[Vivre à la Castellane] Le centre social qui voudrait rester central
Plusieurs mois après le début de notre série "Vivre à la Castellane", retour dans cette cité emblématique des quartiers Nord, et qui s'apprête à vivre une rénovation très attendue. Le centre social, coeur de la cité, y est la dernière institution présente au quotidien. Pourtant, le chantier à venir menace directement sa position d'acteur incontournable.
(Image LC)
Un défilé d’une centaine d’enfants marche sur la Castellane. Jeudi 23 février, comme chaque année depuis des décennies, les petits du centre aéré reprennent leur cité, vêtus de costumes chatoyant évoquant la route de la soie. Des petits Pékinois, des ninjas, des Émiratis, des Indiens ou encore des Libanais chantent à tue-tête les grands classiques des colonies de vacances, les on pagaie on pagaie…, c’est à bâbord qu’on chante le plus fort ou autre nous sommes la casté, et on veut s’amuser ! La cité s’anime, les voisins font de grands coucous depuis leurs fenêtres, les parents mitraillent leurs progénitures avec leurs téléphones, les animateurs veillent au grain et relancent l’ambiance quand le volume sonore tend à redescendre.
La cité demeure pourtant ce qu’elle est : les “guetteurs” des réseaux, rassemblés par petites grappes à distance régulière n’ont pas quitté leurs postes. Certains sourient, d’autres toisent, voire bombent le torse, jusqu’à exhiber une arme quelques instants, face à ce débordement de joie enfantine. Fanfaronnade ou coup de pression vis-à-vis des organisateurs, impossible à dire. Les accompagnateurs hâtent le pas, font diversion, les petits suivent, sans voix pendant quelques secondes. Image glaçante d’une cohabitation infernale.
À l’image de ce carnaval, dont il est l’organisateur, le centre social se bat à contre-courant pour maintenir du lien humain à la Castellane. “Le centre social, c’est la vie, c’est tout. C’est comme la mairie, sourit Manu Daher, responsable du pôle jeunesse qui a lui-même grandi ici. Mais c‘est aussi le centre des attentions. Quand ça va bien, c’est grâce au centre, mais quand ça va pas bien, c’est aussi la faute du centre”. Dans cette petite ville de presque 7000 habitants, le petit bâtiment carré niché entre les barres d’immeubles est un point névralgique. “Ils sont là pour tout, pour aider avec les papiers, pour faire les photocopies. Si le centre social était pas là, il n’y aurait rien, et je ne me sentirais même plus en France”, témoigne spontanément un habitant, Nasser Cherif, croisé par hasard. Avec ses 27 équivalents temps plein et ses chantiers d’insertion réguliers, la structure est le premier employeur de la cité.
“Heureusement qu’on le fait, sinon qui ?”
Le centre social offre une multitude de services qu’il serait difficile de lister dans leur totalité. Des services administratifs de proximité classiques, bien sûr, avec des permanences sociales et juridiques par exemple, mais aussi un service d’insertion sociale et économique avec une foule de programmes adaptés, un centre aéré, une crèche, ou encore un grand et neuf complexe sportif muni de terrains de tennis. “On nous dit que ce n’est pas à nous de faire tout ça, mais heureusement qu’on le fait, sinon qui ?”, interroge Nassim Khelladi, le directeur. Ces dernières années, plusieurs des intervenants extérieurs habituels ont déserté suite à des actes de violence liés aux trafics de stupéfiants dont la cité est devenue un symbole. La plupart sont revenus, en dehors des assistantes sociales du conseil départemental et de la protection maternelle et infantile (PMI), dont les portes sont désespérément fermées depuis 2015.
Pour la responsable du pôle enfance-famille du centre, Stéphanie Naranjo, le vide laissé est dramatique : “Il y a un accompagnement qui n’existe plus. Aujourd’hui, les enfants y accèdent à deux ans, alors qu’il faudrait que ce soit à 6 mois, pour pouvoir détecter les problèmes de développement, pour les questions de dépistage, de mal-être dans la famille…”. Alors, dans une cité rongée par le chômage, la misère et la violence, la crèche et le centre aéré sont de petites soupapes, des lieux d’ouverture au monde pour les enfants et leurs parents, mais aussi dit-elle, “un cadre sécurisant, contrairement à la rue, où c’est toujours le plus fort qui a le ballon, sans même parler de l’ultra-violence”. Une rue où les petits n’ont pas l’habitude de se promener avec autant de bonheur qu’en ce jour de carnaval.
