Iliès Hagoug vous présente
Que de la bouche !

[Que de la bouche !] Existe-t-il des restos comoriens “en ville” ?

Chronique
le 17 Mai 2025
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Après avoir raconté les nuits marseillaises, Iliès Hagoug s'intéresse désormais à ces établissements de bouche qui font les identités de la ville. Cette semaine, il se met en quête d'un restaurant comorien dans le centre-ville.

Le restaurant Douceur Piquante, rue Guy-Môquet, à Marseille. (Photo : Illiès Hagoug)
Le restaurant Douceur Piquante, rue Guy-Môquet, à Marseille. (Photo : Illiès Hagoug)

Le restaurant Douceur Piquante, rue Guy-Môquet, à Marseille. (Photo : Illiès Hagoug)

Quasiment le début d’une blague : un Corse, un Algérien et un Comorien se posent en terrasse d’un bar. Après avoir parlé de la pluie et du beau temps, littéralement, dans un printemps étrange qui secoue les Marseillais jusque dans leur essence, il faut un débat plus animé. Il ne se fera pas attendre, quand le Corse demande au Comorien : “Dis-moi, pourquoi il y a autant de Comoriens dans les cuisines de Marseille et y a pas un resto comorien en ville ?”

Le devoir de journaliste impose ici de décomposer cette phrase comme il se doit : existe-t-il une étude sociologique sur la composition des strates des personnes devant les pianos à gaz des adresses marseillaises ? Pas vraiment, et nous ne saurions imposer au lecteur de Marsactu une énième approche académique un samedi de chronique. Existe-t-il des restos comoriens “en ville” ? La question est plus intéressante, et même plus alléchante. Comme souvent dans les débats de comptoir, ou de terrasse en l’occurrence, la phrase est maladroite, mais elle soulève des points intéressants. Car, anecdote fréquemment entendue qui en a surpris plus d’un : Marseille est la première ville comorienne au monde. On estime en effet la communauté comorienne de la ville, descendante ou expatriée, à environ 80 000 personnes. Presque le double de la population de la plus grande ville de l’archipel et capitale des Comores, Moroni.

Buffet à volonté

Le rendez-vous est donc pris au 358 boulevard National, au restaurant comorien Lydy. La question de la terrasse est étonnamment toujours pertinente ici : est-ce que de ce côté du boulevard National, on est encore “en ville” ? Les puristes diraient que non, qualifiant avec une affection certaine le tunnel près de la gare de porte des étoiles, mais nombre d’habitants ici ne se posent pas la question. Jusqu’au 143, dans la cité Félix Pyat, on se dit souvent du centre-ville.

Le restaurant Lydy, boulevard National. (Photo : Illiès Hagoug)

Qu’importe : la façade du restaurant n’est qu’une porte d’entrée, et il faut descendre les escaliers pour accéder à la salle principale de ce resto, qui sert sans interruption des plats comoriens à de nombreux clients. Y compris autour de 16 heures. Tous les marqueurs du buffet à volonté sont rassemblés dans cette grande salle principale, rendant les différences d’autant plus visibles. La vue sur la cuisine laisse apparaître le travail d’une pâte à samossa à la main, là où on attendrait plus un surgelé siglé Metro. Les plats sont décrits individuellement à chaque client. Le personnel du restaurant mange ses propres plats. Et, peut-être le plus surprenant, la plus grande partie de la clientèle est composée de Comoriens. Certainement le meilleur sceau de validation.

Ailes de poulets, beignets, samossas

“Tu as changé la déco par là, tu veux que ce soit instagrammable ?”

Une cliente

“On est ouverts depuis plus d’un an, et on a un peu de monde, Dieu merci”, décrit l’une des employées du restaurant entre deux descriptions de plat, de bœuf, de riz, de poisson. “Souvent, les gens viennent manger avec un Comorien ou une Comorienne la première fois, puis ils reviennent seuls, ou avec d’autres gens.” Ici, on parle shikomori autant que français. Trois personnes ayant visiblement leurs habitudes dialoguent avec un employé du restaurant, s’installent, se servent une petite assiette. On parle en comorien, on répond en français. On est de première, deuxième ou troisième génération. Dans une familiarité évidente, on se taquine : “Tu as changé la déco par là, tu veux que ce soit instagrammable ?”

Histoire de filiation

Les vitrines exposent des ailes de poulets, des beignets, des samossas. Dans les grands “gastros” en inox, les plats débordent : le pilaou, un riz parfumé préparé avec du bœuf, les ambrevades, faits de gros pois d’Angole “comme des petits pois en sauce, mais meilleurs”, décrit une serveuse, le manioc bouilli et le riz coco en accompagnement. Une cuisine généreuse, souvent en sauce, qui laisse transparaître le métissage des cultures propre à l’archipel de l’océan indien, au large de l’Afrique du Sud et sur la route de nombreux voyages.

L’affirmation de notre ami corse est finalement totalement infirmée : face au lycée Thiers, on est clairement en ville, à quelques enjambées du point zéro de Marseille même. C’est ici que le restaurant Douceur Piquante s’est installé depuis deux ans. La cuisine y est plus d’inspiration que de tradition comorienne, mais c’est bien une histoire de filiation qui est dans l’assiette. Et même sur la façade, qui reproduit fidèlement la carte d’identité de Fatima Ali, grand-mère de Nadjatie Bacar, cheffe et gérante du lieu.

Métissage gastronomique

La carte est courte et fraîche, peut-être un peu adaptée à une clientèle du centre-ville. Le poulet est fièrement “de Noailles”, il y a une proposition vegan, un dahl. Il y a aussi une proposition de poisson, du barracuda, cette espèce originaire de l’océan Indien qu’on retrouve désormais sur les côtes du nord de la Méditerranée. Encore des preuves du métissage gastronomique de la culture culinaire comorienne.

Le barracuda frit du restaurant Douceur Piquante, à Marseille. (Photo : Illiès Hagoug)

La cheffe, voyant s’installer une table de mamans, se demande si la sauce est trop piquante. Elle fait goûter au serveur, non sans un bisou familial sur la joue, qui ne la juge pas trop épicée. “Et pour eux ?”, demande-t-elle. Haussement d’épaules en réponse, il décrira prudemment la sauce aux clientes comme “un peu relevée”.
Le barracuda est donc petit, mais servi entier, frit, accompagné de fenouil au curcuma. Et de cette fameuse sauce, qui est à la fois fruitée et, en effet, un peu piquante.

Face à l’interrogation de votre humble serviteur, la cheffe répond : “C’est une sauce spéciale, de ma création.” Que contient-elle ? “Beaucoup d’amour et de passion.” Comment s’appelle-t-elle ? “Je viens de décider de l’appeler la sauce curieuse, comme vous.” Le devoir de journaliste fait une nouvelle apparition face à cette non-réponse et le serveur est à son tour interrogé. Mais comme une bonne communication institutionnelle, la phrase est déjà répétée : “La sauce ? Elle est faite de beaucoup d’amour et de passion.”

Commentaires

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  1. Clément Yana Clément Yana

    LES TERRASSES DE MORONI
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