Spectacles géographiques
Photo : Adrien Bargin/Lieux Publics
Place de l’opéra ce récent premier mercredi du mois, il est presque midi. Deux cents grandes personnes et des flopées de petits enfants sont rassemblées, curieuses, pour le traditionnel spectacle de Sirènes et midi net. Elles regardent sans bien comprendre un gros tas d’objets de toutes couleurs, énigmatique, amas bordélique de ces espèces de joujoux qu’on voit partout, claviers, voiturettes, guitares, petits camions, jaunes, orange, rouges, verts. Comme jetés et surtout : en plastique ! Tout à coup, midi, la sirène hurle son interminable gémissement mensuel.
Elle s’éteint, quatre personnages au visage masqué de faces en plastique descendent les quelques marches de l’opéra, leurs voix amplifiées disent “Nous sommes les gardiens de la terre, vous êtes des humains” ; ils s’installent en croix autour du tas, commence alors la Cérémonie urbaine pour la mort du plastique. Les quatre jouent sur des instruments en plastique, leur musique semble aussi en plastique quand, brusquement, le tas d’objets en plastique s’enflamme : une épaisse fumée sale s’élève, la fin de cette envahissante matière multicolore est brusquement ponctuée d’un coup de canon qui envoie au ciel des confettis de papier qui retombent sur les spectateurs, enfants ravis.
Étonnant spectacle de rue dont Lieux Publics est l’organisateur comme, le 10 septembre dernier, il fut celui d’un rassemblement autour de In Situ, réseau européen pour la “création en espace public”. Aux Aygalades, dans la Cité des arts de la rue qui surplombe l’autoroute Nord, se réunissent et s’exhibent des groupes danois, anglais, français, tchèques… qui créent des spectacles essayant de faire vivre la ville autrement.
Explorer la porosité de la ville
Une formidable troupe de jeunes danseurs entraînés par Adhok anime l’espace, une lune parfaitement reproduite de 7 mètres de diamètre force à regarder le ciel autrement, une promenade dans une salle complètement noire fait percevoir l’espace d’une étrange sensation –oui, regarder dans le noir ! Cet après-midi tranquille et jeune –beaucoup d’enfants encore – se termine avec un repas-défilé stupéfiant. Rara Woulib l’étonnante troupe marseillaise qui cherche à “dessiner de nouveaux cheminements urbains, explorer la porosité de la ville”, emmène plusieurs centaines de personnes dans une déambulation nutritive étourdissante.
Les marcheurs entrent d’abord dans la cité HLM des Aygalades, escortés, harangués, engueulés, flattés par des hommes et des femmes en costumes noirs visages grimés de blanc, pour une photographie de groupe grotesque et comique. On comprend alors, nous marcheurs, qu’on est autant visiteurs qu’observés par les habitants de la cité : les spectateurs sont transformés en acteurs, spécialité forte de Rara Woulib. On traverse un étroit tunnel inconnu, on entend cette musique étrange jouée sur des instruments dont chacun ne joue qu’une note, on marche, ironiquement harcelés et flattés, on arrive dans un sombre jardin public : des buffets sous des lampes sur perches offrent tapenade et hoummous avec un cocktail de fruits sans alcool bien épicé, c’est bon et fort, on se regarde manger, on se parle.
Avant de repartir sur une sorte de sentier urbain entre immeubles et murets, deuxième arrêt buffet, et d’arriver dans un autre jardin sous HLM. Une femme me prend la main et m’assied à une immense table, je suis rejoint par cinq minots de la cité, par les autres marcheurs : c’est l’heure des grillades d’agneau sur barbecue. Cela fait près de deux heures qu’on marche en zig-zag, acteurs, spectateurs, musiciens, dîneurs, et finalement on a vraiment dîné grâce à cette omniprésence discrète et énigmatique d’une quarantaine d’acteurs, de choristes et de cuisiniers de Rara Woulib !
La fanfare de la Touffe à Foresta
Et puisque j’étais dans la rue, j’ai continué dimanche 9 octobre en allant dans l’immense espace vert au pied de Grand Littoral. Yes we camp, y organisait Dimanche à Foresta, du nom du marquis longtemps propriétaire d’un château aujourd’hui disparu et de ces collines de tuileries et d’herbes. Ce qui reste d’étendue sauvage devait devenir un jardin public, est privatisé, accessible, mais attend toujours. Yes we camp a trouvé de quoi la revivifier ce week-end en y faisant dormir, marcher, manger et rire les habitants du coin et tous les invités possibles. On y déguste des tisanes de menthe et de fenouil cueillis sur place, des gâteaux à la noix de coco réalisés par les Majorettes de Plan d’Aou.
Quand vers 14 heures, la fanfare de la Touffe qui fait jouer des volontaires formés sur place, soutenue par La fanfare Bipolaire et l’Orchestre des familles, rejoint l’espace pique-nique en rythmant sa musique de cuivre, ce spectacle de plein ciel devient prenant : on voit rarement si tendre et si réussi que ces dizaines de familles tranquillement installées au-dessus de la baie ensoleillée ourlée des petites falaises de pierre blanche dans une musique free et solide qui évoque le grand Sun Ra [1]. On perçoit fort que dans cette ville où la géographie est si présente, les arts de rue ont de quoi s’épanouir.
[1] Compositeur et pianiste de jazz américain né à Birmingham (Alabama), le 22 mai 1914 et décédé le 30 mai 1993 connu pour ses compositions et ses performances phénoménales autant que pour l’étrange « philosophie cosmique » qu’il prêchait.
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