[Vivre à la Busserine] Les élèves de l’école ne veulent pas se laisser désenchanter
Pour contrebalancer le traitement médiatique des évènements de leur quartier, les élèves d'une classe de l'école de la Busserine ont décidé d'inviter les journalistes à découvrir leur spectacle. Marsactu a répondu à l'invitation et écouté les paroles libérées. Quatrième épisode de la série Vivre à la Busserine.
Le spectacle Les Enchanteurs sur le grand plateau de la Friche Belle de Mai.
“Ceci, c’est l’entrée des artistes, parce qu’aujourd’hui vous n’êtes pas le public, vous êtes les artistes, explique Brigitte Cirla, directrice de la compagnie de théâtre Voix Polyphoniques. Par contre, quand on entre dans un théâtre, il faut rester très silencieux, parce que d’autres personnes peuvent être en train de répéter. Si vous ne l’êtes pas, je ne pourrais pas vous laisser entrer par l’entrée des artistes !” L’argumentaire fonctionne, c’est sans dire un mot que les CM2 de l’école de la Busserine pénètrent dans les coulisses du grand plateau de la Friche de la Belle de Mai. Sur scène, les élèves de la classe de CE2/CM1 viennent de terminer leur répétition et s’apprêtent à partir en pause. On les suit. Ce sont eux qui ont invité la presse.
Après des tirs de kalachnikov à la Busserine, le 21 mai dernier, les CE2/CM1 se sont dit qu’il serait bon que les médias parlent aussi de leur quartier pour des raisons positives. Par exemple, pour leur spectacle Les enchanteurs, sur lequel ils ont travaillé deux ans avec les CM1, les CM2 et Voix Polyphoniques. Ils ont donc dessiné et écrit des invitations à destination des journalistes. Celle dessinée par Samy est parvenue à bon port. La pause goûter, dans un coin du restaurant les Grandes Tables, vient donc de se transformer en conférence improvisée, avec vingt-deux petits attachés de presse souriants et une seule journaliste.
Invitation post fusillade
Mongomory, moins de dix ans, se lance pour expliquer l’invitation. “On était en train de parler de la fusillade, et j’étais content que la Busserine passe à la télé, c’est un quartier que tout le monde s’en fout. Mais la maîtresse disait que ce n’était pas bien qu’on en parle pour ça. Alors on a discuté pour inviter les journalistes.” “On voulait prouver qu’à la Busserine il n’y a pas que des kalachnikov“, renchérit Mélissa.
La discussion que Mongomory a résumé en quelques mots a en fait duré une semaine. “Je les fais parler à chaque fois qu’il y a un événement traumatisant”, décrit Isabelle Martin, leur institutrice, qui est aussi à l’origine du projet de spectacle. Chaque début de semaine, un élève est invité à parler d’un sujet qui lui tient à cœur, pendant un quart d’heure avant le début des cours. Le mardi 22 mai, l’échange a pris un tour différent. “Ils voulaient tous parler, c’est moi qui ai géré le temps de parole. Ils étaient choqués et se sentaient tous concernés.” Pour la première fois, certains enfants avaient peur de rentrer chez eux le soir. En petits groupes, les plus touchés sont allés parler à la psychologue scolaire, présente pendant deux matinées à l’école de la Busserine.
“Venez parce qu’on est beaux”
Quand on demande aux élèves de décrire leur quartier, les visages se troublent encore un peu. “C’est chaud, c’est dangereux,” dit l’un, autant sous la forme d’une interrogation qu’une affirmation. “Une voiture a brûlé ce week-end,” informe un autre. Isabelle Martin reprend un peu la main : “parlez du spectacle !” Malgré le trac, ce sujet-là détend. Idriss évoque un spectacle précédent, que les élèves ont joué en février sur le parvis de l’Opéra. “On tapait tous en rythme“, détaille-t-il en se mettant à battre des mains sur une cadence particulière. Spontanément, ses vingt et un camarades de classe le suivent, et animent un instant la grande salle du restaurant.
Aujourd’hui, l’ambiance de la représentation, pour laquelle les enfants inventent des slogans divers – “ce sera votre plus beau voyage,” “venez parce qu’on est beaux,” “quand ils auront vu le spectacle ils seront toujours heureux !” -, masque tout le reste. La petite troupe se met en route vers les loges pour déposer ses sacs, avant d’aller, avec les autres classes, faire le filage du spectacle.
“Ça enchaînait, c’est là où j’ai eu peur”
Dans la semaine qui a suivi la fusillade, Isabelle Martin a profité d’un passage en salle informatique pour proposer aux élèves d’écrire ce qu’ils pensaient. En reste une série de textes où les mots “kalachnikov” et “cagoule” reviennent, avec des orthographes parfois approximatives. S’y expriment plus facilement qu’à l’oral certains ressentis. “L’événement qui s’est passé m’a choqué moi j’étais dans mon balcon et j’entends ça je me dis c’est rien c’est des pétards, mais tout d’un coup ça enchaînait, c’est là où j’ai eu peur.”
“Je pense que c’était mal de montrer la vidéo à la télé parce qu’il y a des enfants qui ont eu peur. Moi j’ai eu peur ; et maintenant j’ai peur de sortir. Ma mère ne me demande plus d’aller acheter le pain.” “J‘avais peur pour mon père qui était dans la rue.” “Ils ont lancé le coup de crosse sur une personne.” L’idée étant toujours de s’adresser aux journalistes, les témoignages sont cependant mêlés d’invitations, “Nous nous appelons les enchanteurs nous voulons que vous veniez nous filmer parce que dans le spectacle on danse, on chante.”
