de l'occupation du site.

Le juge a décidé de reporter sa décision et de nommer deux conseillers rapporteurs, chargés d'enquêter sur l'activité de l'usine depuis le 1er janvier 2012. "Nous sommes rassurés que le juge ne se prononce pas, explique Gérard Cazorla, secrétaire CGT du comité d'entreprise de Fralib. Nous n'avons pas perdu. La direction et nous, les salariés, allons devoir se justifier sur la reprise de l'activité. Et la direction va certainement être bien embêtée pour expliquer la situation puisque l'activité sur le site n'a jamais repris depuis juillet 2011".

Car c'est sur ce point précis que la direction avait mené son argumentation devant le juge des prud'hommes. Selon leurs avocats, Mes Dechaux et Kibli, certes l'activité industrielle n'avait pas repris mais des instructions bien précises avaient été confiées aux salariés : remettre les locaux en état avant de céder l'usine au nouveau propriétaire en septembre.

Unilever France prend acte de la décision du juge des prud'hommes mais ne désire pas faire de commentaires. "On laisse la justice faire son travail, explique inlassablement Sophie Jayet. La justice a nommé deux rapporteurs mais elle ne s'est pas encore prononcée. On parle quand même d'un site occupé illégalement selon la décision de justice du 16 mai". La décision sera rendue le 17 septembre prochain. 

Ces deux signaux favorables pour les salariés viennent s'ajouter à deux précédents ces dernières semaines. A savoir notamment le rachat du site par la communauté urbaine Marseille Provence métropole, qui a fait jouer son droit de préemption le 2 août, pour 5,3 millions d'euros. De son côté, Unilever avait accepté de céder les machines à MPM pour 1 euro symbolique. Puis, mardi dernier, un potentiel repreneur du site, Jean-Pierre Jouve, ancien cadre dirigeant de Lustucru a visité l'usine. Il serait prêt à mettre 15 millions d'euros sur la table pour investir dans le projet de Scop (société coopérative et participative). Ce qui ne semble pour l'instant pas décider Unilever à changer de position sur le principal point d'achoppement : la cession de la marque Eléphant.

>> La décision de l'inspecteur du travail : 

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