Presse locale et politiques locaux, et si on arrêtait tous d'être hypocrites ?

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le 11 Mar 2010
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En pleine campagne des régionales, le puissant syndicat des journalistes ( le SNJ) des rédactions de Nice Matin et de Var Matin, dont l’actionnaire est le groupe Hersant Médias, également propriétaire de La Provence, vient de mettre les pieds dans un beau pan bagna, et ouvrir un grand débat. Marsinfos a décidé de s’y engouffrer, car il s’agit de l’avenir de tous les médias locaux, nous compris.

Ce débat est celui de l’indépendance de la presse en général et plus particulièrement dans notre belle région. Le SNJ dénonce dans une « motion de défiance » les méthodes de leur patron, le jeune et sémillant Olivier Biscaye, directeur des rédactions du groupe Nice Matin. Cette motion de défiance a été rendue publique hier soir par nos confrères du post.fr. On s’en doute, ils ne lui ont pas envoyé une lettre d’amour. C’est évidemment un horrible type, autoritaire, cassant, agressif… du classique, quoi. Il s’en remettra, il débute, il bosse chez Hersant, il en recevra d’autres. Plus intéressant, ce puissant  syndicat de journalistes locaux dénonce violemment, la dérive « droitière » de leur journal, et notamment la campagne très Pro-Mariani et donc anti-Vauzelle, que mèneraient donc Nice Matin et Var Matin, depuis le début de la campagne des régionales. Voilà qui va apporter de l’eau au moulin de la tête de liste PS en PACA, qui a dénoncé récemment le « boycott de Nice Matin » et s’était d’ailleurs décommandé à la dernière minute d’un débat organisé au siège du grand quotidien niçois. Sur ce coup là, on avait quand même doucement souri. Depuis le début de la campagne, Vauzelle a boycotté tous les débats où il pouvait croiser Mariani. LCI, France3… il n’est venu nulle part. Pour le coup, accuser Nice Matin de le « boycotter », on avait trouvé qu’il y était allé un peu fort le Michel…. Et puis crier au loup en faisant mine de découvrir que Nice Matin et Var Matin n’ont pas exactement la même ligne éditoriale que Libération ou La Marseillaise, quel scoop ! Que les nouveaux propriétaires de Nice Matin et La Provence, c’est à dire les héritiers de Robert Hersant, ne soient pas des révolutionnaires  gauchisants, on s’en doutait un peu. On ne peut pas reprocher non plus à la direction de Nice Matin et de Var Matin, d’avoir les idées de la majorité de leurs lecteurs… Cessons donc l’hypocrisie. Car derrière ce que dénonce le SNJ de Nice Matin, il y a un vrai scandale, et c’est celui des millions d’achats de publicité qui sont faits chaque année par les collectivités locales, donc par les politiques locaux, dans la presse locale, et ça personne n’en parle. Donc on y va.

C’est  un poison mortel pour notre démocratie. On le sait les journaux sont en crise, au niveau national mais aussi au niveau local. Pour pas mal de raison, dont d’ailleurs internet et l’arrivée de Métro, Direct Matin et 20 Minutes, les journaux ne se vendent plus. Pourquoi payer une info qu’on peut avoir gratuitement ? A cause de la crise, la publicité est en chute libre. Du coup tous les journaux perdent de l’argent aujourd’hui. Ils ne survivent que grâce à l’aumône que leur verse chaque année l’Etat, sous forme d’aides à la presse, qui représentent aujourd’hui plus de 250 millions d’euros annuels. Par pudeur sans doute, la presse n’en parle pas souvent. Mais les abonnements aux journaux sont en partie financés par l’état, via des aides accordées à La Poste. Le portage est aussi financé par nos impôts, les sites internet des quotidiens sont aussi en partie financés. Et c’est tant mieux car sinon la presse serait sans doute morte depuis longtemps en France. Et même si l’Etat l’ aide, on ne peut pas franchement dire que la presse nationale soit aujourd’hui devenue très « sarkozyste ».

Localement, c’est beaucoup plus vicieux et dangereux. Car les collectivités locales, donc les politiques qui les dirigent, sont aujourd’hui devenus les premiers clients des grands journaux comme Nice Matin, Var Matin ou La Provence. Ils achètent chaque jour des milliers d’exemplaires pour leurs fonctionnaires, qui, c’est bien connu, n’ont que ça à faire, de lire le journal. Ils passent de grandes pages de publicité à leur gloire, pour s’auto-féliciter de leurs grandioses réalisations, et publient de très nombreuses annonces légales (que personne ne lit jamais, mais il parait que c’est obligatoire…). C’est très difficile de connaître le montant exact de ces dépenses, mais elles représentent aujourd’hui, pour La Provence et Nice Matin, par exemple, plusieurs millions d’euros par an. Les politiques locaux ont donc aujourd’hui un pouvoir de vie ou de mort sur nos journaux locaux. Et tout le monde trouve ça normal. Les patrons se taisent. C’est la dépendance du drogué et du dealer, ou du racketé et du racketeur, comme on voudra.  Comment voulez vous alors que la démocratie locale puisse fonctionner normalement ? Et qu’on ne vienne pas nous dire que les politiques locaux n’usent pas de ce moyen de pression honteux sur les patrons de ces journaux, « Si vous continuez Monsieur… je vous retire mon budget pub… vous m’avez bien compris… », combien de patrons de médias locaux se sont entendus dire cette phrase (moi le premier) ? On a les noms. Et il y en a autant à droite qu’à gauche. Qu’un patron d’un groupe privé, mécontent d’un article fait sur sa société ou un des ses produits, sanctionne le média en lui retirant son budget pub, c’est moralement pas terrible. Mais c’est son argent, on peut à la rigueur le comprendre. Et ça n’arrive moins souvent qu’on ne le pense. Mais qu’un élu de la République, grâce à l’argent du contribuable, donc de nos impôts, se permette de tenir en otage un média et menace des journalistes, des emplois, des investissements locaux …c’est une honte et un scandale. Et ça, ça arrive plus souvent. Arrêtons donc l’hypocrisie générale, ce pauvre patron de Nice Matin n’est qu’un bouc émissaire, ce n’est pas lui qu’il faut changer, mais le système. La porte est ouverte Mesdames et Messieurs les politiques. On en parle quand vous voulez.


