[Vivre à Bougainville] Un terrain de jeux provisoire pour défricher le futur parc urbain
À l'aube de l'extension d'Euroméditerranée, le quartier Bougainville est traversé de multiples tensions, entre précarité extrême dans certains quartiers et les nouveaux lieux de vie, tout neuf. Inaugurés en juillet dernier, les aménagements provisoires du parc Bougainville, aux pieds des tours de la cité Félix-Pyat ont justement vocation à rassembler les habitants des différents quartiers du secteur.
Aménagements provisoires aux pieds des tours de Félix Pyat. (Photo : Violette Artaud)
C’était un no man’s land, gris, sale et brûlé au-dessus duquel passait le métro et ses milliers de passagers. À pied aussi, les gens ne faisait que passer. “C’était un cimetière de voitures cramées” se rappellent des habitants de la cité. Certaines mères du quartier interdisaient même leurs enfants d’y passer, “trop proche du réseau de drogue”, expliquent-elles. C’est pourtant ici, juste derrière la cité Bellevue, plus connue sous le nom de Félix-Pyat, que les prémices du parc Bougainville verront le jour. Sur le papier, le parc Bougainville, à la lisière de la deuxième phase du projet de réaménagement urbain Euroméditerranée, doit littéralement changer le visage de ce secteur de Marseille.
Ce parc de quatre hectares, a vocation à devenir “un trait d’union” entre le nouveau quartier neuf des Docks Libres, celui des Crottes, ancienne terre ouvrière et la cité Bellevue de mauvaise réputation. “Le parc Bougainville permettra de relier les quartiers entre eux et de les connecter au centre-ville”, déclare sur le site d’Euroméditerranée Laure-Agnès Caradec, la présidente (LR) d’Euroméditerranée. La livraison est prévue pour 2020 mais elle n’est qu’une étape vers le grand projet final : le grand parc des Aygalades, de 14 hectares celui-là, “futur poumon vert de Marseille” peut-on lire dans les brochures d’Euroméditerannée.
Quand le soleil descend, les habitants aussi
Pour l’heure, seule la couleur de la peinture appliquée grossièrement sur le sol en béton est verte. L’endroit, entre la station de métro Bougainville et la cité Bellevue donc, est “brut” comme disent certains membres d’associations locales. Des installations provisoires ont été mises en place parmi lesquels un terrain de foot, de basket, des tables de ping-pong, deux petits blocs d’escalade, des tourniquets, des agrès ou encore des mats d’éclairage… Pour Arlette Fructus, adjointe au maire de Marseille chargée de la politique de la ville et de la rénovation urbaine, ces installations ont pour but de “préfigurer des usages et permettre aux habitants de progressivement se réapproprier cet espace.”
La journée, y compris en période de vacances scolaires, ce terrain de jeu est désert. “Il fait trop chaud”, explique une maman du parc Bellevue. La seule zone d’ombre de cet espace se situe en effet sous la passerelle du métro qui sort de terre à cet endroit et coupe l’espace en deux. Vers 18 heures, quand le soleil débute sa course vers l’horizon et que la température descend de quelques degrés, les cris d’enfants commencent à se faire entendre depuis le terrain de jeux. Âgés de 3 à 14 ans, ils sont une cinquantaine à prendre possession des lieux. Assis sur un peu à l’écart, quelques parents les surveillent.
“Franchement ici c’est trop bien! C’est trop beau !”, s’exclame Abdouwarda, venue avec ses trois enfants et ses quatre neveux. Presque tous les soirs, vers 17 h 30, elle “descend” ainsi avec les petits, de l’eau et le goûter. “Avant on devait prendre le bus pour trouver un parc. Là c’est bien c’est juste à côté de la maison. On reste parfois jusqu’à 22 heures. Les enfants ne veulent plus partir”, raconte-t-elle le sourire aux lèvres. A quelques mètres de là, les guetteurs du réseau, assis dans leur fauteuil surplombent la scène. Contrairement à d’autres mères qui se disaient inquiètent de leur présence avant l’inauguration de ces aménagements provisoires en juillet dernier, Adbouwarda ne s’en préoccupe pas. “Oui à côté ils vendent du shit mais ils ne sont pas méchants”, lance-t-elle.
La question de la proximité entre ce terrain de jeux transitoire et le réseau de deal a pourtant été soulevée. “Que va-t-il se passer quand il y aura les aménagements provisoires ? En fait il y a trois solutions, soit il y a dégradation, soit il y a un décalage du réseau, soit il y a cohabitation”, se questionnait, il y a quelques semaines Myriam Mezghiche, sociologue pour le cabinet Adeus chargé de l’aspect participatif du projet de parc. Il semblerait que pour l’instant, la dernière option l’emporte.
Le problème des encombrants
Les jeux attirent mais le paysage n’a pas beaucoup évolué. Autour la zone garde son aspect délaissé. “D’importants dépôts d’encombrants sur cette zone ont également amené le services politique de la ville à solliciter le service de l’espace public pour organiser un nettoiement régulier sur les terrains jouxtant la traverse Caravelle au pied de la copropriété, actuellement une fois par mois”, déclarait par voie de communiqué Arlette Fructus en juillet dernier. Les détritus qui jonchent le sol à cet endroit précisément et l’odeur prenante d’urine qui s’en dégage sont-ils la preuve que cela n’a toujours pas été mis en place ?
