"L'artiste est celui qui fait une oeuvre qui bouleversera la vision"

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le 16 Juil 2012
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"L'artiste est celui qui fait une oeuvre qui bouleversera la vision"
"L'artiste est celui qui fait une oeuvre qui bouleversera la vision"

"L'artiste est celui qui fait une oeuvre qui bouleversera la vision"

Marsactu : Pouvez-vous nous raconter en quelques mots la genèse de votre démarche (à découvrir dans un précédent article) ?
Jacques Villeglé : L'artiste, tel que je l'entends, est celui qui fait une œuvre qui bouleversera la vision. Au cours de la guerre de 1939-1945, durant l'occupation de la France, par le plus grand des hasards, j'ai fait la connaissance livresque des avant-gardes du début du XXe siècle à laquelle mon éducation ne me préparait pas. Dès lors, je n'ai eu qu'un désir, celui d'aller vers ce milieu rejeté et de m'y intégrer. Les meilleurs centres d'informations furent pour moi les officines de propagandes nazies qui donnaient des reproductions photographiques des œuvres d'art dégénérées.

Vous n'avez rajouté aucune lacération, aucun collage sur les affiches, votre travail a bien essentiellement consisté à les récolter ?
Cinq ans plus tard, ma règle avec les affiches lacérées fut que les meilleures œuvres seraient celles que je trouverais telles quelles sur les murs. Les règles sont personnelles et à moi de jouer avec elles.

Vous vous définissez avant tout comme un collecteur, le premier acte artistique étant celui issu de ce que vous appelez "Lacéré anonyme". Mais cette appropriation d'un acte pulsionnel n'est-elle pas justement ce qui en fait une oeuvre d'art ?
Les Abstraits des années cinquante ayant monopolisé le mot réalité avec le salon "Réalités nouvelles", j'ai, en 1958, publié une mise au point intitulée "Des réalités collectives". La création du "Lacéré Anonyme" date de février 1959 et fut officialisée par une exposition dans l'atelier de François Dufrêne, poète lettriste, dans les quatre mois qui suivirent.
Par ce nom générique, "Lacéré Anonyme", chaque œuvre gagne un caractère spécifique, comme le mythe de l'Idiot (d'après le roman de Dostoïevski, ndlr), exaltation attentive aux forces de la nature et dissociateur des abstractions. La lacération résulte d'une multitude de gestes spontanés et transforme le rôle de l'artiste.

L'acte de lacération d'affiche est-il nécessairement un acte vindicatif, celui d'un indigné ?
Je suis un artiste, les affiches lacérées sont d'abord des faits plastiques, même si certaines ont un rapport avec la politique, je les recueille avec l'objectivité d'un historien, sans militantisme politique.

Vous êtes l'un des fondateurs et un précurseur du Nouveau Réalisme. Aujourd'hui quel est votre regard sur l'art, vous semble-t-il plus libéré ? Ou reste-t-il à votre sens trop souvent emprisonné par la culture dominante, les carcans des sociétés ?
À chaque époque, l'artiste a libéré ses contemporains des contraintes : Picasso par son imagination, Matisse par l'éclat de ses couleurs, Fernand Léger par la simplicité de son dessin, les Abstraits par leur spontanéité… Les artistes des générations qui me suivent luttent en se jouant du capital et de la mondialisation.

La série "Opération quimpéroise" – que l'on peut découvrir au Mac – est-elle une forme d'autoportrait ? Pouvez-vous nous expliquer la démarche ?
La série "Opération quimpéroise" est une fête, organisée dans ma ville natale pour mes 80 ans, qui m'invitait pour une rétrospective géographique de mon œuvre. Le régisseur chargé de l'affiche et de l'affichage a commandé des affiches d'après un portrait photographique qu'il a fait reproduire de couleurs différentes et qu'il a collées en les superposant. Ensuite la direction du Quartier (centre d'art contemporain de Quimper, ndlr), qui organisait l'exposition, a invité la population à lacérer ces affiches. Celle-ci s'est prise au jeu, le régisseur avec le personnel du Quartier a recueilli les lacérations et me les a offertes. C'est dire que le personnel du Quartier avait une culture poétique et plastique. Pour les remercier, j'ai écrit un texte intitulé "Opération quimpéroise" et j'ai offert au FRAC de Bretagne, qui avait participé à l'exposition par des prêts, et à la ville de Quimper, une œuvre de leur choix. C'était un triomphe pour mon mythe du Lacéré Anonyme. J'ai vu que le public marseillais a accueilli avec plaisir la dernière période de mes récoltes montrée ainsi pour la première fois.

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