Violences policières : du sursis requis contre deux “chasseurs” de la BAC

Actualité
le 28 Sep 2023
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Le tribunal correctionnel de Marseille a jugé ce mercredi deux policiers de la BAC mis en cause pour "violences" sur un couple interpellé pendant le couvre-feu. Confronté au "déni" des prévenus, le parquet a pointé les dérives de la BAC.

Salle correctionnelle du palais Monthyon à Marseille. (Photo : CMB)
Salle correctionnelle du palais Monthyon à Marseille. (Photo : CMB)

Salle correctionnelle du palais Monthyon à Marseille. (Photo : CMB)

Le dossier est intéressant. Il a comme “intérêt”, précise la procureure Sylvie Odier, de “mettre en lumière les pratiques de la police nationale sur la voie publique”. Les pratiques en question ? L’interpellation d’un couple, Éliott et Marion, lors d’une nuit de confinement, le 30 avril 2021. Elle vaut à deux policiers de la BAC centre de comparaître devant le tribunal correctionnel de Marseille ce mercredi pour violences. Et “elle ne laisse aucune place à la relaxe”, estime le parquet, qui a requis cinq et six mois de sursis simple à l’encontre des fonctionnaires.

Cette nuit-là, l’équipage de la BAC est appelé pour intervenir sur un immeuble de la rue Louis Grobet, près de la gare Saint-Charles. Des voisins signalent aux policiers la présence de fêtards sur des échafaudages. L’un d’eux, Éliott, habite lui-même au rez-de-chaussée. Comme on le voit sur la vidéo d’un témoin diffusée durant l’audience, le jeune homme est sommé par un policier de redescendre de l’échafaudage. C’est à ce moment que le comportement de deux fonctionnaires sort totalement des clous.

Cyril A., brigadier-chef à l’époque, est poursuivi pour des violences ayant causé cinq jours d’interruption totale de travail (ITT) à Éliott. Son collègue Mélik S., qui a été promu brigadier-chef depuis les faits, est jugé pour violences aggravées, notamment par l’usage d’une bombe lacrymogène, ayant occasionné 21 jours d’ITT à Marion. Comme dans de trop nombreux dossiers de violences policières, la découverte d’une vidéo de la scène a totalement changé l’issue de l’affaire. Révélée par La Provence puis par Mediapart, elle a été diffusée puis analysée seconde après seconde par le tribunal ce mercredi.

Perte de connaissance

La présidente Cécile Pendaries confronte d’abord Cyril A., qui donne le premier coup à Éliott : une gifle avec le revers de la main. “Une soufflette”, veut préciser le prévenu. “Un geste pas conforme aux pratiques en vigueur”, avaient timidement conclu les enquêteurs de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). “C’est normal ?”, s’enquiert la magistrate. “Ce n’est pas réglementaire, mais c’était le geste à faire. Il est une 1 heure du matin, on est en plein couvre-feu et depuis le début, c’est la rigolade et on nous prend pour des idiots”, s’emporte le policier.

À ce stade, le fonctionnaire soutient croire qu’Éliott a volé un téléphone. Après avoir reçu ce premier coup du policier, le jeune homme, jusqu’alors calme, tente de se dégager. Mais trois policiers lui tombent dessus. Maintenu contre le capot d’une voiture, Éliott reçoit alors cinq autres coups de Cyril A., dont un coup de la tête. Ces gestes policiers sont diffusés, puis rediffusés à l’audience. “Pourquoi vous le frappez à la tête ?”, demande la présidente. “Je veux le repousser. C’est le Covid, il n’a pas de masque, je veux qu’il arrête de me cracher dessus mais il s’en fout”, poursuit le prévenu.

Pendant qu’Éliott est violenté, une femme s’époumone : “non ! Non !” Marion, la compagne d’Éliott, apparaît dans le champ de la vidéo. Cette infirmière explique savoir que des coups à la tête peuvent occasionner de “graves blessures”. Elle veut s’interposer. C’est alors que le second policier prévenu, Mélik S., entre en scène. Il repousse la victime puis, d’un violent coup, la fait tomber au sol. Elle perd connaissance quelques secondes, la tête sur la chaussée. “Je suis en protection de la zone d’interpellation. Je demande à la femme de rentrer au domicile. Peut-être que son état alcoolique ne lui permet pas d’avoir des appuis solides”, avance le policier, sans broncher. Le test d’alcoolémie réalisé après les faits permet d’estimer que la victime avait bu environ quatre verres.

“Trop gentils”

La séquence se poursuit. On découvre Éliott se débattant toujours, être tiré par les cheveux par Cyril A. jusqu’à l’intérieur de la voiture de police. Là encore, le policier reconnaît “un geste pas approprié, mais nécessaire ce soir-là”. Marion tente toujours d’atteindre son compagnon. Elle est décrite par Mélik S. comme “très excitée”, poussant le policier à se munir d’une imposante bombe lacrymogène. Là encore : pourquoi ? “Je vois qu’elle est toujours là. Je me dis que la bombe peut être dissuasive et qu’elle va enfin comprendre mes injonctions.” La victime est alors gazée, à seulement quelques dizaines de centimètres du visage. Sonnée, elle est de nouveau violemment poussée au sol par Mélik S. Une fracture au coude lui sera diagnostiquée.

“Vous trouvez que c’est normal, que la victime se retrouve avec une fracture au coude ?” demande la présidente. “Non. Mais je pense que si elle était rentrée au domicile comme je lui avais demandé, on n’en serait pas là”, assure le fonctionnaire. Les policiers ont répondu à toutes les questions du tribunal avec aplomb. “Du déni”, analyse la procureure. Tous les deux estiment même avoir été “trop gentils”. Mélik S. d’abord : “je suis resté trop gentil, j’aurais pu me servir de la matraque télescopique.” Cyril A. dans la foulée : “oui, on a été trop gentils. On aurait dû interpeler tout le monde dès le début.”

