Violences au siège de SOS Méditerranée : Génération Identitaire ressuscite au tribunal

Capture d'écran d'une vidéo de Génération identitaire.

Juste avant de passer à l’acte, le groupe a immortalisé la journée du 5 octobre 2018 par une joyeuse photo de famille sur le Vieux-Port de Marseille. Deux jours de garde à vue plus tard, les mêmes 22 individus seront mis en examen. Ce lundi 10 octobre, tous ont de nouveau rendez-vous à Marseille, devant le tribunal correctionnel. Ils viennent d’Aix, Toulon, Montpellier ou Paris. Ils ont pour point commun leur affiliation au groupuscule d’extrême droite Génération identitaire, dissout en 2021. À partir d’aujourd’hui et durant deux semaines, ils sont jugés pour des “violences en réunion” commises au siège de SOS Méditerranée.

Le 5 octobre 2018, 22 membres de Génération identitaire investissent les locaux de l’ONG d’aide aux migrants. Un membre de l’association est “ceinturé”, une autre est “brutalisée” et reçoit “des coups dans les jambes”. Tous se disent victimes d’un “traumatisme” selon l’ordonnance de renvoi consultée par Marsactu. Pendant ce temps, sur le trottoir de la rue Paradis, la porte-parole du groupuscule, Anaïs Lignier, filme la façade de l’immeuble. Ses camarades y déploient une très large banderole qui affiche : “SOS Méditerranée complice du trafic d’êtres humains !”

Vingt-troisième prévenue du procès, Anaïs Lignier est poursuivie pour la “diffusion” de cette vidéo, toujours en ligne. L’enquête menée à Marseille conclut en revanche que les identitaires n’ont commis ni “dégradation” ni “vol” dans les locaux de l’ONG. Ils sont même plusieurs à qualifier leur action de “pacifique” devant le magistrat instructeur.

“Par amour pour la France, j’ai choisi de récidiver”

Le 5 octobre 2018 à Marseille, les méthodes d’action de Génération identitaire sont déjà bien rodées. En 2012, le groupe fête sa naissance en occupant le toit de la mosquée de Poitiers. En 2017, les militants affrètent un “bateau anti-migrants”. Après leur action marseillaise, ils barreront en 2019 la route aux migrants dans les Alpes et les Pyrénées. Ils envahissent la CAF de Bobigny la même année et certains sont condamnés pour cela. En 2020, l’antenne lyonnaise de SOS Méditerranée. “L‘association Génération identitaire peut être regardée comme présentant par sa forme et son organisation militaires le caractère d’une milice privée”, peut-on lire dans le décret de dissolution daté du 3 mars 2021.

Toutes ces actions sont revendiquées, encore aujourd’hui, sur la chaîne Youtube de Génération Identitaire, seul réseau social toujours actif après la dissolution du groupuscule. Et si la majorité des participants à l’opération marseillaise du 5 octobre 2018 étaient anonymes à l’époque, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Dans les Bouches-du-Rhône comme ailleurs en France, certains ont même tenté leur chance en politique. Et inévitablement, après plusieurs actions violentes, les casiers judiciaires se sont alourdis.

Notoriété, élections, condamnations : le militant de 28 ans Jérémie Piano coche les trois cases. Aux départementales de 2015, il est investi par le Rassemblement national à Aix-en-Provence. Aux législatives de 2022, il se présente sous l’étiquette Reconquête ! derrière Éric Zemmour dans la 11e circonscription des Bouches-du-Rhône. “On s’est juré de me faire condamner… Eh bien, par amour pour la France, j’ai choisi de récidiver”, déclare-t-il en juin dans son clip de campagne.

Jérémie Piano était présent dès 2012 sur le toit de la mosquée de Poitiers. Il a été deux fois condamné en première instance pour incitation et provocation à la haine raciale, notamment pour avoir collé des affiches à Aix en 2020 avec le slogan : “Immigration. Racaille. Islamisation ? Reconquête”. Le militant vient aussi d’être condamné en appel pour l’occupation de la CAF de Bobigny.