Faire du lien, maintenir la paix sociale, c’est aussi parler à tout le monde, y compris aux jeunes impliqués dans les réseaux de trafics quand c’est possible. “On essaye de laisser les portes ouvertes à tous les publics. On est là pour l’attention et l’écoute, et ça, ils le savent”, estime Nassim Khelladi. “L’ancienneté de l’équipe fait qu’on ne perd pas le lien, quand c’est des gamins qu’on a eu au centre aéré. C’est dur mais on est pro, c’est une réalité. Malgré les exemples des faits-divers, certains rebondissent”, complète Stéphanie Naranjo. Le centre développe notamment un programme de remobilisation et d’insertion, pour une vingtaine de jeunes de 18 à 30 ans, à 70% des garçons. Le but est de les ramener vers une dynamique saine en les impliquant dans un projet international. En octobre, ils iront travailler dans un orphelinat au Maroc, et en décembre y construire des classes d’école. “Plus on les sortira, plus ils avanceront”, résume Manu Daher.
Un centre social indépendant, et qui dérange
En dehors de l’Addap 13, qui propose dans la cité un chantier d’insertion depuis 2014, le centre détient le quasi monopole de l’action sociale à la Castellane. Une position qui agace et dérange parfois certains partenaires qui voudraient plus de pluralité. À cela s’ajoute le statut atypique du lieu depuis sa création : entièrement indépendant et relié à aucune fédération, ce qui, d’après ses dirigeants permet de pouvoir être présents dans toutes les instances de décision et de travailler “en profondeur, dans la durée”, avec aucun autre intermédiaire que le conseil d’administration quand il s’agit de prendre des décisions importantes.
“Le centre peut-être est vu comme problématique par les acteurs extérieurs qui l’accusent de vouloir tout garder pour eux, mais en même temps, tout le monde est parti !, analyse un acteur de la rénovation urbaine. Certes les chefs ont du caractère, ils sont assez rentre-dedans et pas toujours diplomates, mais ils ont développé de vraies compétences.”
Il faut dire que l’équipe est pour le moins polyvalente. En témoigne notamment la réalisation de plusieurs chantiers pour lesquels le centre social est ou a été maître d’ouvrage, en parvenant à maintenir des coûts défiants ceux des promoteurs : le complexe sportif, inauguré en 2008, et aujourd’hui le parc de la Jougarelle, aménagé avec les financements de l’agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU) et pensé par les habitants. Sur ce pan de colline jadis inhospitalier accolé aux habitations sont en train de voir le jour une palmeraie, une oliveraie, des jardins partagés, un théâtre de verdure, ou encore une terrasse, juste à côté d’un terrain de foot remis à neuf récemment. Une abondance de verdure avec vue sur la Méditerranée, un jardin inespéré, réalisé dans le cadre des chantiers d’insertion.
“Rien ne pourra se faire dans la cité comme chantier tant que le centre social ne sera pas déménagé”
Le centre social a donc pris sa part dans le projet de rénovation de la cité, à travers le parc de la Jougarelle ou les ateliers de concertation avec les habitants. Mais cette rénovation dont la date de démarrage n’est pas connue, ni le projet complètement finalisé, est un grand chamboulement pour le centre. L’un des objectifs principaux et indiscutés du projet est le percement d’une voie au milieu de la cité. C’est pour cette raison qu’a été démoli en mai 2016 le bâtiment G. À l’autre bout de la future voie, la tour K sera elle aussi démolie. Et au milieu, le centre social, promis au même destin fait de bulldozers et de gravats. La question de son relogement est ainsi cruciale. Elle est devenue un enjeu politique qui dépasse amplement la question urbanistique.
“Aucun chantier ne pourra se faire dans la cité comme chantier tant que le centre social ne sera pas déménagé, la rénovation ne pourra pas commencer sans ça”, pose Philippe Amet, le président du centre social. La remarque est de bon sens, le centre est en plein milieu de la cité, et possède son poids diplomatique. En avril 2016, la sénatrice et maire des 15e et 16e arrondissements Samia Ghali avait fait retarder la démolition du bâtiment G tant qu’un consensus n’était pas trouvé à propos de la relocalisation du centre. Pourtant, des mois plus tard, les négociations ne tournent pas à l’avantage de ce dernier. Toute la difficulté tient dans le fait qu’il est propriétaire de ses murs, depuis la création de la cité à la fin des années 1960. Une situation unique à Marseille. Le conseil d’administration du centre social voudrait donc conserver son statut de propriétaire, même dans un nouveau bâtiment construit sur un autre emplacement.
“Être propriétaires fait partie de notre indépendance, cela nous permet de faire tout ce qu’on veut. Mais les collectivités voudraient que l’on rentre dans une case”, analyse Philippe Amet et donc avoir plutôt affaire à des locataires, avec un bail résiliable. À ce jour les négociations restent fragiles entre le centre social, les élus locaux, l’État et la Ville. Les discussions s’achemineraient vers une solution dans laquelle le centre social obtiendrait un bail emphytéotique dans des locaux appartenant au bailleur. Un bail prolongé tant que la caisse d’allocation familiale lui renouvellera son agrément, tous les trois ans. En cette période de pré-campagne électorale, le député PS Henri Jibrayel, présent dans le défilé, ne manque pas de prendre position : “C’est un centre social qui peut faire référence, ils y font un travail extraordinaire au cœur de la cité. Mais ils ne peuvent rien faire sans la bâti, et il faut le leur donner. Conditionner un bail à l’agrément de la CAF, ce n’est pas acceptable, je me battrai contre cette clause tant qu’il le faudra.” À ses côtés, le directeur et le président ont des mines peu optimistes.
