[Vivre à Noailles] Le casse-tête de la gestion urbaine de proximité
Deuxième épisode de notre série sur Noailles, la gestion urbaine de proximité consiste à améliorer le quotidien des habitants en limitant les dysfonctionnements. Appliqué à un quartier populaire doublé d'un grand quartier commerçant, le chantier est sans fin.
La place des Capucins où se tient le seul marché permanent de la ville.
GUP ! Ainsi fait Sisyphe quand il déglutit avant de pousser son rocher, rue d’Aubagne. Sous les trois petites lettres de l’acronyme se cache un casse-tête quotidien à Noailles, mieux connu sous l’appellation commune de gestion urbaine de proximité. Ce dispositif administratif “vise à améliorer le cadre de vie d’un quartier” et réguler ses dysfonctionnements.
Dans le quartier le plus dense de Marseille – son ventre même – cela signifie gérer au quotidien l’importante offre commerciale aux étals débordants, empêcher la vente à la sauvette, assurer le respect des règlements, la propreté et le ramassage des ordures, entretenir le mobilier urbain, l’éclairage, offrir des cheminements doux et des espaces verts…
Autant de points durs dont les politiques promettent l’amélioration dans les mois qui suivent leur élection. C’était le cas en 2008, à l’arrivée de Patrick Mennucci à la mairie de secteur. Depuis son arrivée dans le même siège, en 2014, Sabine Bernasconi s’est donnée les mêmes missions. Avec, du côté des habitants, une irritante impression de déjà-vu.
“Tout de même les choses changent, souligne la maire de secteur (LR). Depuis deux ans, nous travaillons en étroite collaboration avec les services de la préfecture de police. Et il y a une amélioration très nette de la sécurité dans le quartier. Même chose pour la propreté. Interrogez les habitants, vous verrez qu’il y a du mieux.”
“Il reste beaucoup à faire”
Interlocuteur privilégié des pouvoirs publics quelle que soit leur couleur politique, Yves Baussens troque très vite son bonnet de charcutier contre la casquette du président de CIQ dès qu’on lui parle de gestion urbaine de proximité. Sur l’insécurité et la propreté, il le reconnaît, il y a du mieux “même s’il reste beaucoup à faire”. Des phrases qu’on a entendu tomber de sa bouche dans le même ordre en 2011, lors d’une visite du préfet de police de l’époque Alain Gardère en compagnie du maire Patrick Mennucci. Car le marché de la place des Capucins concentre une grande partie des points durs de cette gestion urbaine de proximité qui concerne un grand nombre de services municipaux et de la métropole.
Il suffit à Yves Baussens de tracer un cercle de quelques mètres autour du pas de sa boutique pour que s’amoncèlent les problèmes. Sa bête noire : le marché permanent de la place des Capucins. “C’était un beau marché avant. Mais regardez, il n’y a plus que des légumes. Pas de volailles, pas de fromages… Et c’est le seul endroit de la ville où il y a un marché six jours sur sept de 5 h 30 à 8 h du soir. Ils sont censés enlever les ordures mais quand ils partent, c’est un vrai chantier. Moi, je mets à la place des habitants”.
Arbres coupés
Il accuse même certains vendeurs d’avoir coupés deux arbres pour étendre leur emplacement… Au nez et à la barbe des services municipaux, assure-t-il. Son souhait : que le marché s’arrête à 14 h “comme ailleurs dans la ville” et – pourquoi pas – s’installe dans la bourse de travail Force ouvrière installée au-dessus de l’ancienne gare de l’Est. Une façon radicale de régler le problème de sa gestion quotidienne.
À quelques mètres à peine, installé à son stand de fruits et légumes, Pascal Siani ne l’entend pas de cette oreille. “Ce marché existe depuis 80 ans. J’y ai succédé à mon père qui lui-même avait repris après sa mère. Mon frère, c’est pareil. Nous ce qu’on veut, c’est faire notre travail tranquillement”. Les arbres coupés ? “Ils étaient malades et devaient être remplacés. On attend toujours. Si on a agrandi nos emplacements c’est avec l’accord de la Ville, vous pensez bien. Je ne sais pas qui vous a raconté ça…”
Légumes versus charcuterie
Le marchand de légumes et le charcutier se font face depuis plusieurs décennies, sans aucune aménité. Pascal Siani assume : “On peut nous faire tous les reproches du monde mais 99 % des marchands enlèvent leurs ordures en fin de journée. On les dépose à la déchetterie du marché des Arnavaux où on paie pour cela. On laisse un sac de 120 litres derrière nous et on balaie. C’est pas nickel mais c’est fait”. Son rêve est lui aussi de voir construire une halle permanente en lieu et place du marché.