Fiche S et Youtube patriote

Jérémie Piano, militant local incontournable, partagera le banc des détenus avec d’autres identitaires chevronnés. Parmi eux : le Lyonnais Romain Espino, 29 ans. Connu pour sa participation aux actions antimigrants dans les Alpes, il était devenu porte-parole de Génération identitaire. La veille de l’intrusion au siège de SOS Méditerranée, Romain Espino publiait sur Youtube un appel à “saisir” l’Aquarius, bateau de l’ONG. “Ces ONG participent de fait au trafic d’être humains et surtout, à l’invasion de la France et de l’Europe”, déclare-t-il face caméra.

Autre militante au visage bien connu des réseaux identitaires, Thaïs d’Escufon, 23 ans, est aussi jugée à partir d’aujourd’hui. La Toulousaine qui utilise un nom d’emprunt a participé à plusieurs actions médiatiques. En juin 2020, en marge d’une manifestation contre les violences policières, elle déploie une banderole demandant “Justice pour les victimes du racisme anti-blanc”. Privée d’un canal d’expression de taille avec la dissolution de Génération Identitaire, Thaïs d’Escufon a depuis ouvert sa propre chaîne Youtube. Au menu : messages de soutien à Éric Zemmour et vidéos intitulées “Pourquoi je ne suis pas féministe” ou encore “Antifas = vrais fascistes ?”. La chaîne est suivie par 62 000 abonnés. Contactée, l’influenceuse patriote explique que Youtube est devenu son “travail à temps plein”.

Parmi les prévenus figure aussi un homme fiché S : Édouard Michaud, considéré par les renseignements comme un “militant d’extrême droite radicale susceptible de commettre des actions violentes”. Affilié au groupe d’ultradroite Zouaves Paris selon Libération, cet étudiant parisien était devenu “cadre” au sein de Génération identitaire.

Arc méditerranéen identitaire

Le 5 octobre 2018 est surtout l’occasion pour des militants identitaires de tout l’arc méditerranéen de converger sur Marseille. On retrouve parmi les prévenus Olivier Raffard de Brienne, ancien membre de l’Action française, aixois et candidat RN aux cantonales de 2015 comme son camarade Jérémie Piano. On note aussi la venue du Niçois Gaétan Le Mouillour, co-gérant d’une “maison de quartier identitaire” baptisée Club 15.43. Autre patriote expérimenté : l’ancien légionnaire russe Peter Sterligov. Candidat RN aux cantonales de 2015 à Nîmes, il est depuis un collaborateur de premier ordre à la mairie RN de Beaucaire. Il est dépeint comme “agressif” par plusieurs agents municipaux interrogés dans Médiapart. Il est aussi condamné pour l’intrusion à la CAF de Bobigny.

Mais l’action du groupuscule avait reçu le soutien de plusieurs barons locaux, à commencer par le sénateur marseillais Stéphane Ravier. L’élu rallié à Éric Zemmour avait tweeté juste après l’intrusion : “L’ONG pseudo humanitaire est bel et bien complice des trafiquants d’êtres humains. Bravo à Génération identitaire pour son action pacifique dans les locaux à Marseille.”

Ces propos lui avaient valu une plainte en diffamation dont la procédure est toujours en cours, selon nos informations. Stéphane Ravier est aussi signataire d’une tribune demandant “l’abandon des poursuites contre Génération identitaire” publiée dans Valeurs Actuelles. Parmi les signataires, on distingue d’autres piliers de l’extrême droite locale comme la Ligue du Sud de Jacques Bompard, et l’ancien candidat RN aux élections régionales Thierry Mariani.

Un préjudice à l’action humanitaire de l’ONG

Le procès qui s’ouvre ce lundi devant le tribunal correctionnel de Marseille s’étalera sur deux semaines. De quoi laisser le temps d’aborder la question, centrale, des préparatifs : à quel point l’opération était-elle planifiée ? La majorité des téléphones des prévenus n’en portent pas trace. En audition, un des mis en cause a expliqué que le projet avait été monté sur un canal Telegram. Un second a assuré que les 23 prévenus “se connaissaient tous”, lit-on dans la procédure. Selon l’association La Maison des Potes, qui se constitue partie civile, les universités d’été organisées par Génération identitaire seulement deux mois avant les faits auraient servi “de répétition générale pour mener à bien l’opération à Marseille”.