En raison des travaux sur la place de la Tartane, l’immense dalle centrale de la cité, le défilé des petits de la Castellane s’est achevé cette année sur les terrains de tennis du complexe sportif, propriété du centre social. En cas de tourmente ou d’imprévu, comme souvent, il pallie.
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Commentaires
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“Certains sourient, d’autres toisent, voire bombent le torse, jusqu’à exhiber une arme quelques instants, face à ce débordement de joie enfantine.”
Je me demande s’il existe une solution… Sommes nous condamner à seulement “gérer” le problème sans jamais le résoudre… Comment faire comprendre, “réintégrer” un jeune “guetteur” qui va gagner en quelques jours/mois des sommes considérables… Légaliser ? pour remplacer par pire ?… Je me demande si la solution n’est pas celle d’un choix dur, sans tolérance… Triste constat d’une situation que personne n’a jamais voulu résoudre… et ces politiques qui pavanent… alors qu’ils sont co-auteur de cette situation et qu’ils détiennent aussi… une partie de la solution.
Ce qui donne de l’espoir c’est qu’il existe des personnes qui s’investissent encore dans ces quartiers ! En s’occupant de ses “petits”… elle est peut-être là la solution… mais on aura perdu une génération…
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(Merci pour ce bel et généreux article, juvénile, coloré et bien documenté).
@ AA_Ml, votre post m’inspire quelques commentaires critiques, et même (allons y, Marsactu est grand…) méditatifs.
– Cela manque un peu de précisions, que de désigner les “responsables” politiques comme “co auteur” du “problème”, de la situation actuelle. Ils ont tous biberonné à la même seringue du defferrisme, et Defferre lui même a un responsabilité active et éminente dans le parkage des populations pauvres dans ces quartiers, dans la constitution de ghettos de pauvres et de ghettos de riches (voir Pinçon -Charlot: “Les ghettos du gotha”), dans la constitution de plusieurs marseilles, sud/nord dans un premier temps , où ensuite les plus riches ou les moins pauvres se murent dans leur coin joli en enfermant les moins riches/plus pauvres dans le coin d’à coté… Puis, en faisant comme s’il ne voyaient pas, en regardant ailleurs, pour continuer à agir dans le même sens. Et donc, il s’agit bien des scénaristes, des metteurs en scènes; quitte à vouloir se contenter, pour la suite, des premiers rôles, là où les guetteurs et autres charbonneurs sont plutôt proches des seconds rôles, quand ce n’est pas des figurants.
Ensuite, tous les “problèmes” de vie en société, une fois créés par les logiques de cette société, ne sont pas solubles dans l’innovation, la technologie… et autres babioles, et il en est même de relativement insolubles. Ce qu’ils pourraient/devraient faire, à défaut de dénouer le sac de noeuds, sur lequel ils n’ont cessé de tirer comme des ânes, c’est déjà se contenter de ne pas aggraver la chose; ici, en permettant le déménagement du centre social en pleine propriété d’une part (il s’agit d’un droit sacré et ils le savent bien, par leur fréquentation assidue des promoteurs et autres fonds de pensions…); Et d’autre part, en écoutant bien plus et bien mieux, les ceuusses qui n’ont pas renoncé à être acteurs de leur vie, et non point figurants, en l’occurrence et notamment les responsables du centre social, qui sont porteurs d’infiniment plus de solutions qu’eux.
En denier lieu, et ce me parait essentiel, il n’y a pas de génération perdue, ça n’existe pas. Tout au plus et bien malheureusement, une génération est elle, pour une bonne part, perdue pour elle même. Mais dans le décompte général, et comme disait l’autre, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme et, comme il ne le disait pas, tout se paye…Il faudra bien faire avec eux, charbonneurs ou guetteurs, et d’une façon ou d’une autre, avec la part égarée de cette génération; autant donc commencer tout de suite, ne pas baisser les bras, et les aider à retrouver LEURS chemins. Sinon, le prix à payer sera plus élevé encore, pour eux certes mais autant pour nous…
Car le scénario somptueusement écrit, dans les années trente, par un (très) grand écrivain, est largement devenu caduque de nos jours… : “Les générations ne se rapprochent que pour se dévorer. Par bonheur, elles ne s’atteignent que très rarement, sinon les tueries n’en finiraient pas… Quand l’une entre en pleine possession de ses moyens, a son compte exact de dents et de griffes, la mort escamote l’autre. Il faut déjà qu’elle se retourne pour faire face à celle qui vient, pour la tenir en respect.” Georges Bernanos “Un mauvais rêve”.
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