Trois victimes sont appelées à la barre : Éliott, Marion, et un ami qui a lui aussi été poussé, mais ne s’est pas vu prescrire d’ITT. “Je suis dans l’appartement quand je vois qu’Éliott est interpelé dehors. Je me dis qu’il va se prendre une simple amende pour non-respect du couvre-feu, mais pas qu’il va être interpelé, puis tabassé”, se remémore Marion. La jeune femme explique avoir eu le souffle coupé par le gaz lacrymogène, puis “la peau du visage brûlée”. Tous deux ont écopé d’un rappel à la loi pour “outrages et rébellion” après avoir passé 43 heures en garde à vue.

Faux procès-verbal

“Il y a eu maltraitance policière et maltraitance judiciaire”, considère l’avocat des parties civiles Thomas Hugues. Notamment car l’affaire aurait pu s’arrêter au rappel à la loi de ses clients, si la découverte de la vidéo n’avait pas rétabli la vérité de la séquence. Car les violences policières étaient totalement occultées par le procès-verbal d’interpellation rédigé ce soir-là. On y lit par exemple : “vu l’état d’ébriété [de Marion], elle chute en arrière au sol.” Une analyse “totalement fausse”, accuse l’avocat, puisque ce sont les gestes du policier qui occasionnent les deux chutes de la victime.

Suite à la saisine de Thomas Hugues pour faux en écriture publique“, un juge d’instruction a été désigné très récemment. Cette enquête pourrait donc mener à un second procès, criminel cette fois, en lien avec les violentes interpellations d’Éliott et Marion. Coïncidence ? L’auteur du procès-verbal, un policier de la BAC nommé Mario S., a été entendu cet été par les enquêteurs de l’IGPN dans une autre affaire. Il s’agit du dossier Hedi, jeune homme fracassé par un tir de LBD dans le crane lors des émeutes après la mort de Nahel.

Mais à ce stade, pour la procureure Sylvie Odier, “la seule question à laquelle le tribunal doit répondre est de déterminer si la violence des deux policiers était nécessaire, et si elle était proportionnée”. Et pour cela, la magistrate requiert sans ambigüité : “Cyril A. a mis une soufflette et a proféré des insultes. Mais quand quelqu’un ne nous écoute pas, on le frappe pas, on l’insulte pas ! Ce soir-là, il est le policier le plus expérimenté. S’il se comporte comme ça, comment voulez-vous que son équipe se comporte autrement derrière ?”

Les “pratiques de la BAC”

Sylvie Odier le sait, “les fonctionnaires de la BAC sont appelés sur des missions d’ordinaire beaucoup plus dangereuses. C’est pour ça qu’ils agissent comme ça. On voit qu’ils ne veulent pas s’embêter. Ils veulent interpeler et passer à autre chose. Parce que c’est ça la BAC, ce sont des chasseurs !” Pour la procureure, si le dossier permet donc de “révéler les pratiques de la BAC”, ces dernières ne sont pas justifiées. “Le tutoiement, l’insulte, la violence… Est-ce que c’est le terrain qui a rendu les deux policiers comme cela ? Peu importe. Ce n’est pas ce qu’on attend d’eux. Au contraire, on attend une maîtrise de soi.” Si la magistrate requiert cinq et six mois de sursis simple à l’encontre de Cyril A. et Mélik S., elle veut en revanche dispenser les prévenus d’une interdiction d’exercer.

Du côté de la défense, Carine Dip, l’avocate de Cyril A., a insisté sur le comportement d’Éliott. “Dans le dossier, on a une voisine de 94 ans qui dit avoir vu individu passer sur son balcon grâce aux échafaudages. Si la victime avait agi comme un citoyen normal, on n’en serait pas là. Par son attitude, il est entièrement responsable de son préjudice.” L’avocate plaide les coups policiers comme “des erreurs déontologiques, mais pas des infractions pénales”. Sa consœur Félicie Jassem, en défense de Mélik S., insiste sur “les séquelles psychologiques subies aussi par le policier”. Ce dernier a été suspendu temporairement des missions de voie publique pendant plusieurs mois. Depuis, il a pu retrouver le terrain.

Sur le plan administratif, les deux agents ont été entendus par une commission de discipline, mais cette dernière ne s’est pas encore prononcée. Le tribunal, lui, s’est engagé à livrer son jugement le 25 octobre.

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Commentaires

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  1. barbapapa barbapapa

    Il faut espérer, ou prier, que ces VIOLENCES POLICIERES ne soient pas généralisées…

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  2. ZooMental ZooMental

    A nouveau des individus qui n’ont rien à faire dans la police, ils ont un comportement de voyous face à deux personnes ne présentant aucun danger, sinon pour elles même. Ajoutées à ça, les fausses déclarations démontrent leur lâcheté: ils n’ont même pas le courage de reconnaitre le disproportion de leurs gestes. Nous avons besoin d’une police républicaine convenablement formée et respectueuse de la loi.

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  3. Loin de Marseille Loin de Marseille

    A chasser de la police ces délinquants qui se croient tout permis sous prétexte qu’ils sont “policiers”.

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  4. petitvelo petitvelo

    Tant de connivences et le jour où les masques tombent juste du sursis. Les policiers ont raison la justice est trop laxiste pour être efficace. C est une rééducation complète qui est nécessaire, notamment des décideurs qui ne veulent pas voir les conséquences de leurs choix, du manque de moyens, de leurs coups dr menton cachant mal leur peur du débordement généralisé.

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