Violences policières : “J’ai vu la personne voler, puis s’écraser au sol”
Un policier a été jugé jeudi par le tribunal correctionnel de Marseille pour avoir projeté un homme à terre, en marge d’une manifestation "Black lives matter". L’enquête de l’IGPN a conclu à un geste violent "sans motif légitime".
Domingos M. a été jeté au sol par un policier en marge d'une manifestation en juin dernier. (Photo : CM)
Porter l’uniforme et frapper un homme noir, en marge d’une manifestation “Black Lives Matter” contre les violences policières. “C’est toute l’ironie du dossier”, estime Myriam Gréco, avocate du fonctionnaire de police et familière de ces dossiers. C’est pourtant exactement ce qui est reproché à son client Jean-Christophe M., convoqué ce jeudi devant le tribunal correctionnel de Marseille. En fin d’audience, le parquet a requis 4 mois de prison avec sursis, estimant que le geste violent du prévenu « n’est pas un geste légitime pour un fonctionnaire ».
Le 6 juin dernier, la manifestation « Black Lives Matter » rassemble 3 000 personnes à Marseille. La marche se déroule dans le calme, mais huit individus sont interpellés dans la soirée à la suite d’affrontements dans le centre-ville. Domingos M., un riverain de 51 ans, se trouve alors du côté de la place du Général de Gaulle. Il est environ 22h30. Ce père de famille vient de fêter les 31 ans de son fils dans un bar rue d’Aubagne. Il est sur le point de rentrer chez lui près du Vieux-Port, accompagné d’un ami. Rue Pythéas, quatre policiers de la BST (brigade spécialisée de terrain) Sud s’affairent à côté de leur véhicule, prêts à quitter les lieux.
Jovial après avoir consommé quelques verres d’alcool, Domingos M. agite ses clefs dans l’air. Son trousseau va alors toucher le véhicule de police à deux reprises, “sans laisser aucune rayure”, précise d’emblée le juge René Roux. Puis les versions diffèrent. Jean-Christophe M. assure que Domingos M. dirige la clef vers lui. Paniqué, il réplique en poussant l’homme à terre. Mais la victime maintient avoir été frappée par surprise par derrière. “La question de savoir si monsieur Domingos M. a été poussé de face ou de dos est centrale”, résume donc le magistrat.
“Au début, je ne sais pas s’il s’agit d’un couteau, d’une barre de fer …”
En l’espace d’un mouvement, le père de famille est projeté au sol et perd conscience. Un groupe d’étudiants rentrant de la manifestation aperçoit du sang sur le trottoir et s’arrête. Amené aux urgences de la Timone par les marins-pompiers, Domingos M. présente une blessure au crâne et plusieurs plaies sur le visage lui valant 8 jours d’incapacité de travail. Il fait aussi état d’une importante déformation au pouce, qui l’empêche toujours de reprendre son travail de maçon.
Domingos M. n’a pas immédiatement déposé plainte après son agression. L’affaire est remontée à l’IGPN (inspection générale de la police nationale) d’abord grâce au courrier rédigé par le groupe de jeunes témoins et adressé à la procureure de la République. L’IGPN convoque alors chaque témoin durant l’enquête. “J’ai vu la personne voler (…) puis s’écraser au sol”, rapporte l’un d’eux. “Il l’a poussé violemment dans le dos après avoir pris au moins deux pas d’élan”, assure un autre. Le rapport de la police des polices conclut sur “une consommation d’alcool excessive”, pouvant expliquer en partie la perte de conscience de la victime. Mais les enquêteurs notent aussi clairement que cette dernière a été “poussée sans motif légitime”.
“C’est la première fois que je vais au tribunal”, confie la victime avant l’audience. À cause des mesures sanitaires restreignant l’accès au public, sa femme est refoulée à l’entrée. Le prévenu pourra, à l’inverse, atteindre la salle d’audience accompagné de trois amis venus en soutien. “J’ai autorisé les trois accompagnants”, annonce le juge à l’ouverture des débats.
Le procès-verbal d’un “homme à terre”
“Je n’ai pas vu les clefs tout de suite, se défend le policier. Au début, je ne sais pas s’il s’agit d’un couteau, d’une barre de fer …” Il est coupé par le magistrat : “C’est quand même possible de différencier les bruits d’un trousseau et d’une barre de fer. Ensuite, vous dites que vous voyez la clef pointée vers vous. Mais un enquêteur de l’IGPN rappelle qu’à ce moment, vous portez encore votre gilet pare-balles.”
Jean-Christophe M. rejoue la scène, qu’il semble avoir apprise par cœur : “Lorsque j’entends le bruit métallique, je m’interroge. Est-ce que l’homme a un couteau ? Je suis obligé de réagir ! Puis il pointe l’objet vers ma poitrine. Je l’attrape sur le flanc et je le pousse. Et là, il tombe sur le côté. Avec mes collègues, on constate qu’il est inconscient. Donc on le place en position latérale de sécurité et naturellement, on prévient les secours.”
