Zones franches urbaines : au-delà du lobbying

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le 8 Juin 2011
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Zones franches urbaines : au-delà du lobbying
Zones franches urbaines : au-delà du lobbying

Zones franches urbaines : au-delà du lobbying

Des élus marseillais, gauche et droite confondue, qui se mobilisent – certes dans un cadre national mais avec pour épicentre Marseille – pour défendre les moyens alloués par l’Etat aux quartiers défavorisés de la ville : ce qui s’est passé lundi est assez rare pour être souligné (vivement la même sur les crédits transports). Avec une quarantaine de collectivités de l’Hexagone qui accueillent des zones franches urbaines (ZFU), le maire Jean-Claude Gaudin (UMP) et le président de la communauté urbaine Eugène Caselli (PS) ont signé une déclaration commune appelant notamment à la prolongation de ce dispositif. Appelé à s’éteindre le 31 décembre 2011, il consiste à accorder des avantages fiscaux aux entreprises (sous conditions, notamment de taille et d’emploi local) qui s’installent dans l’une de ces 100 ZFU (dont deux à Marseille : Nord Littoral, créée en 1997, et 14e/15e Sud créée en 2004).

Boom économique

Marseille qui marque le point de départ d’« un tour de France », Gaudin promettant pour sa part des interventions auprès de François Fillon et d’Alain Juppé, qui était premier ministre lorsque – alors ministre de la Ville – il a lancé les ZFU en 1997. En attendant, à la station Alexandre, ancienne gare signée Gustave Eiffel qui accueille désormais entreprises, brasserie et événements culturels, Caselli, tout comme Gaudin et son premier adjoint Roland Blum, ainsi que Jean-Luc Blanc, vice-président de la chambre de commerce et d’industrie Marseille Provence ont récité les mêmes chiffres : 3800 entreprises (+150% depuis 1997) et 13 000 emplois créés (+129%).

Constat politique partagé encore lorsque Eugène Caselli estime que le « bonus fiscal » pour l’Etat de la fin des exonérations « commencerait par imposer un malus social à des quartiers qui n’en ont pas besoin » et que Roland Blum souligne que « les recettes économiques et sociales dépassent largement le coût fiscal ». Adjoint PS à la mairie d’Evry  (Essonne) en charge des questions économiques, Farouk Alouani confirme à sa manière : « On peut embellir nos quartiers, mais si nous ne donnons pas l’opportunité aux habitants d’avoir un emploi nous n’améliorerons pas les choses ».

La position du rabat-joie

Reste que, sans contester « l’effet ZFU », largement reconnu, le sujet mérite un autre éclairage que le simple relais de l’opération de lobbying « Ensemble pour l’avenir des ZFU » – assumée et même revendiquée – des élus à l’initiative de la Fédération nationale des associations d’entrepreneurs en zone urbaine sensible (FNAE-ZUS). Quitte à être taxés de rabat-joie, tâchons donc de pousser un peu plus loin que ne l’ont fait certains de nos confrères. Comme par exemple le ménage pas très clean d’Yves Blisson, qui livrait lundi matin une chronique dithyrambique sur France Bleu Provence quand Blisson Yves animait le Forum marseillais…

Première précision : contrairement à ce qu’ont laissé entendre nombre de patrons, ne répondant pas de l’avenir de leur boîte en cas d’arrêt des aides, celui-ci ne vaut que pour les nouvelles installations : toute entreprise déjà sur place, ou même emménageant avant le 31 décembre, en bénéficiera dans leur intégralité. Deuxième élément, davantage souligné par les politiques : les ZFU « doivent être couplée avec la question des déplacements, la question foncière, le renouvellement urbain, la formation, l’insertion », comme l’a rappelé Maurice Charrier, vice-président du Grand Lyon.

Les bons chiffres marseillais, comme ailleurs où les ZFU ont réussi, s’expliquent donc aussi par d’autres actions. Exemple : le ratio 6 euros d’investissement privé pour 1 euro public investi correspond, non pas aux exonérations, mais aux sommes débloquées pour accompagner le développement des ZFU (travaux de voirie, implantation d’espaces verts, d’équipements culturels et sportifs, de villages d’entreprises…)

Une question de génération

DR ZFU Marseille Provence

Autre rappel – élémentaire mais rarement mentionné clairement – la fin du dispositif ne découle pas d’un quelconque coup de rabot de l’Etat en temps de caisses vides (les ZFU coûtent – en brut pour le Trésor public – environ 500 millions d’euros par an), mais était prévu depuis 2006, date d’une loi qui marque la création de la « 3e génération » de ZFU (15 zones supplémentaires). Une loi qui prévoyait aussi la prolongation des deux générations précédentes, la première ayant déjà eu droit à un bonus de cinq ans en 2003.

