[Vivre à la Busserine] Après les tirs, le club de foot suspend l’entraînement des minots
Mercredi, le club de football de la Busserine a décidé d'annuler, jusqu'à nouvel ordre, les entraînements des joueurs les plus jeunes. Par sécurité, suite aux tirs du 21 mai. Mais l'association, dont l'action va bien au-delà du sport, signale également sa fatigue et ses petits moyens. Deuxième épisode de notre série sur la Busserine.
Pierre Piccioloni, Saïd M'Houdini, Mohamed Mourimoudou et Ali Mohamed Abdallah, éducateurs à l'AS Busserine, devant la grille fermée du stade (Photo Julie Le Mest)
Comme tous les mercredis, Mohamed Mourimoudou est au stade Hamada Jambay de la Busserine, fidèle à son poste d’éducateur d’équipe de foot. Mais aujourd’hui, aucun minot en short et crampons ne l’entoure. Le grand homme chaleureux vient d’expliquer aux mères qui amenaient leurs enfants que les entraînements des enfants de moins de 13 ans sont suspendus jusqu’à nouvel ordre, pour des raisons de sécurité. C’est en réaction aux tirs de kalachnikov du 21 mai. “Si on continue comme si de rien n’était, ça va banaliser. On a décidé de marquer un coup.”
Pour l’entraîneur, la sécurité n’est pas le seul enjeu. Le président du club, Moubarak Abdallah M’Foihaia, joint par téléphone, insiste lui sur ce point. “C’est chaud en ce moment, je suis plus tranquille en sachant que les petits ne sont pas dehors.” Il a assisté aux tirs du 21 avril, qui pour lui marquent une rupture. “Ça a vraiment choqué la population. C’est psychologique, tout le monde fait gaffe. On a connu des événements plus dangereux, mais ça, c’était violent.”
“Éviter qu’ils soient sur le trottoir d’en face”
L’Athletic Sport Busserine, dit AS Busserine, a été créé en 2013, après la fusion de trois clubs. Avec des entraînements tous les jours, il forme toutes les tranches d’âge, des petits aux adultes. Mais le football n’est qu’une de ses fonctions. “Jusqu’à U13 [catégorie des moins de 13 ans, ndlr], la stratégie foot, on y est,” explique Mohamed Mourimoudou. Avec succès d’ailleurs, “On sort des jeunes, y compris pour l’OM“. Six joueurs, en trois ans, ont signé pour le grand club marseillais. La qualité des jeunes et de la formation a déjà attiré des chasseurs de tête de Lyon, Nancy ou de Bretagne. Pour les plus âgés en revanche, “c’est plus de la politique de la ville. Si on arrête la catégorie en U17 par exemple, ce ne sera pas bon. On fait du sport, mais l’enjeu c’est d’éviter qu’ils soient sur le trottoir d’en face.” L’allusion est claire, le trottoir d’en face, ce sont les chaises des guetteurs au pied des bâtiments.
Au fil des ans, le social semble avoir débordé sur les autres fonctions du club. “À l’AS Busserine en ce moment, on est à 15% sur du foot. Notre rôle le plus important, c’est l’ouverture.” Avec l’association Le Grand Bleu, le club emmène ainsi les enfants apprendre à nager dans des piscines d’autres quartiers – celle de la Busserine est fermée en été. “Pendant les tournois à l’extérieur, ça permet à tous les enfants de profiter de l’eau quand il y a une piscine. Ils sont nombreux à ne pas savoir nager, l’école ne suffit pas.” Ce n’est pas tout. Le club propose aux enfants adhérents, et aux autres, des sorties plages, calanques, théâtre, des jeux de société. Et même de l’aide aux devoirs. Des fonctions relevant du centre social l’Agora, qui les assure aussi, mais “l’Agora est submergée“, rappelle l’entraîneur. Guillaume Seze, le directeur de l’Agora, qui fait face à une liste d’attente de 50 enfants pour le centre aéré de cet été, ne le contredira pas : “Le club de football fait du soutien scolaire… L’association des locataires en fait également. Et l’association de parents d’élèves fait du soutien scolaire à l’Agora bénévolement en même temps que nos intervenants !“
Les associations jouent en équipe
Le club de foot du quartier incarne bien la tendance des associations de la Busserine à jouer collectif. Dans le noyau de l’association sportive qui compte 400 adhérents et 35 encadrants, en plus de Mohamed, il y a Kader Belkacem et Youssoufa Farouk, membres de l’équipe de l’Agora, Ali Mohamed Abdallah, une des figures du collectif jeunes, et Aldo Banack, fils de la fondatrice de l’association Main dans la Main. Avec eux, le président du club, Moubarak Abdallah M’Foihaia, Ibrahim Ollier, et quelques personnes fiables, du genre “qu’on appelle à 5 heures du matin parce qu’un jeune a un problème“, décrit Mohamed.