Côté politique de la ville, on certifie que les agents de la métropole en charge de la propreté y passent une fois tous les 15 jours. Mais la question devra être réellement mise à l’ordre du jour à la rentrée par Euroméditerranée, a qui le gestion de l’espace revient. “Un comité de pilotage sur ces questions doit être mis en place. Faire un beau parc bien entretenu au milieu d’un environnement en mauvais état n’a aucun intérêt. Il faut arriver à faire en sorte que cela fasse tache d’huile et que ça déborde sur les alentours”, fait état Maxence Moréteau, sociologue et urbaniste de l’agence Adéus.
Jouer pour casser les frontières
L’autre enjeu de ce parc, comme le répète à l’envi les opérateurs du projet, c’est la “mixité sociale”. Autrement dit, réunir, dans un lieu accessible à tous, les habitants de différents quartiers aux profils sociologiques différents. Pour ce faire, il mise sur le travail associatif. Au moins trois associations sont ainsi financées pour mener des actions sur place : l’Addap 13, qui a pour mission d’organiser des activités sportives deux fois par semaine jusqu’en décembre prochain, Meta 2, qui a réalisé au mois d’août une fresque murale sous la forme d’un chantier participatif et l’association Terre ludique, qui s’installera avec des jeux en bois sur l’espace tous les samedis de septembre à août.
“Nous avons décidé de nous installer sous la passerelle du métro, le seul endroit abrité et assez loin du réseau de drogue”, entame Stéphane Cochefert, directeur de l’association. Ouverte en 2010, elle dispose d’un stock de jouets impressionnant, qu’elle stocke dans ses locaux de 120 m² rue des Bons Enfants, mais également dans deux garages.
Unis par les règles du jeu
Jeux à plateau, jeux de carte, jeux d’adresse, jeux de rôle… Stéphane Cochefert a pour mission de faire de la médiation grâce à l’objet que représente le jouet, et pour cela, il a une stratégie. “Le jouet, à la base, c’est une activité bourgeoise. Dans les milieux populaires, on peut considérer le jeu comme quelque chose de futile. Mais il y a des jouets qui marchent bien ici, il s’agit des jeux d’adresse”, énonce-t-il. Ainsi pris au jeu, Stéphane Cochefert explique que les joueurs parlent tous la même langue, celle imposée par les règles. “Je ne sais pas si ça va marcher mais si je n’y croyais pas, je n’aurais pas accepté”, conclut le militant associatif.
En attendant les activités organisées par les associations, les habitants prennent d’ores et déjà possession des lieux. Il faut dire que dans le coin, les espaces publics pouvant faire office de terrain de jeux pour les enfants sont rares. Alors même si certains parents confient trouver ces aménagements “light”, “mal terminés” voire même “dangereux” du fait de la proximité avec le boulevard Ferdinand-de-Lesseps ils sont nombreux le soir à se retrouver là. Beaucoup viennent de Félix-Pyat, certains des Crottes. “Que les gens investissent ce lieu aussi rapidement, cela montre bien qu’il y avait un besoin et un déficit d’espace public énorme dans ce secteur”, analyse Maxence Moréteau. Et sans espace public, impossible d’imaginer une collectivité. Seuls les habitants des Docks Libres ne semblent pas se déplacer dans cet espace.
Commentaires
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“Côté politique de la ville, on certifie que les agents de la métropole en charge de la propreté y passent une fois tous les 15 jours.”
Comme dans beaucoup d’endroits du 2e, 3e et 15e, ils ne font que passer à très très grande vitesse quand ils ramènent les camions vers 16 h dans la zone des 4 chemins des Aygalades (le défilé des balayeuses rentrant à plus de 60 km/h sur les dos d’ânes est un spectacle assez ahurissant).
Les mêmes “on” certifient qu’il y a un nettoyage mécanique toutes les semaines dans notre rue. En réalité il y en a eu pendant les 5 ou 6 semaines qui ont suivi la prise en charge par la société qui a obtenu la marché dans le 2e puis cela a cessé depuis février 2016. Il y en a eu un seul en septembre 2016, bizarrement 15 j après le courrier de réclamation des riverains, ce qui semble indiquer une connivence entre les services qui contrôlent et les sociétés privées qui ont obtenu le marché du nettoyage et qui ne respectent pas le cahier des charges de leurs obligations. En effet, aussitôt a suivi un courrier signé de M. Gaudin pour indiquer que suite aux contrôles effectués (le jour même puis le lendemain) l’entretien était bien régulièrement fait. Depuis, plus rien !
Il suffit de se promener à 1 km tout autour du marché aux puces pour constater le désastre ! Il semble que tout endroit accessible à des camionnettes est destiné à devenir une décharge à ciel ouvert.
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merci pour ce constat que nous faisons tous habitants de ces quartiers …
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J’aime bien :” ils vendent du shit mais ils ne sont pas méchants ” bien sûr , ce sont les seuls revenus des familles de ce quartier … ils ne vont quand même pas cracher dans la soupe !!!
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