Un théâtre sans dialogues qui parle… aux spectateurs
Après avoir chroniqué la justice et plus récemment la campagne électorale pour Marsactu, le journaliste et écrivain Michel Samson revient dans nos colonnes pour reprendre, à sa façon, l'analyse de la vie artistique locale. Et suivre par la même occasion une saison culturelle marquée par les grandes ambitions de MP2018. Cette semaine, il se penche sur l'actualité des planches.
Les Chinois de Marseille - Théâtre de la Joliette © Willy Vainqueur
Un théâtre de poésie, un théâtre sans dialogues, un théâtre documentaire. Deux pièces jouées simultanément à Marseille parlaient, l’une et l’autre, du monde tel qu’il va aujourd’hui, alors que l’une s’appuie sur un texte anglais de 1891, quand l’autre se fonde sur des enquêtes sociales.
J’ai donc vu au Théâtre de la Joliette Les Chinois à Marseille, pièce d’actualité n°10 de Franck Dimech. Grande scène vide, sur laquelle s’installent lentement des Chinois, l’un accroupi et torse nu devant des petits flacons, une autre assise devant des petites tasses de thé, un troisième semble préparer du riz. Une femme chinoise s’avance vers nous et parle en français de la France avant d’esquisser quelques timides pas de danse. Un homme, européen lui, nous montre une photo où figure sa maison de famille près d’Orléans ; il nous parle de son grand-père qui a lu Proust.
Les six acteurs monologuent, parlent parfois en chinois (sur titré), parfois en français. Une jeune femme, voix faible, raconte sa vie, tragique : son mari, puis l’autre homme qu’elle aime, meurent ; elle évoque son village natal chinois, son départ vers le Qatar, elle y fait des massages, puis son arrivée à Paris où elle se prostitue : son récit est glaçant, criant de vérité, silence de mort. On entre lentement dans un monde autre.
Puis, à toute allure, les Chinois installent des dizaines de tabourets de plastique rouges en rangs serrés, deux cuisinières s’affairent, l’occidental prend place à la table où le serveur chinois lui propose des plats typiques, la patronne hurle la commande aux cuisinières. Seul moment comique de la pièce et où les personnages se parlent. Et d’ailleurs leurs mots ne servent à rien : jamais le client n’obtient ce qu’il croit bon, les cuisinières refusent toujours d’obéir à la patronne et le client est bien incapable de manger avec des baguettes.
“Je ne peux qu’envoyer un signal de détresse muette”, semble être un aveu, comme le résumé de cette étrange pièce où la poésie des mots et des gestes emporte le spectateur loin de tous les clichés. Tant sur les coutumes, habitudes et rites de ces Chinois de France qu’ils connaissent si mal ; que sur l’illusion de croire qu’en se contentant de manger avec des baguettes et de bavarder avec le serveur on les connait un peu mieux. Fondé sur des entretiens et enquêtes réelles, ce théâtre est en effet documentaire. Mais la poésie parfois étrange des textes et de la mise en scène expriment mieux que bien des rapports sérieux ce qu’il en est de la difficile (impossible ?) compréhension des « autres ». De l’Autre.
Wilde à la Criée
Au Théâtre de la Criée on pouvait voir L’âme humaine sous le socialisme, titre d’un essai de l’écrivain anglais Oscar Wilde publié en 1891. Sur la scène un vieux lavabo blanc, un bouquet d’orchidées, une porte de réfrigérateur et, surplombant le tout, un grand écran penché vers nous sur lequel on verra des poissons nager dans le ciel. Après le monologue de la jeune femme très contemporaine, un déferlement d’images, de couleurs, de projections vidéo, de musique, de phrases parfois énigmatiques, parfois évidentes – à moins qu’elles ne soient évidentes et énigmatiques.
Les trois personnages proclament ou chuchotent en effet les phrases étonnantes de lucidité d’Oscar Wilde à la fin du XIXème siècle : « Si le socialisme est despotique, s’il y a des gouvernements armés d’un pouvoir économique comme ils le sont maintenant d’un pouvoir politique, si, en un mot, nous devons avoir des Tyrannies Industrielles, alors l’état final de l’homme sera pire que le primitif ». Ils lancent ces phrases au public, le musicien chante en jouant de la guitare ou avec son ordinateur, la femme explique en termes assez banals ce qu’elle comprend.
Filmé en direct dans une sorte de tiroir, le jeune Socrate, cheveux bleus, explique à sa manière, naïve et drôle, l’allégorie de la caverne de Platon : enfermés les hommes n’y voient que les ombres du monde. Celui qui ose en sortir est ébloui avant de comprendre que le monde réel est très différent de ce que les ombres montraient. Le rapport avec Wilde ? Cette phrase par exemple : « Ce qui empêche la société et l’artiste, profondément individualiste, de se réaliser ».
On sort un peu sonné de ces vagues d’images mais impressionné, justement, par la complexité du monde réel, dont le jeune homme aux cheveux bleus a souligné qu’il n’est pas “celui qu’on voit à la télé”. Singulièrement aujourd’hui où les repères sur le socialisme réel ou rêvé –et la politique en général- sont assez brouillés.
Sorino le Magicien
Dans la grande entrée de la Criée trône une petite installation de Pierrick Sorin, Sorrino le magicien. Théâtre optique créé en 1993, il montre, derrière un petit miroir, les tours du magicien et de sa partenaire de scène dont on n’arrive pas à savoir s’ils ont été réellement filmés en vrai ou pas, avant qu’on comprenne que cette scène elle-même est pure illusion puisque les personnages fondent littéralement dans la vidéo. Miroir sans tain, ravissant hologramme inspiré des débuts du cinéma – muet !
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