“Le projet de halle n’est malheureusement pas possible, constate Sabine Bernasconi. Nous avons regardé cela avec Marie-Louise Lota [en charge des emplacements à la Ville, ndlr] et la place est trop petite. Cela ne nous empêche pas de réfléchir à une amélioration du quotidien avant de lancer le projet de rénovation de la place”. Deux réunions sont prévues sur ce thème à la fin du mois.
“Une vieille maison qui avance lentement”
Une perspective qui laisse froid Pascal Siani. “Vous savez des projets, j’en ai vus. La Ville est une vieille maison qui avance lentement. Ces travaux devaient être faits à l’été 2016. On les attend toujours. Ils ont été retardés en même temps que ceux de l’hôtel. Ils devraient donc se faire après”. Effectivement, lors de l’annonce du lancement du chantier de l’hôtel, en décembre dernier, l’adjointe à l’urbanisme Laure-Agnès Caradec annonçait que les travaux de voirie seraient réalisés en toute logique une fois ceux de l’hôtel finis, en 2018.
Or, les rues adjacentes ont bien besoin d’être remises à neuf. De la rue des Feuillants à la rue Longue des Capucins, on ne compte plus les failles, les cratères plus ou moins comblés et les pavés descellés où stagne une eau trouble. Pourtant les travaux de réfection ont été réalisés par la communauté urbaine après l’arrivée d’Eugène Caselli, en 2008. “Je ne sais pas qui a signé les papiers, s’amuse un marchand d’épices de la rue. Mais je sais que cela a été mal fait. J’ai moi-même bouché un trou en face de mon magasin grâce au bitume cédé par un chantier voisin”.
Posés sur du sable
“Ils ont posé l’enrobé et les pavés sur du sable. C’est pour ça que c’est dans cet état, rigole Pascal Siani. Comme s’ils n’avaient pas prévu qu’il y aurait des camions de livraison qui passent par là. Les matériaux sont inadaptés. Qu’est-ce que je vous disais sur la vieille maison…”
Cette situation a le don d’agacer Mathieu Trigon qui vit à Noailles depuis 5 ans. Ancien membre du conseil de quartier mis en place par Patrick Mennucci dans le cadre de sa mairie de secteur, il fait partie des nouveaux habitants du quartier qui participent de sa mixité sociale. “Les Marseillais doivent avoir un problème de karma, sourit-il. C’est parfois tellement absurde qu’il y a que la philosophie indienne qui peut expliquer cela. Depuis que j’habite le quartier, je me pose la question : pourquoi est-il aussi pourri ? Pour moi, la réponse tient dans un ménage à trois entre l’élu, le technicien et l’habitant. Chacun renvoyant la faute sur l’autre au moindre problème”.
Son dernier cheval de bataille est la “semi-piétonnisation” de l’ensemble du quartier “comme c’est prévu dans le plan de déplacements urbains” que les élus ont voté en 2013. Ce drôle de terme consiste à “mettre en plateau” les rues, c’est-à-dire à supprimer les trottoirs et les places de stationnements en plaçant des potelets pour délimiter l’espace piétonnier. Les rues d’Aubagne, Châteauredon et de l’Arc ont été ainsi mises en plateau, ce qui a permis aux habitants d’étendre la végétalisation en plaçant des pots et bacs un peu partout.
512 signatures
Pour étendre ces aménagements à l’ensemble du quartier, Mathieu Trigon a donc lancé une pétition il y a cinq mois avec 512 signataires au compteur depuis. “Très vite, la maire de secteur a annoncé par voie de presse qu’elle reprenait à son compte notre proposition avec la semi-piétonnisation de la rue Pollak. Mais une seule rue sera réalisée en 2016 et, pour les autres, pas de nouvelles”.
Effectivement, la maire de secteur se dit contrainte par le budget que lui allouait jusque-là la communauté urbaine et demain la métropole. “Les travaux de la rue Pollak correspondent à 20% de l’enveloppe annuelle qu’attribue la communauté à chaque secteur en fonction du nombre d’habitants, détaille Sabine Bernasconi. J’ai beau dire que le 1er arrondissement est fréquenté par un grand nombre de gens, cela ne fait pas varier la somme”. Pour des travaux d’ampleur, la mairie peut alors solliciter la Soleam, son bras armé immobilier, pour une opération programmée individuelle (OPI). Le même dispositif que Marsactu a pu décrire dans l’entretien polémique des écoles.
Pour des travaux de grande ampleur à Noailles même, il faudra donc attendre le plan-guide mis sur pied par Territoires et habitat pour le compte de la Soleam. Dans l’étude diagnostic rendue publique en décembre 2014, l’équipe d’urbanistes et de sociologues écrit que Noailles était un “espace longtemps délaissé par la gestion urbaine qui se ressaisit peu à peu mais avec ses habitudes sinon de cloisonnement entre services du moins d’absence de coordination véritable. Lorsque celle-ci s’opère, c’est par à coup, sans véritable mise en question des modes de faire”.
