29 % de logements sont situés en résidences fermées à Marseille
29 % de logements sont situés en résidences fermées à Marseille
Marseille compte plus de 1500 résidences fermées. C’est l’une des observations de l’étude commandée* par la Ville que le Laboratoire Population Environnement Développement d’Aix-Marseille Université (LPED) va publier fin mars. La recherche porte sur le phénomène des résidences fermées, croissant à Marseille depuis les années 2000. La chercheuse en géographie Elisabeth Dorier et le doctorant Julien Dario répondent à nos questions.
Marsactu : Depuis le premier inventaire réalisé par votre laboratoire en 2010, le nombre de résidences fermées a-t-il encore augmenté ?
Elisabeth Dorier : Oui, du fait de la fermeture de résidences qui étaient ouvertes et de la construction de nouveaux programmes immobiliers construits fermés. D’une estimation de 20% environ des logements en 2009 on est passé à 29% aujourd’hui (peut-être aussi parce que nous disposons de chiffres plus précis).
Quelle est la localisation de ces résidences ?
E.D : Il y a plus de 1500 résidences fermées à Marseille en 2013. Les fermetures touchent toujours particulièrement les quartiers Sud (8e et 9e arrondissements). Mais la tendance s’est développée en périphérie, au Nord et à l’Est (11e, 12e, 13e, 14e et 15e arrondissements). Si l’on regarde la carte de Marseille, c’est saisissant : le phénomène s’est généralisé.
Marseille est-elle une exception française ?
E.D : Il s’agit d’une tendance sociétale. Mais si en Ile-de-France, à Toulouse, sur la Côte d’Azur, à Nantes ou Montpellier il y a eu des études de quartiers qui sont donc partielles, on peut quand même affirmer que le phénomène reste principalement péri-urbain et touche surtout les lotissements. Marseille est certainement une exception parmi les grandes agglomérations, par ses importantes proportions intra-urbaines: tous les types de logement sont concernés (ancien, récent, individuel, collectif). En outre, Marseille reste particulière en ce qu’elle affiche depuis un siècle une politique assez libérale dans sa politique d’urbanisation et un certain “laisser-faire”.
Cela dit, aucune autre ville de France n’a fait l’objet d’un tel protocole d’étude, avec géolocalisation systématique. Nous envisageons d’appliquer la même méthodologie à d’autres espaces (pays d’Aix, Var) afin d’en évaluer les dynamiques régionales de ce phénomène.
La plupart des résidences fermées le sont-elles a posteriori ou sont-elles construites directement ainsi ?
E.D : Pour un peu plus de la majorité des cas, soit 55 %, les résidences fermées le sont a posteriori, parfois un an après. Celles directement fermées lors de la construction représentent 43 % d’entre elles. Pour 2 % des cas nous n’avons pas la date de fermeture. Une grande majorité (62%) des programmes construits depuis 1993 sont désormais stéréotypés, tant du point de vue de l’architecture que de l’enclosure, comme à Sainte-Marthe ou Château-Gombert.
Quel type de résidences fermées trouve-t-on à Marseille ?
E.D : Une majorité sont des copropriétés datant des années 50 à 70 et sont fermées a posteriori (Château sec par exemple dans le 9ème) ou encore des ensembles HLM résidentialisés, ou de petits lotissements pavillonnaires anciens, parfois modestes, des années 30. Finalement, on trouve peu de résidences huppées, même si celles-ci sont spectaculairement étanches et sélectives. C’est une des originalités de cette étude que de montrer que la tendance générale est bien loin du “ghetto bunkérisé” pour riches. Au Plan d’Aou par exemple, s’applique une politique de construction de logements neufs fermés destinés à des classes moyennes, primo accédantes, avec l’objectif de créer une mixité sociale dans des quartiers paupérisés. C’est le cas des Terrasses de la Méditerranée.
Pourquoi la Ville commande-t-elle cette étude aujourd’hui ?