Les “gros méchants”, les désenchanteurs
La répétition générale est l’occasion de présenter aux enfants l’équipe des Grands Plateaux et ses métiers, une façon de leur proposer des ouvertures à d’autres possibles. “On saisit toutes les occasions pour aller dans des quartiers différents, commente également Isabelle Martin. Parce qu’ensuite, ils se sentent autorisés à y retourner.” L’auteure compositrice du spectacle, Éléonore Bovon, et la metteure en scène Brigitte Cirla dirigent soixante-dix élèves encore un peu dissipés. L’histoire des enchanteurs est celle d’une classe heureuse qui passe son temps à chanter, et celle de “gros méchants”, les désenchanteurs, que tant de joie agace. Après les représentations qui se sont tenues au Merlan et à la Belle de Mai début juin, les enfants joueront encore ce jeudi 21 juin au Temple Grignan et ce dimanche aux Dimanches de la Canebière.
Si les enfants ont été choqués, les parents également ont été touchés et se sont sentis démunis. Inès Bouzidi, mère d’un des CE2/CM1 et membre de l’association des parents d’élèves, évoque la cellule psychologique déployée sur le quartier après les tirs, à la demande de la préfecture, dans le cadre du dispositif d’intervention et de soutien aux personnes affectées par des actions violentes (DISPAV). De nombreux parents ont été reçus. Leurs questions portaient autant sur la façon d’accompagner leurs enfants que sur leur choc personnel. “Je n’habite pas dans le quartier, précise Inès Bouzidi. Mais de nombreux parents disent que cela change leur façon de voir l’avenir. Certains ne veulent plus laisser sortir leurs enfants, ont peur d’aller sur le balcon ou y ont mis des meubles pour bloquer des balles.”
“Ils en savent beaucoup plus que nous”
Le conseil donné par les psychologues est de parler avec les enfants, s’ils en ressentent le besoin. Mais même protégés, même avec des discussions, ceux-ci éprouvent la nervosité ambiante. “Pour eux, ce n’est pas passé, témoigne Isabelle Martin. Ils ont peur que ça recommence, et ils ont peur d’être au milieu.” À la Busserine, l’idée que le conflit qui a mené aux tirs du 21 mai n’est pas terminé continue de circuler. Pas toujours facile pour l’équipe enseignante de faire face à cette crainte. “Ils en savent beaucoup plus que nous,” conclut l’institutrice.
En tout cas, à la Friche, ce ne sont pas les désenchanteurs qui ont gagné. Plus de la moitié des 400 places du grand plateau étaient occupées par un public de familles, de proches des enseignants ou de la compagnie de théâtre qui a souligné chaque mouvement, chaque chanson d’exclamations enthousiastes. Transfigurés par rapport aux répétitions, sourires rayonnants sur les visages, les enfants de la Busserine ont été ovationnés, et ont, de leur côté aussi, applaudi à tout rompre leurs instituteurs et intervenants. Le temps d’un spectacle, sous les projecteurs, les ombres paraissent loin.
Commentaires
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Et si on obligeait la bande de gangsters qui font le plein de leurs voitures et de celles de leur famille avec l’argent public du 13-14 d’abord à tout rendre, et ensuite verser des amendes sévères au budget des écoles et centres culturels de la Busserine ? Rappelons que Ravier s’en est pris prioritairement aux enseignants, parents et animateurs culturels de ce quartiers, ce qui est bien plus facile que de faire du travail de fond contre les gangs de la drogue…
Bravo à l’amie Isabelle et toute la bande !
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Un énorme merci à Julie Le Mest et la rédaction de Marsactu pour ce magnifique article.
Et un énorme bravo aux enfants de la Busserine et à tous les adultes qui les accompagnent !
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Bravo les enfants, bravo les enseignants motivés ! Bravo au théatre qui est toujours là et actif malgré Ravier.
L’école de la Busserine j’y ai enseigné 2 ans (en tant qu’intervenant extérieur). Pour y aller je devais m’y rendre à pied et je passais entre les barres d’immeubles qui formaient un carré, il fallait traverser un petit tunnel. Aucun souci vers 8h du matin mais les charbonneurs sortent ensuite, souvent des ados, les yeux encore endormis. Un sac plastique blanc dans chaque main, un avec les croissants, l’autre avec les savonnettes qu’il découperont assis sur un banc pour préparer les barrettes à vendre aux clients qui passeront plus tard dans la journée. Et avec eux leur lot de chouffs, postés en amont des tunnels, et qui pouvaient se montrer agressifs, leurs chefs aussi parfois, eux plus agés, plus intelligents aussi, leur présence un signe que quelque chose d’importance s’était passé/se passait/allait peut-être se passer (aujourd’hui on va travailler les temps les enfants).
Pour les gamins qui grandissent là, c’est donc quelque chose qui fait partie du paysage. D’autant qu’ils connaissent ces personnes, ce sont des gens du quartier pour bp… Pour un cerveau de minot qui réagit surtout aux récompenses immédiates, c’est clair que choisir l’école, c’est l’effort, les brimades quand on a pas envie de travailler, (et in fine, pour quel emploi de toute façon) alors qu’une carrière de chouff à 80e par jour c’est là c’est tout de suite, c’est la facilité.
Merci à l’école, aux parents investis, aux assos d’aider ces enfants à bénéficier d’une éducation, d’avoir des rêves, de voir plus loin que l’horizon des barres.
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Très bel article qui donne envie d’aller voir les enfants dimanche sur la Canebière mais je ne les ai pas trouvés sur le programme. Avez-vous des précisions ? Merci
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Bonjour et merci ! Les enfants se produiront dimanche à 15h30 et à 16h, place Thiers.
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