Ce qui nous amène tout droit à la question de la diversité des ZFU. A Marseille, la zone Nord Littoral (qui sur 215 ha va grosso modo de Mourepiane à Plan d’Aou en longeant Grand Littoral, voir la carte ici) bénéficie depuis 14 ans du coup de pouce. Et est, du moins pour Saumaty-Séon, « pleine comme un oeuf » comme l’a résumé Pascal Schori, monsieur immobilier d’entreprises à la FNAIM13. Aujourd’hui, la zone « fonctionne », assure-t-il, et, avec sa « desserte fabuleuse, proche du centre-ville, de l’aéroport » elle était même de toute manière promise à un bel avenir, la ZFU ayant juste « accéléré le développement ».

Faut-il aussi prolonger cette zone, et celles qui ont rempli leur mission ? Difficile de faire rentrer les « lobbyistes » dans cette nuance. Mais à une proposition de loi portée par les socialistes le 12 mai, et notamment défendue au micro par le député du 16e Henri Jibrayel (PS), le ministre de la Ville Maurice Leroy a répondu qu’il attendait le rapport de la mission mandatée sur le sujet mais que « d’ores et déjà », il assurait « que nous prolongerons les zones franches urbaines, ce qui ne veut pas dire toutes les zones franches urbaines ». Et dans une interview mardi aux Echos, le député Eric Raoult (UMP), qui dirige la mission, ouvrait la porte à un moratoire de deux ans qui permettrait de rééxaminer au cas par cas l’utilité des zones.

Encore 5 ans monsieur le bourreau

« C’est trop court », répond-on du côté de MPM, qui s’inquiète surtout pour la zone 14e et 15e Sud (qui regroupe sur 442 ha  de nombreux quartiers comme la Cabucelle, le Canet, Saint-Barthelemy, voir la carte ici), plus jeune. « Il faut du temps », plaide-
t-on, notamment car jusqu’à présent la ZFU « se fait par le privé car nous n’avions pas de foncier ». Or, la mise en mouvement se précise : rachats de parcelles, réflexion lancée par la Soleam (bras armé immobilier de la mairie) « sur l’organisation spatiale »…  »On vient d’obtenir deux Pole Emploi spécialisés sur les ZFU » et MPM va mettre « 2 millions d’euros sur un projet de pôle de création à la Cabucelle qui devrait sortir en 2014″ et permettra aux patrons en herbe, en particulier issus du coin, de trouver des locaux à des conditions plus favorables et de disposer d’un « centre de ressources complet ».

Pour Pascal Schori aussi, qui rappelle que cette seconde zone n’a pas la desserte de la première et nécessite encore des aménagements en terme de voirie et de stationnement, elle n’est pas encore prêt à voler de ses propres ailes. Mais les collectivités n’ont-elles pas trop tardé à investir les lieux ? C’est ce que laissait entendre Xavier Giocanti, mari de Christine Lagarde et l’un des gros poissons des ZFU marseillaises [1], dans l’un des rares exercices critiques du Forum : « il manque quelque chose : des services publics. On est venus, on a investi, et on ne voit pas trop La Poste, les collectivités. »

Sans parler des transports en commun, pourtant identifiés comme une des clés pour le développement des quartiers, notamment dans cet avis du conseil économique et social : la station de métro Capitaine Gèze et le bus à haut niveau de service vers Saint Antoine, sur lesquels a insisté Eugène Caselli, n’arriveront que dans trois ans. Quant au coeur de la première ZFU (Saint Henri/Saint André) il devra attendre la mandature 2014-2020 pour voir arriver le tramway. Environ 20 ans après sa création…

Mercato et infirmières

Cliquez pour agrandir. Agam

Prolongées, les ZFU devront aussi muscler l’aspect évaluation, très lacunaire de la part de l’Etat – seuls le nombre d’emplois et d’entreprises est comptabilisé – pointe MPM, qui a de son côté fait plancher la Banque de France et l’Agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise. Si les « oiseaux de passage » (entreprises qui s’envolent après cinq ans, durée après laquelle une grande partie des aides saute) et les « boîtes aux lettres » (domiciliation fictive en ZFU) évoquées par Eugène Caselli sont rejetés par d’autres comme des phénomènes marginaux et régulés, certains effets des mesures seront donc à surveiller.

