Une politique de la ville « dans le tâtonnement » pour « regarder autrement les quartiers » [Chicane #7]
Si la question des quartiers prioritaires a toujours été au cœur de la politique de la ville, elle a fait l’objet d’approches très différentes. Retour sur ces évolutions avec Brigitte Bertoncello, directrice de l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement et professeur à la faculté de droit et de sciences politiques à Aix-Marseille Université.
Quelles sont les évolutions récentes de la politique de la ville à l’égard des quartiers prioritaires ?
B.B. : « Je pense que c’est une politique qui se cherche encore, qui est dans le tâtonnement. Elle a connu un manque de continuité, lié au fait que différents gouvernements ont travaillé à leur façon la question de ces quartiers avec des dosages différents : parfois on s’intéresse plutôt à la culture, parfois au sport ou à la dimension économique… Mais on n’arrive pas à intervenir sur toutes les composantes qui font un quartier de vie : le cadre de vie, l’éducation, la santé, ou l’économie. Aujourd’hui la tendance est à la réduction des moyens d’intervention spécifiques dans ces quartiers. L’Etat est en train de se retirer : c’est un élément très inquiétant. On a essayé depuis quelques années de réduire le nombre de quartiers prioritaires aidés : mais ces « sorties de quartiers » sont assez dangereuses car les communes n’ont pas les moyens de contrôler leur évolution. Les nouveaux critères de définition des quartiers sensibles posent donc question. »
Vous avez travaillé dans les années 2000 en tant que chef de projet d’une procédure de Développement Social Urbain à Mantes-La-Jolie : quels étaient vos objectifs à l’époque ?
B.B. : « Au départ, notre idée était avant tout de répondre à la dégradation physique et sociale de certains quartiers des villes. Mais on savait que pour vraiment changer les conditions de vie des habitants, il fallait d’un côté s’intéresser au pilotage des différents acteurs qui interviennent dans ces quartiers auprès des habitants, et d’autre part resituer ces quartiers dans un contexte – celui de la ville et de la commune. Au fond, la réflexion sur le sujet a toujours oscillé entre le besoin de réfléchir sur des échelles plus larges -avec la question du travail, de l’emploi ou du transport- et la volonté de travailler la question du local et de la proximité dans les quartiers. La Loi Lamy de 2014 a remis en valeur ce dernier aspect le rôle des habitants dans la vie de leurs quartiers : je pense que c’est un point positif car l’Etat avait tendance à perdre de vue cette dimension depuis quelques années. »
Peut-on redonner un rôle aux habitants et changer l’image des quartiers prioritaires en y développant des médias de proximité ?
B.B. : « Je trouve que cette idée, formulée dans le rapport Bacqué-Mechmache (« Pour une réforme radicale de la politique de la ville », 2013, ndlr), est intéressante à partir du moment où le travail de ces médias de proximité est relayé par les médias classiques au niveau national. L’idée est bonne car elle oblige les habitants à réfléchir à ce qu’est leur quartier. Elle met en valeur des dynamiques positives, alors que ce qu’on en montre dans les médias est plutôt le volet négatif. Cette approche oblige à regarder autrement les quartiers : mais il ne faut pas que le média de proximité provoque une forme d’enfermement. C’est toujours la difficulté de ces dispositifs : ils restent souvent très centrés sur les quartiers, sans prise de relais au niveau national. »
Au niveau national de nombreux élus parlent aujourd’hui d’une crise sans précédent de la politique, et leurs demandent sons avant tout budgétaires. La question de l’image des quartiers et de leur médiatisation est-elle encore une priorité dans ce contexte ?
B.B. : « La crise de la politique de la ville est liée à une politique nationale qui remet en question un certain nombre de points que l’on pensait acquis. Les élus sont très préoccupés par le manque de moyens financiers. Je comprends que le fait que le volet financier soit le seul traité dans cette affaire pose question… Mais à un moment donné, il faut bien dire que l’Etat se retire de ces territoires, que c’est là une urgence. Il est donc important que des maires expriment ainsi leurs craintes, qui sont aussi celles de la majorité des habitants. »
Existe-t-il d’autres approches que celles des médias de proximité pour travailler sur l’image des quartiers ?
B.B. : « Je pense que la question de l’image des quartiers peut être travaillée autrement aujourd’hui. Le rapport de Pascal Blanchard (historien) sur l’histoire, le patrimoine, la mémoire (« Histoires, patrimoine et mémoires dans les territoires de la politique de la ville », 2013, ndlr) avait pour but de réfléchir au changement d’image des quartiers d’une autre façon. Parler des quartiers sous cet angle permet de forger quelque chose de plus facile à s’approprier par les populations : l’Histoire et le patrimoine les attirent plus facilement. L’entrée récente du label « Patrimoine du XXème siècle » dans ces quartiers permet un autre regard sur les richesses qu’ils apportent. »
Propos recueillis par Stefan Foltzer
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