Yes we camp transmet les clés du parc Foresta aux acteurs du quartier
Après six ans de gestion, Yes we camp quitte le parc Foresta. L'association passe la main à des acteurs du Nord du 15e arrondissement pour inscrire le projet dans le temps, dans ce secteur où les lieux de vie partagés sont rares.
Les lettres de Marseille, au coeur du parc Foresta. (Photo : LC)
“Avant, quand on dévalait la pente, on glissait. Mais il y a des escaliers maintenant, c’est bien !” Installer des escaliers sur un terrain vague et vallonné peut paraître accessoire. Mais pour Anissa Cheurfa, présidente du CIQ de la Viste, comme pour beaucoup d’habitants de ce coin des quartiers Nord, c’était bien une priorité. Sur les 16 hectares de collines qui forment aujourd’hui le terrain Foresta, juste à côté de Grand Littoral (15e arrondissement), il y a donc des escaliers, mais aussi des parcours sportifs et des rings de boxe, un jardin de permaculture, un poulailler pédagogique, un centre équestre, des buvettes et une somme d’autres projets encore embryonnaires.
Tout cela est sorti de terre au cours des six dernières années depuis que Yes we camp a pris la gestion des lieux en 2016. Ce collectif d’envergure nationale, spécialisé dans les projets d’occupations temporaires, est aussi à la tête de Coco Velten. C’est la société Résiliance, propriétaire de cet immense terrain non constructible, qui lui a confié les clés à l’époque, dans le cadre d’une convention d’occupation temporaire de huit ans. Mais en ce début d’année 2022, la structure a décidé de passer la main. L’information, parvenue à Marsactu, est confirmée par Nicolas Détrie, co-fondateur de Yes we camp : “c’est une évolution de la gouvernance, oui. Cela prend du temps, car le projet est lourd. C’est certainement le plus gros projet jamais porté par Yes we camp.” Les discussions avaient commencé cet été. Puis à la mi-décembre, une réunion en visioconférence a permis d’inaugurer le conseil d’administration de cette nouvelle association, sobrement intitulée Foresta.
Une passation inédite
Nicolas Détrie a vu émerger des projets partout en France, mais il explique que “c’est la première fois que Yes we camp engendre la création d’une entité entièrement dédiée à un site.” Pourquoi ici ? “Parce que Foresta, c’est 16 hectares, dans un secteur où il y a très peu d’équipements collectifs. Ça n’était pas possible de s’arrêter là, sans penser sur le long terme avec les acteurs locaux.”
Le conseil d’administration de cette nouvelle entité témoigne d’une volonté collective de laisser une voix à chacun. Nicolas Détrie, qui n’est aujourd’hui plus salarié de Yes we camp, y occupe un siège. À ses côtés, on retrouve Anissa Cheurfa, mais aussi Mounir Ghares, président du centre social del Rio à la Viste, Chadly Karamane, acteur associatif de la Castellane et fondateur du ranch de Foresta ou encore Tamara Béard, adjointe à la mairie des 15/16. Marsactu n’a pas réussi à joindre le représentant de Résiliance dans le cadre de cet article, mais selon nos interlocuteurs, il a donné son accord à cette passation.
Aujourd’hui, non seulement les jeunes peuvent jardiner ou voir des chevaux, mais en plus il y a même les bobos du centre-ville qui viennent chez nous !
En quelques années, le travail accompli par Yes we camp semble avoir fait l’unanimité en réalisant l’essentiel : rendre le site accessible pour la jeunesse du quartier. “Nous, on a toujours connu cet endroit, explique Anissa Cheurfa du CIQ la Viste. Mais il n’y avait rien pour y occuper les jeunes alors qu’aujourd’hui, non seulement ils peuvent jardiner ou voir des chevaux, mais en plus il y a même les bobos du centre-ville qui viennent chez nous !” Pour Mounir Ghares du centre social, “les choses prennent une bonne tournure. Ça fait 15 ans qu’on essaye de faire sortir les gens de la cité. À la Viste, il n’y a même pas de balcons. On est enclavés par l’autoroute. Foresta, ça crée un espace de médiation entre nous, la Bricarde, la Castellane…”
Des débuts difficiles
Mais tout n’a pas été simple. “Il y a eu aussi du négatif, des malentendus. Mais maintenant on va essayer de se mettre vraiment tous autour de la table”, élude Mounir Ghares. Un autre acteur du quartier, qui ne souhaite pas être cité, se montre plus bavard sur les débuts difficiles du projet : “Ils sont arrivés comme ça, avec tous leurs financements, alors qu’ici il y a des structures qui galèrent depuis 30 ans sans obtenir de subventions… C’est comme si quelqu’un vient chez vous, là où vous habitez depuis longtemps, et qu’il change votre déco, qu’il se sert dans votre frigo, et qu’il vous dit pas toujours bonjour. Bien sûr, ça a été mal perçu au départ !”