E.D : Le phénomène a commencé à se généraliser dans le courant des années 90 mais a pris véritablement une apparence massive dans les années 2000. C’est donc un phénomène assez récent dont le LPED a donné une vision d’ensemble seulement en 2010, lors d’une étude commandée par le PUCA (Plan d’urbanisme construction architecture). Consciente des conséquences que pouvaient avoir ces résidences sur les déplacements et la cohérence des quartiers entre eux lorsque la fermeture coupe des axes traversants, le service de planification urbaine nous a alors demandé de quantifier précisément son impact sur la voirie. Ça a même été le point de départ d’une thèse actuellement en cours (cf. Infra avec Julien Dario).
Quels sont les outils dont la Ville dispose pour contrôler le phénomène des fermetures abusives de voies ?
E.D : Il faut bien comprendre les tenants et aboutissants du problème. La gestion, des voies “publiques” relevait traditionnellement de la Ville, mais en 2002 un transfert de compétences a eu lieu vers la communauté urbaine avec au passage de nombreux problèmes de transmission qui sont toujours d’actualité.
Or le problème réside bien là, nombre de voies sont restées historiquement privées à Marseille et c’est précisément elles qui se ferment aujourd’hui. Si une voie a été fermée dans les règles (avec dépôt de permis) et que les pouvoirs publics décidaient en cas de gêne avérée pour les riverains de la rouvrir, il faudrait a priori qu’ils en fassent l’acquisition, ce qui représenterait un coût conséquent.
La Ville n’a donc plus aucun pouvoir sur ce phénomène ?
E.D : Si car la Ville demeure l’institution de référence dans l’instruction des déclarations préalables de travaux ou permis de construire qui doivent nécessairement accompagner la pose d’un dispositif de fermeture. Le code de l’urbanisme stipule en effet que même si un espace est privé, on n’a pas le droit de faire tout ce que l’on veut, ce qui est logique. Techniquement, la Ville pourrait donc très bien inspecter les fermetures informelles les plus contraignantes et demander leur réouverture, l’avantage est que nous avons déjà fait un relevé très précis des fermetures résidentielles de la Ville. Mais, pour cela il faudrait une position de principe claire et forte des élus, sur la fermeture résidentielle.
A titre de précision, nous n’estimons pas que la résidence fermée constitue un mal en soi. Des gens veulent se protéger de nuisances, comme les encombrements de véhicules, les dégradations et incivilités, le bruit, ce qui peut être compréhensible. Nous pointons seulement les difficultés que cela peut engendrer dans certaines parties de l’espace urbain s’il n’y a pas de régulation. Électoralement, il est difficilement tenable pour les candidats de prêcher l’ouverture. Par contre il faudrait vraiment qu’une instruction soit menée sur la légalité de ces fermetures pour demander ou non leur réouverture.
Pouvez-vous chiffrer ces abus de fermetures ?
E.D : Sans pouvoir vous donner de chiffres car nous nous basons sur des sources non divulgables, nous savons que ces abus existent dans des proportions importantes. Une idée fausse persiste selon laquelle si ce qui n’est pas interdit est forcément autorisé… Pour le cas de Coin-Joli par exemple, le tribunal administratif a débouté la Ville en 2006 qui s’opposait à la fermeture de voies par les propriétaires. Du coup, le conseil syndical des résidents s’est basé sur cette décision pour poursuivre la fermeture, sans faire une demande préalable de permis de construire à la Ville !
Pour votre part Julien Dario, sur quoi portent plus précisément vos travaux ?
Julien Dario : J’ai commencé ma thèse depuis novembre 2012 grâce à une bourse de la Région PACA. Elle est dirigée par Elisabeth Dorier et Sébastien Bridier et intitulée “Fragmentation urbaine et qualité environnementale, une étude des continuités et discontinuités de la trame viaire à Marseille”. Je suis en accueil au LPED et à la Ville de Marseille qui s’intéresse particulièrement à l’extension de ce phénomène. Cette thèse se centre sur l’impact des résidences fermées sur le réseau de voirie et par extension sur les déplacements. Mon travail vise à identifier les voies traversantes fermées qui ont une importance pour la cohésion de la ville, évaluer l’impact local des fermetures d’accès secondaires, notamment les allongements de trajets pour les piétons ou le report du trafic automobile sur des axes congestionnés. Il y a aussi un intérêt pour la planification des déplacements “doux”. Je mène aussi une réflexion prospective.