Le prévenu omet un détail dans sa chronologie. “On a un procès-verbal d’interpellation aux alentours de 22 h 30, rédigé par Jean-Christophe M., rappelle Clémence Lachkar, l’avocate de la victime. Autrement dit, ce fonctionnaire a décidé de rédiger le PV d’interpellation d’un homme à terre et inconscient !” Même raisonnement du côté du ministère public : “C’est le procès-verbal qui vient remettre en cause la version du prévenu. Pour que la victime soit interpellée pour dégradation, il aurait fallu que le véhicule soit effectivement dégradé. À la place, vous avez commis ce geste illégitime.”
Vous êtes le seul à avoir vu un geste menaçant de la part de monsieur Domingos M.
le juge en direction du policier
La procureure Mathilde Gallego rappelle surtout qu’aucun des trois collègues du prévenu n’est venu corroborer sa version des faits : “Il y a eu les coups de clefs sur la voiture, mais vous êtes le seul à avoir vu un geste menaçant de la part de monsieur Domingos M.. À l’inverse, plusieurs témoins confirment que la victime était de dos.”
Le policier déjà condamné par le passé
Pour l’avocate Myriam Gréco en défense, “Jean-Christophe M. a usé d’une force légitime et proportionnelle. Et je n’aimerais pas qu’il soit sacrifié sur l’autel de la justice pour satisfaire l’air du temps. C’est un jeune fonctionnaire, engagé et volontaire.” Comme souvent dans les dossiers de violences policières, des lettres de félicitations de la hiérarchie sont jointes à la procédure. “J’ai toujours voulu rejoindre la police”, se confie le prévenu au moment d’aborder sa personnalité. Jean-Christophe M. a été affecté au palais de justice en 2018 avant de rejoindre une brigade de terrain, enthousiaste : “C’est ce que je voulais. Devenir policier, c’est attraper les voleurs, c’est la première chose dont on rêve !”
Il espère un jour “monter en grade”, mais la perspective de passer des concours internes est “mise entre parenthèses”, explique-t-il, au vu de ses ennuis judiciaires. Il a par ailleurs déjà été condamné à Douai en 2018 pour “mise en danger de la vie d’autrui”. Le tribunal a évoqué cette condamnation, sans interroger le prévenu sur sa cause. Quant aux faits de violences qui l’ont de nouveau conduit devant le tribunal correctionnel, le parquet a précisé “ne pas être opposé” à la non-inscription au casier judiciaire. Par ailleurs, aucune procédure disciplinaire n’a été enclenchée pour le moment. L’affaire a été mise en délibéré au 30 mars.
Commentaires
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Il serait bon de constituer un dossier des interventions impropres de la police. L’article me rappelle une affaire de tabassage abusif de deux habitants des quartiers Nord, qui s’était en fait soldée par une condamnation à une amende des habitants pour rébellion. Des pressions ayant été exercées pour empêcher des témoins favorables aux habitants de s’exprimer. Je vais mettre sur mon Blog des extraits de la lettre que j’avais envoyée au Préfet de police, restée sans réponse.
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…Il a par ailleurs déjà été condamné à Douai en 2018 pour “mise en danger de la vie d’autrui”. Le tribunal a évoqué cette condamnation, sans interroger le prévenu sur sa cause…
Pourquoi?
Un détail dirions nous dans le cours d’un procès.
Toutefois je respectais la Police. Désormais je la crains.
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“C’est un jeune fonctionnaire, engagé et volontaire.” mais…….pas formé! Peut-être une formation correcte aurait mis en lumière certains aspects de sa personnalité incompatibles avec les exigences du métier. A ce propos, ne pourrait-on pas redonner aux agents de police le titre de gardiens de la paix qu’ils avaient.
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Statutairement ce sont toujours des Gardiens de la Paix Le 7 septembre 1870, le préfet Émile de Kératry remplace l’appellation de sergents de ville (les vieux « sergo » haïs par Jules Vallès et ayant acquis une image négative) par celle de gardiens de la paix publique (appelés alors gardiens de la paix civile)2.Le gardien de la paix fait respecter l’ordre public et garantit la protection des personnes et des biens. Il assure un rôle de sécurité et de dissuasion. Il constate les infractions aux lois et règlements. Cf. Wikipédia
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Moi quand je vois des policiers, je ne vais pas frotter mon trousseau de clés sur leur voiture, policiers ou pas d’ailleurs.
Et comme ça personne ne me pousse.
Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il l’a bien mérité, mais bon à un moment, il ne faut pas venir se plaindre.
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Vous étiez là pour savoir ce qu’il s’est passé ?
Et à part donner des leçons par vos commentaires, vous n’avez rien d’autre à faire ?
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Non je n’y étais pas, et vous ?
Je ne fais qu’interpréter les faits décrits.
Quand vous croisez des policiers, vous allez frotter vos clés à leur voiture ? Moi jamais je ne fais ça et les policiers me laissent tranquille.
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Il y a vraiment des comportements inadaptés de part et d’autre. La police est mal formée et devient parano et les administrés agressifs et peu respectueux. Il est vrai qu’on doit craindre la force publique qui a des prérogatives de maintien de l’ordre (gardiens de la paix). Les représentants de la force publique ont bien du mal à agir. Les caméras sont un outil qui sauvera peut-être la légitimité des réactions. Nous n’y étions pas et il est vrai qu’il est difficile de juger. Laissons aux spécialistes (juges) l’épineuse tâche de trancher.
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