En 2008, l’Insee calculait que « la croissance des transferts (d’entreprises, par opposition à une création stricto sensu, ndlr) contribue à hauteur des 2/3 à la croissance des flux d’établissements ». Pour habiller Paul, qui en a certes bien besoin, on déshabille donc avant tout Jacques. « S’il n’y a pas de transfert, il n’y a pas de dynamisme », nuance-t-on à MPM, qui ajoute « qu’aides ou pas, avant qu’une entreprise nouvelle, une TPE, fasse du chiffre d’affaire, il faut du temps » et que les aides sont aussi bien indiquées pour « accélérer les entreprises qui commencent à se développer ».

Autre reproche fréquent, adressé là aussi par Eugène Caselli : la place importante prise par les professions libérales qui viennent chercher là des conditions favorables indépendamment de leur activité. « Dans mes immeubles, les cabinets d’avocats venus du centre-ville sont installés. Là où on est peut-être plus tangents, c’est sur des professions comme les auxiliaires de santé, qui travaillent à l’extérieur », glisse, très cyniquement Xavier Giocanti. Mais les infirmières doivent au minimum réaliser 25% de leur chiffre d’affaires en ZFU, rappelle-t-on à MPM et cela fait « partie de la mixité générale », estimait au Forum le directeur des grands projets de Toulon Alexis Villemin.

Une diversité qui pourrait bien s’étioler après la concentration des aides sur les bas salaires décidée par l’Etat en 2009, glisse-t-on d’ailleurs à MPM : « cela permettait de faire venir des entreprises qualifiées, on mixait les profils ce qui tirait le territoire vers le haut ». Sans compter qu’« on change en cours de route la règle du jeu pour des entreprises parties sur un budget x et qui se retrouvent avec 100 000 euros de charges en plus ». Raison de plus pour remettre à plat le dispositif, au-delà des cris de « sauvez les ZFU »…

[1]Interrogé sur un éventuel conflit d’intérêt entre la position au ministère de l’Economie de sa femme et ses activités dans les zones franches, Xavier Giocanti nous répond qu’elle  »ne s’en occupe pas et n’a jamais pris la moindre disposition sur les ZFU. Et de toute manière, ce serait d’ordre général. Ce serait dommage de limiter son éventuelle rôle à travers ce prisme d’une seule personne »

Un lien Profil des salariés des zones franches marseillaises, par l’Agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise

Un lien Le site ZFU Marseille Provence

Un lien La situation des quartiers défavorisés par l’Observatoire national des zones urbaines sensibles

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Commentaires

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  1. Dankan Dankan

    Le bilan des zones franches est loin d’être convainquant. Elles coûtent finalement cher à la collectivité pour une efficacité limitée. Elles n’ont pas uniquement entraîné des créations d’emplois, mais aussi des relocalisations. Et surtout, le coût de 30 000 euros pour des emplois somme toute peu qualifiés, pose une question majeure : les 400 M€ qu’elles ont coûté à Marseille aux contribuable, n’auraient-elles pas permis de créer plus d’emplois, plus qualifiés, par une autre mesure publique.
    Voir ces deux excellentes analyses :
    http://boulesteix.blog.lemonde.fr/2010/11/24/zfu-rester-lucides/
    et
    http://boulesteix.blog.lemonde.fr/2010/07/01/zones-franches-soyons-francs/

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  2. Dankan Dankan

    Simple remarque d’économiste que je suis : la façon la plus efficace de créer des emplois peu qualifiés aujourd’hui est de créer des emplois qualifiés ! Si on crée un emploi non qualifié, on fait vivre une personne. Quand on crée un emploi d’ingénieur, cela induit 4 à 6 emplois. Donc ce n’est pas l’un ou l’autre, mais l’un et l’autre. Les articles que j’ai mentionné indiquent simplement que si l’on avait utilisé une partie des sommes consacrées au ZFU pour des emplois plus qualifiés, l’emploi total créé aurait été supérieur. Je partage ce point de vue qu’en la matière, c’est l’effet de levier qui doit être recherché et que ceci a été occulté.

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