Nicolas Détrie s’en souvient aussi: “au début, on a passé notre temps à se demander ce qu’on pouvait faire ici, sans être d’ici. Mais aujourd’hui, on dit aux gens : on ne sait pas, et c’est pour cela qu’on va faire émerger les choses par les acteurs du quartier. On n’a pas une légitimité locale, on a une légitimité de méthode.”
Chadly Karamane, gérant du ranch de Foresta, reconnaît que la communication a pu être délicate entre les natifs du quartier et le collectif Yes we camp. “Mais c’est pas forcément eux qui avaient voulu ce conflit. C’est la société. C’est ceux qui décident de financer les gens qui ont du réseau et qui sont déjà connus, pendant que nous, on habite dans un secteur délabré, qu’on a trop la tête dans le guidon pour monter des dossiers de subventions.”
Le ranch de Chadly Karamane compte aujourd’hui trente chevaux. À l’origine, cette figure de la Castellane était surtout connue pour son association d’arts martiaux. Il a fait la connaissance de Yes we camp lors de la foire de Marseille, en 2019. Il rencontre aussi Gurvan Lemée, gérant de la société Résiliance et obtient l’autorisation d’occuper un bout de terrain à Foresta gratuitement. Chadly Karamane commence alors à louer ses premiers poneys. Aujourd’hui, il anime des activités équestres et organise des déambulations à la Castellane. “C’était une scène de science-fiction pour les gens”, décrit-il. Maintenant qu’il détient son siège au CA de l’association Foresta, il espère développer de nouveaux projets, comme la mise au point d’une formation équestre diplômante à destination des jeunes du quartier.
Une présidente “élément neutre”
Rim Mathlouthi, présidente du nouveau conseil d’administration aura parmi ses missions de mettre en place une communication plus horizontale. Cette journaliste pour Arte qui vit entre l’Alsace et le Maghreb, engagée dans une association de permaculture, n’est pourtant pas du coin. Elle précise avoir été choisie comme un “élément neutre” : elle n’a vécu à Marseille qu’au début de sa carrière et ne connaît “aucun élu ici”. Elle explique avoir adressé à tous les acteurs locaux un questionnaire pour définir les priorités du site. “Tout le monde a le même objectif : que les jeunes du quartier se sentent mieux. Mais les gens ne fonctionnent pas en mode projet. La première chose que l’on va faire, c’est un renforcement de compétences de chacun.”
Pour Nicolas Détrie, l’enjeu de l’avenir est aussi celui des financements. Jusqu’à présent, Yes we camp avait pu compter sur des leviers classiques, mais importants : des subventions étatiques et européennes destinées aux projets éphémères. “Mais en inscrivant Foresta dans le temps, on doit trouver des financements durables et obtenir le soutien des collectivités locales”, explique-t-il. Parce que les structures qui occupent aujourd’hui un bout de verdure à Foresta n’ont pas à elles seules les revenus pour faire vivre et entretenir le lieu, l’avenir du projet en dépend.
Commentaires
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Bonjour, j’ai cru entendre que le propriétaire du terrain était un très proche de Christine Lagarde, auquel l’ancienne mairie aurait cédé, les je ne sais plus combien d’hectare de terrain, pour la modeste somme de 200 000 euros. Dans un flou administratif bien pratique. Est ce que vous savez quelque chose ? Ou ce n’est pas exact ?
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Le travail de Yes we camp mais aussi de Chadly, est formidable et je suis bien contente, moi bobo du centre ville, d’emmener ma fille faire du poney chez Chadly plutôt qu’à Patré ! On va suivre tout ça de près !!!
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