À Istres, la métropole bétonne le Forum des Carmes, projet phare de Bernardini
Depuis plus de dix ans, le Forum des Carmes est le grand projet immobilier qui doit redynamiser le centre-ville d’Istres. Confié à Kaufman & Broad, il a le plus grand mal à sortir de terre. Mais la métropole, bien aidée par le maire François Bernardini, vient de donner au promoteur un précieux coup de main à plus de 3 millions d’euros.
À Istres, la métropole bétonne le Forum des Carmes, projet phare de Bernardini
Jeudi 30 mars, la métropole s’est engagée à verser au promoteur Kaufman & Broad la modique somme de 3,1 millions d’euros. En échange, elle a acquis sur plan 2000 mètres carrés du Forum des Carmes, projet immobilier phare sans cesse repoussé du centre-ville d’Istres. Depuis son lancement en 2008, le Forum promis n’a guère avancé, au-delà du parking souterrain, réalisé par un entrepreneur proche du maire, Philippe Cambon, sur lequel il doit être édifié. Pourtant les promoteurs s’y sont succédé, sans succès. Grâce à cet étrange coup de pouce financier de la métropole, le voilà relancé.
François Bernardini le maire d’Istres ne cesse de se féliciter du lancement officiel de l’opération immobilière qui doit redynamiser le centre-ville et “apporter de la vie”. Quelques semaines avant l’accord métropolitain, il a pu en poser la première pierre. Planté sur un parking flambant neuf, le Forum des Carmes “doit être le tremplin qui permettra aux commerçants du centre-ville de bénéficier de l’afflux de clientèle qu’il générera”, expliquait-il à la télé Maritima lors de l’inauguration. Après plusieurs tentatives d’autres promoteurs avortées, c’est finalement Kaufman & Broad qui y a posé sa bétonnière en 2016.
Moins de commerces plus de logements
Le dessein de centre commercial a évolué au fil du temps en projet centré sur les logements (de 40 au départ à 120 aujourd’hui) avec de moins en moins de boutiques. La raison est simple : dans un morne centre-ville, difficile d’attirer les enseignes espérées. Aujourd’hui encore, malgré la réduction du nombre d’emplacements, Kaufman & Broad communique allègrement sur ses plus de 90 logements vendus mais ne dit rien sur la réservation des futurs commerces hormis la future grande surface Super U.
“Mais comment revitaliser le centre-ville quand on a tout fait pour développer les zones commerciales en périphérie ?”, interroge l’opposant socialiste Lionel Jaréma. Désormais ce sont des “activités de services” qui y seront développées. C’est sous cette dénomination particulièrement floue qu’il apparaît dans la délibération métropolitaine qui officialise l’achat.
Au bureau de la métropole, où une poignée d’élus gère les affaires courantes de l’institution, personne n’a vraiment tiqué. Tous les acteurs interrogés renvoient à une décision directe de François Bernardini et décrivent une vieille affaire récupérée de la précédente intercommunalité, que la nouvelle institution n’aurait fait qu’entériner sans la connaître vraiment.
“C’est un accord entre Bernardini et le promoteur”
À en croire plusieurs élus interrogés, François Bernardini aurait profité de sa deuxième casquette de président du conseil de territoire Ouest Provence, une division de la métropole, et de sa proximité avec le président Jean-Claude Gaudin pour faciliter le projet istréen. “Cherchez pas, cette affaire, c’est un arrangement direct entre Bernardini et le promoteur”, nous indique un élu de droite haut placé à la métropole.
À l’arrivée, un constat s’impose. À la métropole, personne ne sait vraiment à quoi vont être utilisés les 2000 mètres carrés acquis. Alors qu’il a vu passer le dossier, qui prévoit notamment des équipements culturels, le vice-président à la culture Daniel Gagnon dit ignorer quasi totalement l’objet de cet accord : “C’est un projet sensible. Cette opération était déjà budgétisée avant le passage à la métropole. Franchement, je suis en incapacité de dire ce qu’il va y avoir à l’intérieur.” Même Audrey François du cabinet d’architectes Empreinte chargé de l’ensemble du Forum des Carmes est dans le flou : “La métropole ne nous a pas communiqué la destination du local”.
Un évasif “forum des arts”
Nous avons pu en partie éclaircir cette question. Dans le grand bâtiment central acquis par la métropole et dédié aux services s’installera le Forum des arts, promis par le maire de longue date. Nicole Joulia, 1ère adjointe en charge de la culture, le confirme à demi-mot : cela devrait bien être un « forum des arts ». Elle reste pourtant évasive : “Ce n’est qu’un projet. Il est vrai que le centre d’art contemporain se situe dans un vieux bâtiment qui n’est plus aux normes et qu’il est question de son transfert. Après, les modalités financières et le calendrier, ce n’est pas de mon ressort.”
Le hic dans cette histoire, c’est qu’un prix préférentiel était prévu pour l’achat des 800 mètres carrés que devait à l’origine occuper ce Forum des arts. Le directeur des services l’avait expliqué en conseil municipal le 2 mars 2016 : “le trésorier [un fonctionnaire d’État, ndlr], à l’époque, n’a pas voulu que le Forum des Arts fasse l’objet d’une dation en paiement [un don, ndlr]. Donc, on a ajouté 500 000 € que l’on va rendre au promoteur pour acheter le Forum des Arts, ce qui fait une opération blanche pour la commune”, exposait Nicolas Davini.
Un accord favorable au contribuable occulté
En clair, Kaufman & Broad achetait le terrain 500 000 euros plus cher et les récupérait plus tard au moment où la mairie lui rachetait le Forum des arts fraîchement construit. Mais entre temps, la métropole a racheté plus grand et la ristourne promise à la ville d’Istres s’est envolée. D’environ 600 euros, le mètre carré s’est finalement vendu 1550 euros quand c’est la métropole qui paie. Si l’on considère que la réduction prévue ne s’appliquait que sur 800 mètres carrés, alors la métropole n’aurait jamais dû régler 3,1 millions d’euros mais 2,3 millions, soit un joyeux bonus de 800 000 euros pour le promoteur.
Ni Kaufman & Broad, ni la Ville d’Istres n’ont souhaité répondre officiellement à nos questions. Le 22 décembre 2015, lors d’un conseil municipal et sous la pression de ses opposants, François Bernardini s’était exprimé sur les nombreux chantiers remportés par le promoteur dans sa ville. Il avait alors balayé d’un revers de main tous les soupçons. “Sans doute que Kaufman & Broad, qui est peut-être plus malin que les autres, arrive à acheter plus de terrains que les autres”. Et à faire quelques belles affaires au passage.
Jean-Marie Leforestier et Sébastien Boistel (Le Ravi)
Cette enquête commune est aussi à retrouver dans le numéro 151 de notre partenaire Le Ravi, en kiosque pendant tout le mois de mai.
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