Mohamed Mourimoudou lui-même est professeur d’EPS à Saint-Antoine (15e) et n’est pas de la Busserine. Mais il a choisi d’y venir, “parce que le côté associatif est beaucoup plus présent. On a tous été bercés à ça, Anne-Marie Tagawa, c’est notre mère à tous“. L’ancienne éducatrice de l’Addap 13, en retraite après 40 ans d’activité dans les quartiers Nord et toujours très active, semble jouer le rôle de figure tutélaire. Cela explique, pour l’entraîneur, la présence de nombreux jeunes dans l’encadrement du club. “Ce qu’Anne-Marie nous a donné, on essaie de le rendre et ce qu’on leur a donné, ils essaient de le rendre. Tous les éducateurs sont bénévoles, il n’y en a pas un qui prend quelque chose.”
Un fonctionnement à la débrouille
La cohésion et le désintéressement ne font cependant pas tout. Ils ont des aides mais qui permettent tout juste de tenir la tête de l’eau. Le club a accès à des infrastructures : le gymnase, le centre d’animation et le stade géré par la mairie centrale et “occupé presque à 100%” par lui. Et il reçoit des subventions, 9000 euros de la ville, 4000 du Conseil régional et, depuis l’année dernière, 5000 euros de l’OM à la suite d’un conventionnement passé avec de nombreux clubs de quartier.
Mais ces sommes sont entièrement absorbées par les frais liés au football et aux compétitions. Pour le reste, le bricolage prévaut. “Chacun se débrouille avec son équipe, on essaie de ne pas leur faire ressentir le manque de moyens. Les bénévoles paient de leur poche, des fois on sollicite les familles,” détaille Moubarak Abdallah M’Foihaia, le président. Une situation pesante, pour Mohamed Mourimoudou, “On s’en sort, mais ça nous prend beaucoup de forces.”
Richard Miron, élu municipal aux sports, est au courant des activités sociales du club, mais ne considère pas qu’elles justifient des moyens supplémentaire : “C’est plutôt un club sérieux avec des encadrants de bon niveau. Maintenant, ils font aussi d’autres choses comme du soutien scolaire comme de nombreux clubs de foot. Mais ce n’est pas parce que vous avez une activité qu’elle a vocation a être financée avec de l’argent public.” Quand aux demandes de financement au titre de la politique de la ville, le club n’en fait pas. “Je ne suis pas assez papiers pour les dossiers politique de la ville, explique le président du club, ils sont compliqués à monter.” Pour cela, il faudrait un permanent, que le club ne peut justement pas financer.
La fermeture du stade, le président, qui insiste avoir de bonnes relations avec la ville, la décrit comme “une question de sécurité“. Mais aussi, quand même, de “ras-le-bol“. En l’interrogeant, cela déborde rapidement : “Ras-le-bol de tout, on est livrés à nous-mêmes, il y a la délinquance à côté !” Cette fatigue touche également Mohamed Mourimoudou. “C’est un travail d’utilité générale, on ne fait pas ça pour nous. Il faut nous aider en nous donnant quelque chose, en étant présents, au moins. Donnez-nous les moyens au niveau des transports ! Le soir, on s’inquiète, est-ce que tel ou tel jeune va pouvoir rentrer chez lui ? On a des jeunes, à partir de 16, 17 ans qui viennent d’ailleurs. Et on nous enlève le train. Grâce au train, on avait la confiance des parents.” Mohamed fait allusion aux travaux sur la ligne de TER Aix-Marseille. Depuis décembre dernier, les trains, qui assuraient une liaison rapide des quartiers nord au centre, ne s’arrêtent plus à l’arrêt Picon-Busserine, et sont remplacés par une navette par heure, aux heures de pointe (Lire notre article).