Au début des années 2000, Jean-Claude Gaudin alors président de la communauté urbaine avait piqué une colère au moment de l’inauguration d’un nouveau dispositif de containers enterrés, place Halles Delacroix. Les cagettes qui forment une grande partie des déchets de la zone ne passait pas par l’embouchure du dispositif. Il avait alors passé un savon au maire de secteur de l’époque, Jean Roatta (LR). Depuis les containers sont toujours scellés et leurs cousins squattent l’autre place du quartier. Sisyphe ne passe jamais loin.
Prochaine épisode : Rénovation du bâti ou la fin de l’habitat indigne.
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Commentaires
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La plupart des villes moyennes ou des grandes villes de France ont des vrais marchés couvert avec une grande diversité de commerces de bouche et une certaine diversité de fréquentation de différentes couches sociales (car c’est aussi cela la fonction d’un vrai marché.
Marseille “deuxième” ville de France n’en a pas. Je ne parle pas de ces marché couverts complètement artificiels comme celui de la “grande halle” des Terrasse du Port ou du marché Saint Victor d’Endoume …
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“deuxième” en effet, une étude récente la place plutôt 13ème :
http://www.pwc.fr/villes-daujourdhui-metropoles-de-demain.html
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@néomars cette étude et son classement font mal. J’ai relevé en particulier la sous-catégorie Potentiel/Capital intellectuel:
les villes s’égrènent de Toulouse (56) à Nice (27), la dernière position étant détenue par Marseille, bien décrochée avec… 7.
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Au-delà des problèmes d’incivilités et de non respect des espaces publics par certains des commerçants ou habitants, il est patent que l’absence de volonté publique au fils des années a entraîné cette dégradation. Gérer une ville c’est aussi être vigilant sur le devenir de ses quartiers historiques et pas seulement se focaliser sur les grands chantiers type Euromed. Aujourd’hui l’urgence est absolue tant ces lieux ont été laissés sans réel entretien depuis trop longtemps, et çà va coûter très cher à une époque où l’argent est plus rare.
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Pour qui l’argent est-il plus rare ?
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L’argent est bien sûr plus rare pour la grande majorité des citoyens et des structures publiques…Cela n’empêche pas la minorité des décideurs de tout poil de s’enrichir toujours plus…
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Parler de mieux ou d’amélioration de la propreté dans ce quartier relève de la négation. La rue des Feuillants est immonde, une puanteur de chaque heure, j’y ai vu des rats écrasés y demeurer plusieurs jours. La place des Capucins et la rue Longue sont toujours poisseuses, gluantes et puantes.
Vu l’activité commerçante intense qui y règne, un énergique coup de karcher quotidien s’imposerait, mais on n’y voit que le ramassage d’ordures et très peu de nettoyage, des rares cantonniers dépassés par l’ampleur de la tâche
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La rue des Feuillants est dans un tel état que je l’évite hiver comme été (quel plaisir de patauger dans cette fange avec des chaussures découvertes…). Je ne comprends même pas comment on peut avoir l’idée saugrenue d’établir un commerce dans un environnement aussi répugnant.
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Rares cantonniers oui, vous faites bien de le signaler
Il en est ainsi dans tous les quartiers de Marseille :, 1 coup de balai mécanique mouillé en vitesse par jour et fini parti .
sauf ,,, devant la mairie bien sûr où un cantonnier s’affaire en permanence !
Les chantiers de la ville sont tous pareils : on casse, on laisse tomber pendant des mois, puis on revient, on répand du bitume liquide sans consolider le support , souvent dans des trous ( oui !oui! vu !)puis d’autres arrivent refont des tranchées car ils ont oublié quelque chose et rebelote , c’est reparti pour un gaspillage d’argent public versé dans des poches avides et le quartier reste toujours aussi moche et délabré .
On se demande à voir l’état de la voirie dans des quartiers rénovés, à cette sauce, où se cachent les ingénieurs de l’équipement ( coucou ?) et si il y a un brin de cohésion intelligente et raisonnée dans tous ces travaux .
Pompe à fric, cela est la seule certitude !!!
Habitante de la zone Euromediterranée .
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Quand on voit la restauration de la place Stalingrad (Pelletan) on se demande même s’il y a seulement un agent de maîtrise sur place tant ce chantier est apocalyptique et sens dessus dessous.
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Entièrement d’accord avec vous
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…“espace longtemps délaissé par la gestion urbaine qui se ressaisit peu à peu mais avec ses habitudes sinon de cloisonnement entre services du moins d’absence de coordination véritable. Lorsque celle-ci s’opère, c’est par à coup, sans véritable mise en question des modes de faire”.
Les habitudes…. Ah !!! Les habitudes…. Elles sont indécrottables (si je puis me permettre) et cela s’applique à l’ensemble de la ville
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J’aime bien le souvenir de 2000, c’est assez typique: inauguration en fanfare, colère pagnolesque et puis … on laisse tomber pour 15 ans au moins
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