[Mazargues, un village dans la campagne] La montée à La Cayolle
La rue Émile-Zola et l'église de Mazargues (Photo : CV)
Cinq heures de l’après-midi. Dans le vent humide et la menace de bruine, trois militants de la France insoumise distribuent leurs tracts à la sortie du Leclerc de Sormiou. Les conducteurs ouvrent leur fenêtre pour saisir L’avenir en commun qui, sur fond de photos du candidat, explique que “l’oligarchie accapare le pouvoir (…) et impose ses règles”. Quelques approbations, quelques silences, beaucoup de sourires et quelques fenêtres qui ne s’ouvrent pas. Les deux militantes, une retraitée et une étudiante en psychologie, arborent, elles, un sourire de confiance, d’autant que “les derniers sondages donnent Mélenchon devant Hamon”. PCF et France Insoumise soutiennent Mélenchon chacun de leur côté mais ne se voient ni ne se parlent.
Cette distribution de tracts devant un grand magasin qui, lors de son ouverture, a embauché quelques habitants du coin, a donc lieu à La Cayolle, quartier que les très actifs promoteurs immobiliers aiment mieux appeler Les Hauts de Mazargues, du nom d’une copropriété construite il y a une vingtaine d’années. La réputation de ce qu’on appelle “la cité de La Cayolle” est en effet détestable – pour ceux qui n’y vivent pas. Elle serait une cité où les dealers régneraient en maîtres. D’ailleurs, la police fait des contrôles réguliers au carrefour du Leclerc. Mais on ne parle jamais de ce que pensent et votent les habitants qui mettent leur bulletin dans les urnes de l’école maternelle des Calanques où sont installés les bureaux 956 et 978 les dimanches d’élections. Tous deux recueillent majoritairement des voix de gauche, du PS en particulier.
Se promener à pied dans la cité c’est d’abord découvrir qu’il n’y en a pas une cité de La Cayolle mais que c’est un vrai quartier qui englobe six ou sept cités : le Plan de la Jarre, le Vaucanson, les Hameaux des Roches, Les peintres roux, l’Hermitage, les Calanques. Petits bâtiments plus ou moins rénovés à quatre étages, locatifs ou d’accession à la propriété, ou encore petites maisonnettes neuves alignées. Ces groupes dépendent d’organismes HLM différents : Logirem, Habitat Marseille Provence, Phocéenne d’habitation, Erilia, 13 Habitat… Le tout sur la gauche de la route allant vers Sormiou.
C’est dans ce secteur, celui du bureau 956, que Merwan Mettouchi, 27 ans, qui semble connaître tout le monde (“oui, c’est mes oncles, mes cousins, des amis”) tient à militer et aimerait bien être élu. Et le parti socialiste, cher à Merwan qui y adhère, y réalise toujours les meilleurs scores. En face, donc à droite de la route, ce qu’on désigne parfois comme « Cayolle village » : maisonnettes de toutes qualités, souvent des cabanons agrandis de bric et de broc avec les âges et les générations, jardinets avec ou sans piscines et quelques villas neuves. Bureau 978 pour ces électeurs, la gauche y est aussi majoritaire.
Ainsi La Cayolle à sulfureuse réputation ne ressemble pas à ce qu’on croit connaître et sa nomination elle-même est évolutive. Certains des habitants les plus anciens de la cité se souviennent avoir vécu là dans les années 60. Cela s’appelait Colgate, un nom de famille locale qui subsiste comme nom d’avenue : c’était le plus grand bidonville de Marseille qui regroupait “le camp des juifs”, “le camp des Vietnamiens” et celui “des arabes”. Le grand père de Merwan Mettouchi arrivé d’Algérie y habitait : il travaillait dans le bâtiment ; la maman de Merwan y est venue vivre en 1964. Elle habite toujours ici, après être passée par un camp de transit le temps que s’édifie cette fameuse “cité de la Cayolle”, le nom de bidonville ayant été effacé.Mais le Comité d’Intérêt de quartier du coin, qui aussi un peu transformé le nom, tient à garder celui de La Cayolle : il s’appelle le CIQ Leshautsdemazargueslacayolle, alors que les promoteurs et quelques élus auraient plutôt envie que celui de la Cayolle disparaisse…
Ce vendredi 24 mars à 17 h 30, le CIQ organise dans la nouvelle Maison de quartier encore pimpante, une étonnante réunion. Devant une centaine de parents, enfants, frères et sœurs de toutes sortes, 17 gamins de l’école, violons à l’épaule, donnent leur premier concert. “Les petits violons des Calanques” jouent une ballade de Mozart avant des morceaux rythmés de Sarah Watts. Photographies ininterrompues, applaudissements aussi enthousiastes qu’émus, ces gamin(e)s dirigés par un violoniste adulte ont “travaillé tous les jours” durant des semaines pour jouer de leur instrument. Après un mot de la présidente du CIQ, Nicole Bonfils, le maire du secteur Lionel Royer-Perrault (LR) dit combien il est “heureux et fier” d’autant que “dans des quartiers dits difficiles, il y a aussi l’enjeu humain”. S’adressant aux enfants : “Vous pouvez être fiers, vous allez devenir de beaux et grands citoyens, notre République a besoin de vous”. Nouveaux applaudissements, la salle se vide à moitié quand commence un long exposé par, et sur, le Parc National des Calanques, dont la Cayolle est mitoyenne, faisant partie de son “aire d’adhésion”. Quelques mots de Didier Réault, président du Parc et conseiller départemental du lieu (LR), avant une explication détaillée de la nature et du fonctionnement du Parc. L’orateur, employé du Parc, est un peu long, il évoque la légende de la création de Marseille et souligne “qu’il faut aussi travailler sur la légende de La Cayolle”. Le débat qui suit relève souvent de l’insatisfaction de petits propriétaires de cabanons…
En quelques jours, les acteurs politiques majeurs du lieu sont apparus, distributeurs de tracts, militants de quartier, élus locaux. Chacun à sa manière, et nul n’ignore le choix présidentiel de chacun. Mais personne ne sait dire quelle couleur dominera au soir du 23 avril. Car si les deux bureaux de vote de l’école maternelle des calanques, 1514 inscrits pour le 956 et 1206 pour le 978 penchent plutôt à gauche, l’abstention pronostiquée par Merwan Mettouchi et crainte par de nombreux autres rend tout pronostic improbable.
Géographie électorale de la Cayolle
Qu’est-ce que Mazargues ? Lorsque nous avons arrêté avec Michel Samson son terrain d’observation de la campagne présidentielle, la question s’est posée d’emblée. Si l’on suit l’orthodoxie des fameux 111 quartiers de Marseille, Mazargues compterait environ 17 000 habitants sur un périmètre englobant une bonne partie du boulevard Michelet et poussant à l’est jusqu’à Valmante (voir cette carte).
À 2 kilomètres à vol d’oiseau de l’obélisque, la Cayolle n’en fait pas officiellement partie, Hauts-de-Mazargues ou pas. Mais avec ses 45 % pour François Hollande en 2012 (Marine Le Pen plafonnant à 12,5 %), le bureau 956 offre un éclairage intéressant dans ces quartiers Sud souvent présentés comme un tout acquis à la droite. Quant au bureau 978, il reste à gauche et fait mentir la tendance au vote FN fort des zones pavillonnaires autour d’une cité.
Julien Vinzent
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