“S’il n’y a pas de loisirs, on ne peut pas construire quelqu’un.”
Derrière l’argument de la sécurité, les maux sont en fait nombreux et l’urgence sensible. “On ne vient pas réellement nous demander ce qu’il se passe ici, explique l’entraîneur. On a fait un match des mamans. On a fait le mouvement un déchet par jour pour la propreté. Peut-être que si on mettait ça en valeur, les jeunes se diraient, on me met en valeur, je vais aller vers là. On leur parle, à ceux qui sont au pied des tours. On leur dit “viens jouer”, ils nous répondent, “ici je prends 80, 100 euros, toi tu me donnes quoi ?”” Cette réponse des jeunes guetteurs, l’éducateur la répète plusieurs fois. Des fois, pourtant, ça marche. “Dans le dialogue. On leur dit “viens jouer au foot une fois.” Ils le font, une fois, deux fois. C’est une volonté. La plupart du temps, ils ne replongent pas. C’est rare mais on réussit. Heureusement.”
Pour les deux membres du club présents à ses côtés, pas question d’arrêter. “Qu’est ce qui se passerait, si on n’était pas là ?” se questionne Moubarak Abdallah M’Foihaia. Il a souvenir d’autres époques. “J’aurais aimé vivre ça dans mon enfance. Dans ma génération, de 1985, sur 20 enfants, il y en a 18 qui sont allés en prison. Pas parce qu’on était mauvais, mais parce qu’on a grandi dans le négatif.” Mohamed Mourimoudou, qui a bénéficié du travail associatif dans sa jeunesse, veut continuer à apporter aux jeunes une ouverture. “S’il n’y a pas de loisirs, et d’école derrière… On ne peut pas construire quelqu’un.“
Commentaires
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Evidemment je suis en colère, évidemment la piscine est fermée en Août, évidemment lire le nom de Miron m’exaspère… Comme tous ces jeunes qui se mobilisent et s’impliquent magnifiquement, je ressens ce qu’il disent : la fatigue et le dégoût. Evidemment, le départ de JCG ne réglera pas cette problématique d’un seul coup. Est-il encore temps d’ailleurs…
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bravo pour vos articles d’investigation et de terrain ! toute cette énergie positive dans ces quartiers face aux réseaux narco, aux stigmates et à l’inertie ça reste formidable…
il est plus qu’urgent que ça change, mais ça fait tant d’années que c’est urgent …
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Oui, remarquable article. Merci de donner à voir de ce quartier autre chose que les faits divers tragiques qui font les gros titres pendant deux jours, et provoquent quelques réactions officielles de façade (sauf celle du maire, qui s’en fout) auxquelles succède l’oubli habituel. Ces gens qui se battent quasiment à mains nues pour éviter que les minots aillent “sur le trottoir d’en face” sont admirables.
Mais en creux, on voit aussi l’abandon de ce quartier par les autorités censées gérer *toute* la ville. Les difficultés de transport, la piscine fermée l’été, le centre social “submergé”, le soutien scolaire organisé par des structures dont ce n’est pas la vocation initiale, les bénévoles qui y sont de leur poche… Et la ville qui, pour solde de tout compte, attribue une subvention royale de 9000 €, avec Miron-Petit-Patapon toujours très content de lui.
J’ai envie de vomir.
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la piscine ? Plutôt les piscines sont fermées.
La patinoire ? C’est 8€ l’heure + 2€ pour accompagner l’enfant !
La plage ? Passé 14h on n’y fait plus tomber une aiguille, et d’ailleurs, depuis la Busserine, ça fait un sacré circuit !
Pour les plus petits, essayez donc de trouver un jardin où les emmener histoire de s’aérer en blaguant entre parents ! Un carré de plastique bordée d’une voie rapide et d’une tour d’où peuvent tomber des ovni (ceux qui connaissent sauront de quoi je parle).
Tout ça pour dire le travail de colmatage social auquel doivent se livrer les habitants pour faire face au manque d’équipements publics.
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“…Mais ce n’est pas parce que vous avez une activité qu’elle a vocation a être financée avec de l’argent public. » signé richard miron qui ne comprends rien à la justice sociale.
Et oui ça coûte “un pognon fou” le social !
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