Un lien « Var Matin, les journalistes s’élèvent contre leur boss » sur lepost.fr

Un lien  » Le groupe Nice Matin a-t-il boycotté le candidat Vauzelle ?  » par Rémy Leroux sur fini-parti.fr

Un lien « Presse : les limites de la publi-information » sur hyperlocalnews



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Commentaires

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  1. Eric Foillard Eric Foillard

    Trés bon article.
    Un journal orienté est nécessairement de droite, sinon, c’est un journal “bien informé”.
    Mais quand on sait que plus de 85% des titulaires d’une carte de presse en France votent à gauche ou à l’extrême gauche, on s’étonne que ce ne soit pas le reflet de la répartition du corps électoral. Alors qu’est ce que l’objectivité, la neutralité, quand on parlke d’information.
    Comme l’a écrit Lénine:” Le devoir d’un journaliste n’est pas de servir la vérité mais le triomphe de la révolution.”

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  2. gebedetriana gebedetriana

    C’est vrai qu’il est indispensable de parler de ce que cache la “politisation” de la PQR. Tous les journaux sont plus ou moins touchés, et pas seulement à droite -cf. La Dépêche, à Toulouse, qui a publié un sondage favorable au président sortant socialiste… sans préciser que ledit sondage avait été commandé par le principal intéressé! Merci à vous d’évoquer ce “poison mortel pour notre démocratie”.
    Cependant, permettez-moi d’émettre quelques remarques:

    – “ce pauvre patron de Nice Matin n’est qu’un bouc émissaire, ce n’est pas lui qu’il faut changer, mais le système”. Je trouve votre analyse un peu simpliste. Le système est fait par des hommes qui s’en servent autant qu’ils le servent.
    Le problème n’est pas qu’un employé fasse ce que sa direction lui demande. A Nice-Matin, le “pauvre patron” dont vous parlez utilise sa fonction pour faire sa propre promotion auprès des politiques. Le traitement des régionales par Nice-MAtin dépasse largement le stade de la “campagne”. Il n’est qu’une succession de manipulations de l’information. Tous les journalistes ne sont pas capables de mentir à leurs lecteurs afin de servir leur propre carrière. Le jeune directeur prépare son entrée en politique en utilisant son statut de journaliste. Un journaliste peut être engagé, d’un côté ou de l’autre. L’important est qu’il le fasse avec honnêteté.
    – Il me semble que le problème de l’indépendance des rédactions dépasse celui du financement des entreprises de presse. Un journaliste n’est pas un soldat à qui l’on impose une tâche. Certains journaux, même subventionnés, même plutôt “droitiers”, ne sont pas soumis comme l’est Nice-Matin, car leurs rédactions travaillent dans de meilleures conditions (meilleurs salaires, moins de précarité), sont mieux protégées par des syndicats mieux organisés.

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  3. Hallain Hallain

    Je ne comprends pas bien l’utilité de cet article qui enfonce des portes ouvertes en série.
    Si la situation en est là, c’est peut-être que le public n’achète plus les journaux. C’est peut-être que les journaux ne sont plus dignes de confiance. Que les lecteurs ont l’impression de ne “rien trouver” dans ces pages vendues à un prix élevé!!

    Le “poison mortel pour la démocratie” c’est peut-être que les journalistes ne font plus leur travail. Que les journaux ne font plus l’effort de respecter un minimum de “déontologie” et, sans vergogne, soutiennent des hommes politiques, des idéologies, au mépris de l’information et de son équilibre.

    “On ne peut pas reprocher non plus à la direction de Nice Matin et de Var Matin, d’avoir les idées de la majorité de leurs lecteurs” lance l’auteur de l’article. Voila qui est clair : le journal n’est pas là pour informer, pour diffuser la connaissance, mais pour “avoir les idées de la majorité de ses lecteurs”. Être à la remorque. Belle déontologie et belle ambition journalistique : on est là pour vous plaire, pour dire ce que vous avez envie d’entendre! Rien d’autre.

    Diantre! On comprend pourquoi tous ces journaux, font leurs choux gras de “l’info people” à longueur de colonne! “Un peu de foot, un peu de c.l, un peu de faits divers bien sanglant et le bon peuple des veaux qui nous achète est content! C’est ça qui plait à la majorité”. Du moins ces journaux en sont-ils persuadé alors que, dans le même temps, leurs ventes s’effondrent! Il fut une époque ou un grand quotidien national offrait, chaque jour, une photo de nu en page 3. C’était people avant l’heure, racoleur, vulgaire… mais ça n’a pas vraiment permis à ce journal parisien de renouer avec le succès!

    Ce qui tue les journaux, surtout ceux de province et surtout ceux publiés dans notre région, c’est peut-être tout simplement le mépris qu’ils affichent pour leurs lecteurs! Des lecteurs qui, malgré ce que pensent les industriels de la presse et nombre de leurs “journalistes”, ne sont pas tous de gros beaufs abrutis!

    Le fait même, d’ailleurs, que les journaux soient de nos jours des “produits industriels” est peut-être pour quelque chose dans la crise de la PQR…

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