À Marseille, le bon fromage n’est pas servi sur un plateau

Gibier ou fromage ? J’ai hésité… pas très longtemps. C’est qu’à l’exception de jolies ambassades du genre (le bistrot chic Lauracée rue Grignan, la tradition provençale au Cigalon à la Treille, la grande table avec la Villa Madie à Cassis), le département n’est pas vraiment fortiche en matière de chevreuil, faisan et lièvre cuisinés. Question frometons non plus me direz-vous… Ce n’est pas un hasard si banon mis à part (bientôt la brousse du Rove ?), on ne possède aucune AOP fromagère en Provence. Et puis, pour une poignée de valeureux affineurs, combien de vulgaires marchands de fromages ?

Prenez le plus grand (et plus cher) restaurant de Marseille, je parle du Petit Nice bien sûr : le chef Gérald Passédat fait surtout appel à un professionnel installé… à Calais. D’autres grands noms de la vraie popote du territoire sollicitent eux aussi des fromagers experts exerçant à l’autre bout de l’Hexagone tels les frères Marchand à Nancy ou s’approvisionnent auprès d’orfèvres lyonnais médaillés quand ils ne se dirigent pas vers les artisans de l’île de beauté délivrant de superbes pastureddu, brocciu et minatu.

Heureusement pour l’amateur subsistent quelques adresses très fréquentables dans les Bouches-du-Rhône. À Marseille, les Halles de la Major sont certes désertes et vivotent grâce aux soirées événementielles mais force est de constater que Cellerier, importé de la cité des Gaules, affiche de solides références. Idem pour l’Epicerie Maison Gourmande dans le 8e où les défenseurs de pâtes très crémeuses viennent récupérer du brie de Meaux fourré de mascarpone. Chez Emily sur le Prado ? On peut s’y déplacer sans crainte, la majorité des pièces étant fermières au lait cru.

Mais il y a mieux. Je pense à deux petits nouveaux. Carine Kaloudjian à Mazargues dite “Kalou”. Une ancienne commerciale qui a pignon sur rue depuis un peu plus de deux ans et qui draine une clientèle fidèle avec son “bonbon de briquette”, un chèvre frais nourri de confiture de tomates séchées, olives, miel et noisettes ou encore du gorgonzola à la truffe… de Manosque. C’est notamment ici que se fournit Lionel Lévy, toque étoilée de l’Intercontinental Hôtel-Dieu.

En 2016 à Endoume, la confiserie Chez Lucienne s’est reconvertie dans la pâte molle sous l’impulsion d’un agent immobilier qui rêvait d’une autre vie. Sa boutique compte déjà de nombreux habitués dans le quartier. Avantage : le meilleur faiseur de pains de Marseille (Maison Saint-Honoré de l’engagé Pierre Ragot) est à quelques dizaines de numéros sur le même trottoir.

De l’avis de tous pourtant, et j’en suis le premier aficionado, le plus bel établissement fromager marseillais est niché au 20 rue Saint-Michel au cœur de la Plaine. La façade et l’intérieur contemporain de l’Art de la Fromagerie masquent l’ancienneté de l’endroit. Une fois la porte poussée, les pièces s’alignent de gauche à droite. On commence par les frometons de la région avant le tour de France puis les étiquettes étrangères au fur et mesure que l’on s’approche de la caisse. J’y suis passé la semaine dernière pour ravitailler ma tante dingue de brillat-savarin. Brillat-savarin ? Trop mainstream pour les patrons qui préfèrent “l’Orvannais”. Un cousin produit en Seine-et-Marne. Tarif du diable : 23,80 euros du kilo. Ici, on se flatte de ne pas traiter avec Rungis pas plus qu’avec des centrales d’achat. “Nous sommes la seule fromagerie française en lien direct avec chacun des 120 producteurs que nous proposons sur notre étalage”, revendique fièrement Michel Lando, co-gérant.

Que les non-Marseillais se rassurent : une poignée de valeurs sûres exercent aussi à courte distance. L’historique Bellon à Aubagne, dont la “cachaille” (préparation macérée dans une marinade d’eau de vie et huile d’olive) et le brie ail et fines herbes font la réputation des lieux. Sans oublier le sympathique et pédagogue Benoît Lemarié à Aix. Ex-cadre dans l’informatique, ce bon vivant est un spécialiste des chèvres (tomme d’Arles, Lou Gardian, chevrotin des Bauges, pougné centré) et a séduit les bons restaurateurs (La Table du Cinq et l’Epuisette notamment) autant que les notables aixois qui aiment à s’encanailler avec des fromages à raclette originaux (morbier, gouda truffé, bethmale de chèvre ou tomme de Liers) et lui commandent des plateaux stylisés lors de mariages.

Il est 23 h 58 à l’heure où je finis d’écrire ces lignes. J’ai faim. Et honnêtement, là tout de suite, je troquerais bien nos fromages ensoleillés pour un frometon d’exception cultivé bien plus au nord, dans l’Orne. Le camembert du Champ Secret de Pascal Mercier, soit l’unique morceau du genre à pouvoir s’autoproclamer bio, fermier et AOP. On déniche cette petite merveille à Châteaurenard (Chatobio), Aubagne (Coopérative du Garlaban) et à la Ciotat (Sainbioz). Mais pas à Marseille. Pas encore.