Jacques Villeglé, chasseur d'affiches lacérées

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le 11 Juil 2012
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Jacques Villeglé, chasseur d'affiches lacérées
Jacques Villeglé, chasseur d'affiches lacérées

Jacques Villeglé, chasseur d'affiches lacérées

Le geste est rageur, l'acte subversif. Les affiches lacérées du plasticien Jacques Villeglé ornent les murs du musée d'art contemporain de Marseille. La rue est propice à toutes les révoltes. Les indignés d'hier ou d'aujourd'hui la possèdent, la piétinent, l'adulent. Mur Blanc = peuple muet, avait tracé une main anonyme en mai 68. Les murs remarqués par Jacques Villeglé sont au contraire maculés d'assourdissants slogans.

Sur les affiches esquintées, la culture dominante s'exprime, s'impose à tous par des réclames, bientôt recouvertes par des tracts de syndicalistes, par des articles de presse engagés, par des photos suggestives du Minitel rose. L'histoire d'une capitale, Paris, et d'un pays, à travers les faits historiques et les babillages anodins de la vie quotidienne, depuis les années 50 jusqu'aux années 2000, apparaît archivée sur les fragments d'affiches lacérées.

"Témoin actif"

A plus de 80 ans, Jacques Villeglé a récolté près de 3500 affiches ornant les murs de Paris, de la rue de la Baleine blanche, à la Poterne des Peupliers, en passant par la rue Bourgeois et Clignancourt. La première trouvaille, dénichée en 1949 avec son complice Raymond Hains, précurseur et membre fondateur tout comme lui du Nouveau Réalisme, s'intitule Ach Alma Manetro. Mais c'est seulement dix ans plus tard que Jacques Villeglé invente l'entité du "lacéré anonyme", le véritable acte artistique, tandis qu'il se définit comme un simple collecteur : "Être le témoin actif d'une humanité riche en contradictions est une de mes ambitions. C'est l'anonyme de la rue qui intervient sur les reflets de la culture dominante… Je passe après." Après ou en retrait, comme sa signature apposée au bas des affiches, discrète et tracée à la pointe du stylo.

"Jacques Villeglé est de ceux pour qui le monde de la rue est un tableau permanent" déclarait Pierre Restany, l'un des piliers du Nouveau réalisme. Et de fait, l'artiste s'est passionné pour le geste impulsif et destructeur du lacérateur anonyme, celui qui crée une entaille symbolique dans le système qui l'étouffe. Brèche par brèche, le saccage ouvre la voie à la respiration haletante de la liberté partiellement reconquise.

"La lacération représente pour moi ce geste primaire, c'est une guérilla des images et des signes. D'un geste rageur, le passant anonyme détourne le message et ouvre un nouvel espace de liberté. Pour moi les affiches lacérées rapprochaient l'art de la vie et annonçaient la fin de la peinture de transposition" expliquait le plasticien, historien d'une génération d'artistes qui revendiquaient plus de liberté dans l'art.

"Opération quimpéroise"

A côté d'une réclame pour la cinémathèque française, un morceau d'article de presse dévoile "l'appel de Fatna, sœur de Mohamed Diab, assassiné au commissariat de Versailles par un policier". Une autre affiche déchirée laisse entrevoir les bribes d'une tribune de "Jean-Paul Sartre pour le comité Justice et Vérité"  à propos d'un fait divers survenu en 1972 et mettant en cause une notable, Monique Mayeur : "Accusons le président de la République d'étouffer l'indépendance". Une affiche récoltée le 14 avril 81 – "Dites non à Pompidou, non à la politique de régression sociale et de démission nationale" -, exposée aux côtés d'une autre "Oradour, Guernica, Hanoï 72, mobilisation" retrace quelques pages sombres ou dissidentes de l'humanité.

En 2006, Jacques Villeglé décide de mettre fin à près de soixante années de collecte. Il prête son visage à une série d'affiches fluos abandonnées au bon-vouloir du lacérateur, baptisant ainsi cette tentative d'autoportrait "L'opération quimpéroise" en rappel, sans doute, à ses origines bretonnes. Son visage s'étire, rieur, derrière les fragments déchiquetés, telle une biographie écrite puis furieusement déchirée par son auteur insatisfait.

Exposition à découvrir jusqu'au 16 septembre, du mardi au dimanche, de 10 h à 18 h, au Musée d'Art contemporain, 69, rue d'Haïfa (Marseille, 8e). Tarifs : de 3 à 5 €.

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Commentaires

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  1. Taliesine Taliesine

    Un tres bel endroit que ce Mac, a decouvri en Urgence avec des equipes formidables et accueillante et un Conservateur d’exception… Mr Aulas.

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