Le commissariat de Noailles, point de tension pour l’hébergement des mineurs isolés
Trois mois après l'occupation d'une église pour dénoncer le manque de places pour mettre à l'abri les mineurs étrangers isolés, la situation ne s'est guère arrangée. Pour ceux qui n'ont pas trouvé de toit, le commissariat de Noailles devient souvent la dernière option pour ne pas finir la nuit dehors.
En fin de journée, des mineurs isolés étrangers attendent quasiment tous les jours pour essayer d'être mis à l'abri pour la nuit. (LC)
L’endroit est habitué aux âmes perdues, certes, mais à servir de foyer pour adolescents, un peu moins. Le commissariat de Noailles se retrouve actuellement au cœur des tensions dues au manque de places d’hébergement d’urgence pour les mineurs isolés étrangers. Car en l’absence de toit sous lequel s’abriter, tout mineur est en droit de se signaler à la police s’il s’estime en danger. Les témoignages sont nombreux, pour raconter ce phénomène, pointe émergée de l’iceberg. Fin janvier, ce sont deux militantes associatives qui ont repéré “une vingtaine de jeunes”, qui attendaient devant les portes.
Une altercation, mercredi dernier, a jeté davantage de lumière sur un phénomène quasi quotidien depuis des mois. Relaté dans La Provence, l’incident est décrit par la préfecture de police comme une altercation entre “des personnes qui ont agressé des membres de la brigade canine” devant le commissariat, se soldant par le placement en garde à vue de deux individus. Une quinzaine de jeunes aurait pris à partie les fonctionnaires pour pouvoir rester à l’intérieur et obtenir une nuit à l’hôtel.
“On était là, jusqu’à 23 heures, il faisait froid, on est rentrés dedans pour attendre, on a montré nos OPP [document attestation qu’il est reconnu mineur par la justice et doit donc être placé sous la protection des services éducatifs, ndlr] et ils ont voulu nous mettre dehors. On a dit “on est des mineurs, on a les OPP, on peut pas partir”, et puis ils ont envoyé les gros chiens”, raconte par téléphone dans un français hésitant Alassane, âgé de 16 ans, sans bien préciser si les chiens étaient attachés, et la nature exacte des échanges avec les fonctionnaires de la brigade canine. Alassane a finalement dormi à la gare Saint-Charles.
Le commissariat, pivot de l’hébergement de la dernière chance
Si les mineurs isolés étrangers se tournent vers le commissariat, c’est que, de l’aveu général, le dispositif de mise à l’abri d’urgence relevant du conseil départemental n’est pas en capacité de répondre aux besoins actuels.
Au Manba, le local du collectif Migrants 13, très actif sur l’accompagnement des migrants et à l’origine de la mobilisation de l’église Saint-Ferréol, les militants ne constatent pas d’amélioration. “À cause de la clé de répartition nationale, on voit toujours des jeunes qui arrivent d’autres départements, avec des signalements du procureur, afin d’être placés, et qui ne sont ni reçus, ni accompagnés, ou mis à l’abri, observe Federico, qui s’occupe particulièrement du sujet. Les jeunes doivent se rendre trois fois par semaine à l’Addap [l’association missionnée par le conseil départemental, ndlr] pour rester inscrits sur la liste d’attente, mais la seule réponse de l’Addap c’est qu’il faut attendre. Alors tous les jours des mineurs traînent vers le commissariat de Noailles, pour trouver un hébergement d’urgence”.
Suite à l’occupation de l’église Saint-Ferréol plusieurs jours sur le Vieux-Port, le département avait ouvert en urgence un lieu inoccupé, l’ancienne maison des solidarités François de Pressensé, pour mettre à l’abri 66 jeunes, accompagnés par l’Addap 13 et la Croix rouge. Trois mois plus tard, l’Addap 13 reste évasive sur le nombre de personnes placées en foyers – autour d’une dizaine – et confirme qu’au moins un hébergé a été déclaré majeur, et est donc sorti du dispositif. Comme attendu, le lieu n’a pas vocation a prendre en charge de nouveaux arrivants, et pourrait fermer ses portes une fois chaque jeune placé dans une structure d’accompagnement pérenne.
Certaines portes solidaires s’ouvrent pour un ou quelques soirs, mais tous les jeunes présents à la permanence hebdomadaire du Manba connaissent surtout les bancs et le carrelage de la gare Saint-Charles. “L’hôtel c’est deux jours, et après tu sors”, témoigne une garçon de 16 ans arrivé en décembre et originaire de Guinée-Conakry. “Ça fait six jours qu’il n’y a pas de place”, souffle un de ses camarades qui cuisine pour le groupe. Ils se rendent presque tous les jours au commissariat, certains dès le matin, pour s’enregistrer sur une liste d’attente, en vue d’être mis à l’abri dans la journée. “On reste devant le commissariat jusqu’à 21 h, parfois il y a des places, parfois on reste dehors”, poursuit un autre. “Et pour la nourriture, c’est la merde”, conclut un quatrième.