L’impact est-il le même sur l’ensemble des quartiers de Marseille ?
J.D : Non, il n’est pas uniforme, on s’est parfois aperçu que des quartiers comme Sainte-Marguerite (dont le lotissement Coin-Joli fait partie) sont complètement “sclérosés” par la fermeture résidentielle et à l’inverse qu’elle n’avait pas de conséquences dans d’autres quartiers. Quoi qu’il en soit, près de 11% du linéaire des voies de Marseille est enserré dans une forme résidentielle fermée ou touchée par un obstacle quelconque (plots, blocs de pierre).
Plus grave encore, 214 résidences bloquent un ou plusieurs axes dits “traversants”, c’est-à-dire qui jouent un rôle premier dans les déplacements quotidiens des piétons, vélos, véhicules motorisés etc.
Mon travail montre que le phénomène pourrait s’amplifier dans les années à venir. Les nouvelles fermetures sont une partie du problème. Mais que penser de la multiplication des projets immobiliers qui augmentent sensiblement le trafic routier sans que le réseau ne soit amélioré?
Quels sont les facteurs explicatifs de cette fermeture ?
J.D : Le problème originel est que la trame actuelle de voirie comporte de nombreuses voies privées qui n’ont jamais été rétrocédées à la Ville (et depuis 2002 à la communauté urbaine MPM), malgré les demandes souvent répétées des habitants, car les collectivités veulent minimiser leurs frais. Il faut savoir que le phénomène est basé sur une historicité. Beaucoup de ces voies privées de lotissements datent des années 30 ou après. Pendant des dizaines d’années elles étaient ouvertes. Mais ces 15 dernières années, les copropriétaires de ces voies privées ont commencé à fermer de manière rapide et c’est là que l’on a commencé à cibler des problèmes de traversabilité et de cohérence du réseau. Cela engendre parfois des difficultés de circulation automobile, de mobilités piétonnes ou d’accès à des équipements tels que des écoles, comme c’est le cas à Coin-Joli.
Qu’est-ce qui est envisagé pour atténuer ce problème ?
J.D : Sur cette question, je travaille beaucoup avec la Ville de Marseille et bientôt avec MPM avec lequel nous sommes en train de signer une convention pour mieux analyser ces fermetures et leurs possibles irrégularités. Cibler des cas de fermetures gênantes pour les déplacements quotidiens permet certes de cibler certains cas méritant une réflexion, voire une intervention, mais ça ne suffit pas. Il faut aussi réfléchir à comment agir sur elles, surtout lorsqu’elles se font dans une informalité absolue. Pour ça il faudrait que les collectivités parviennent à clarifier le statut de certaines voies quand les documents de propriétés ont parfois été perdus… Concernant les nouvelles voies résidentielles, la position de la Ville ou de MPM n’est toujours pas claire. On suit par exemple un projet à Saint-Louis (Opération Valnaturéal), très fortement porté par la mairie comme une opération de renouvellement urbain mais où un doute subsiste encore sur la possibilité de rétrocession des voies alors qu’il est affirmé depuis le début qu’elles resteront ouvertes…
* Une étude pilotée par Elisabeth Dorier et Sébastien Bridier, enseignants-chercheurs Aix Marseille Université, elle a également été menée par des doctorants : Julien Dario, Gwénaëlle Audren, et Damien Rouquier, ingénieur d’étude.
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Echec de l’éducation, échec de l’école, échec de la ville.
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Un excellent sujet, une interview bien menée, des réponses précises, nuancées, compétentes. Merci pour ces informations très éclairantes!
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Entretien très intéressant qui pointe in fine, le clientélisme et l’incurie des élus en termes de gestion urbaine: voirie, déplacements, espaces publics. Une nouvelle fois le laisser-faire habituel est à l’œuvre au profit de certains et au détriment d’un grand nombre.
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