Selon ces jeunes souvent arrivés à Marseille au cours des dernières semaines, les tensions à l’intérieur du commissariat sont régulières. Ce que ne nie pas le représentant du syndicat de police Alliance, Jean-Yves Allemand. “Si tout le monde vient dans le commissariat, c’est compliqué, il y a marqué hôtel de police, mais ce n’est pas un hôtel. Niveau sécurité, vous faites comment ? Il n’y a pas de sanitaires… un ou deux, ça va, mais… On se retrouve comme souvent entre le marteau et l’enclume, avec les associations qui essayent de faire un peu de trouble médiatique pour attirer l’attention sur le problème”. Le fonctionnaire reconnaît toutefois que “cela ne se passe pas qu’à Marseille”.
“Les arrivées de mineurs augmentent” et pas les places
“Depuis plusieurs années, on a pris l’habitude de les envoyer vers le commissariat, se souvient Margot Bonis, membre du Réseau hospitalité et du collectif MIE. Et ça marchait plutôt. Soit ils avaient des nuits à l’hôtel, soit ils dormaient dans le commissariat. Mais ça a été dévoyé, car les arrivées de mineurs augmentent, et qu’il n’y a pas d’augmentation de places. Le commissariat se retrouve entre les deux. Un policier m’expliquait récemment “on est dépassés, je ne vais quand même pas les prendre chez moi””.
Pour le moment, un cahier est rempli par les fonctionnaires du commissariat de Noailles, qui transmet les noms des mineurs à la Dimef, service d’hébergement d’urgence départemental. Une vingtaine de places seraient ainsi disponibles à Marseille, pour une durée d’une ou plusieurs nuits. Elles ne sont pas donc à accessibles tous les soirs. Cette gestion hôtelière se retrouve, au moins en partie entre les mains des policiers du commissariat de Noailles, qui indiquent aux jeunes lesquels pourront dormir à l’abri. Des éducateurs viennent ensuite les chercher sur place.
“Jusque-là, il était convenu que le commissariat était le lieu de rendez-vous ou au moins de mise en sécurité, mais il y a peut-être besoin de trouver d’autres solutions pour qu’il n’y ait pas de tensions”, admet David Le Monnier, directeur de service à l’Addap 13, association chargée par le département d’assurer le premier accueil des mineurs isolés étrangers. Selon plusieurs informations recueillies par Marsactu, le dispositif d’enregistrement pourrait rapidement être modifié, si ce n’est déjà le cas. Le conseil départemental n’a pas donné suite à nos demandes de précision. Sur la situation globale, David Le Monnier commente : “On ne fait pas rien, il y a des mises à l’abri, mais cela pourrait être optimisé”. Comme le département, il attend les annonces du gouvernement au sujet du futur “plan d’action” visant à alléger la charge des conseils départementaux.
“La loi est dure à Marseille”
Croisés un soir devant le commissariat, trois garçons, âgés de 15 à 17 ans, originaires d’Asie racontent cette galère qui se joue chaque jour. Un des trois est arrivé du Bangladesh il y a quelques mois et a déjà de quoi comparer plusieurs villes françaises. “La loi est dure à Marseille. À Nice, ça va, à Belfort, ça va. Quand tu vas à la police, au bout de quelques heures on t’emmène à l’hôtel. Ici, la police te dit de revenir plus tard, et d’aller à l’Addap, mais l’Addap ne peut rien faire”, raconte-t-il avec agitation, dans un anglais courant.
Ce soir-là, lui et ses deux camarades afghans savent où ils dormiront. Deux ont été finalement placés en appartements, encadrés par des éducateurs, et le troisième a une nuitée d’hôtel d’urgence à Belsunce. Avant de repartir chacun de son côté, ils se retrouvent devant le commissariat… par habitude. “On a passé des heures ici. Ça va, les gens étaient gentils”, se souvient le Bengali âgé de 17 ans. Mais ça fait beaucoup de temps sans se doucher, sans dormir vraiment…”
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Commentaires
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un responsable syndical de la Police : “« Si tout le monde vient dans le commissariat, c’est compliqué, il y a marqué hôtel de police, mais ce n’est pas un hôtel.”
Ironie de l’Histoire : c’était pourtant un hôtel ! “Le Grand Hôtel de Noailles”, avant qu’il soit fermé, se soit délabré puis, finalement, soit transformé en hôtel de Police…
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Noailles était même un grand hôtel de luxe où, avant l’avénement de l’avion, descendaient les,voyageurs qui partaient ensuite en bateau vers l’Asie ou l’Afrique, vers les ” colonies” … Paradoxe et ironie de l’histoire les jeunes ressortissants de ces terres lointaines, décolonisées, viennent frapper à la porte de l’Europe et demander subsistances … Ces pays se vident de leurs forces vives, ratent on raté leur développement, certains subissent des guerres et la solution, semble-t-il doit venir de l’Europe qui a déjà joué un rôle dans l’histoire de ces pays … Quel énorme paradoxe !!! Einstein disait qu’on ne pouvait pas trouver une solution à un problème en s’appuyant sur les éléments qui ont conduit à ce problème. Il fallait inventer, créer quelque chose de nouveau. C’est pas gagné !
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Et il est où Monsieur “Moi, je tiens toutes les promesses de mon programme” ? et “en 2018, personne à la rue” ? C’est quoi le “en même temps” dans ce cas là ?
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