[Vieilles branches] À Lamanon, 2000 habitants et un platane
Témoins et parfois acteurs de l'histoire locale, les arbres multicentenaires ont souvent du mal à trouver leur place aujourd'hui. Ils racontent pourtant leur commune. Pour ce premier épisode, Marsactu s'installe à l'ombre du "géant de Provence". Propriété privée que la commune voudrait bien acquérir, le platane de Lamanon est au cœur d'une querelle de village qui pourrait bien animer les municipales anticipées prévues le 25 septembre.
La Ville recense désormais les arbres des parcs, des écoles ou encore des espaces publics à l'aide de l'IA.
C’est une forêt à lui tout seul. Une masse verte énorme au milieu d’une clairière collée au village. Ce platane n’a plus rien d’un simple arbre. Tout est démesuré. Ses branches immenses et crochues descendent des cimes et viennent ramper sur le sol. Qu’elles conduisent à Nostradamus ou Catherine de Médicis (voir l’encadré ci-dessous), les légendes lui donnent plus de 400 ans. Son tronc est si épais que, dit-on, huit personnes pourraient faire le tour en se tenant la main. 21 mètres de hauteur pour 45 mètres d’envergure, le “géant de Provence” est une fierté pour Lamanon. “Tout ici est basé sur le grand platane”, ose Roger Berto, premier adjoint de la commune. Dans la salle du conseil, on le trouve en peinture, en sculpture, symbole vénéré de la ville.
Pourtant, l’arbre pousse sur un domaine privé et son accès est interdit. Et si le maire de Lamanon, Roland Darrouzès, peut écrire dans le journal de la commune qu’il aime rêvasser la nuit contre son écorce, c’est qu’il doit sûrement enjamber les clôtures pour y accéder.
Cela fait des décennies qu’on se querelle à Lamanon à son sujet. Roland Darrouzès, qui a entamé sa 41e et dernière année de règne, s’est beaucoup battu pour que l’arbre et son terrain intègrent le domaine public. Les propriétaires successifs ont toujours voulu conserver les parcelles concernées, ou du moins en tirer un bon prix. Et l’affaire ne va pas s’arrêter malgré l’annonce de la retraite un peu forcée du maire historique. Une grande partie des élus du conseil municipal ayant démissionné, les Lamanonais doivent revoter en septembre. Et l’opposition promet déjà de faire du platane le point 2 de leur programme environnemental. Juste après les grottes de Calès, l’autre fierté du village.
Victime collatérale
Il y a effectivement urgence, le multicentenaire fatigue. Un rapport de l’Office national des forêts (ONF) rendu au printemps 2015 amène le conflit sur un autre terrain. L’étude commandée par la mairie et que nous nous sommes procurée indique que l’arbre géant est potentiellement menacé par le chancre coloré. Quatre à cinq autres platanes de la propriété du couple Michiels doivent rapidement être abattus, afin d’éviter qu’ils ne contaminent par les racines leur congénère de 400 ans.
Mais chacun refile la tronçonneuse à son voisin. La mairie estime que ce n’est pas à elle de payer pour l’abattage, et vice-versa. “L’abattage d’un seul platane coûte en moyenne 3000 euros, on demande que la mairie nous aide”, martèle Gisèle Michiels. “Les platanes sont situés sur une propriété privée, ce n’est pas à la mairie de payer les frais d’entretiens”, rétorque Roger Berto, premier adjoint. En l’absence de solutions, le chancre coloré menace toujours l’arbre. Le temps presse car “toute infection le condamnerait à une mort certaine”, commente Lionel Staub, un expert forestier qui connaît bien le platane de Lamanon.
La mairie ne souhaite plus intervenir directement sur l’arbre. “Nous l’avons entretenu à nos frais, aux frais des citoyens, à deux reprises”, indique le maire dans une lettre adressée en 2014 aux propriétaires, […] mais vous avez obtenu le label arbre remarquable auprès de l’association A.R.B.R.E.S […] Le label vous lie à l’entretien, à l’embellissement et aux soins […] Nous voilà peut-être dégagé de ce que je viens d’énoncer”, poursuit-il. Pour Gisèle Michiels, “le maire est vexé que nous ayons pris une initiative sans le consulter”.
Autre conséquence de ce statu quo, de nombreuses branches mortes ou affaiblies menacent de tomber et rendent l’accès au site dangereux. “Plusieurs interventions sécuritaires sont nécessaires : 3 structures altérées et colonisées par le phellin tacheté [un champignon qui se développe sur les parties mortes de l’arbre, ndlr] à supprimer; enlèvement des bois morts dans toute la couronne”, préconise l’ONF dans son rapport. Le propriétaire ne reçoit plus de public au pied de l’arbre, comme ce fut le cas pendant plusieurs années notamment pour les journées du patrimoine, pour cette raison.
Les légendes du géant
Plusieurs légendes circulent dans le village à propos du platane. C’est Catherine de Médicis, en voyage avec son fils Charles IX, qui l’aurait planté en 1564 avant de se rendre à Salon-de-Provence pour rencontrer Nostradamus. Une autre histoire évoque un ancien châtelain du village qui aurait semé un platane au XVIIe siècle pour célébrer la naissance de sa fille. Le catalogue départemental des sites classés estime de son côté l’âge de l’arbre à 300 ans, date à laquelle “l’exigence en eau fait opter pour une concommitance avec l’irrigation du domaine au début du XVIIIe siècle”.
Menaces d’expropriation
Derrière cette question de l’entretien, une autre bataille se joue. Roland Darrouzès menace régulièrement d’expropriation les propriétaires En 2014, dans une lettre aux propriétaires, il revient avec emphase sur sa volonté d’acquérir le terrain par la force de la loi. “Le conseil municipal majoritaire est plus que jamais décidé à entamer une procédure légale d’expropriation de votre propriété entière […] sur laquelle est implanté notre vénérable Platane […] Nous mettrons le temps qu’il faudra […] pour rendre aux Lamanonais l’un de ses nombreux joyaux”, écrit-il.
Des accords à l’amiable ont bien été envisagés. Le plus récent fait état d’une offre d’achat d’une parcelle de 8000 mètres carrés, sur les deux hectares que compte la propriété. Elle devait permettre un accès libre à l’arbre et a fait l’objet d’un enregistrement au cadastre comme emplacement réservé. “Nous avons refusé l’offre, la parcelle était beaucoup trop proche de notre maison et nous aurions eu tout le temps du monde devant nos fenêtres”, explique Mme Michiels.
Déjà en 1995, d’autres membres de la même famille de propriétaires ont également refusé une offre de la mairie. “La somme proposée était bien inférieure au prix du marché, pourtant les propriétaires auraient bien aimé vendre”, témoigne Jeannine Jourdan, présidente de l’association Lamanon demain qui avait suivi le dossier.
Début 2000, la mairie de Lamanon a fait classer en zone verte l’actuelle propriété des Michiels. Depuis, toute construction est impossible au titre de la préservation du patrimoine naturel. “Notre maison et notre terrain ne valent plus rien, c’est un moyen pour nous pousser à vendre en faisant baisser les prix”, s’indigne Gisèle Michiels.
Tentatives d’apaisement
Tentative d’intimidation ou pas, le premier adjoint Roger Berto revient sur cet épisode : “Classer toute la propriété des Michiels en zone verte n’était peut-être pas la bonne solution. Garantir simplement une zone de protection et un accès aurait suffi”. La question du platane casse les clivages politiques, pourtant profonds à Lamanon. Après le ramdam qui a précédé et suivi la démission du conseil municipal au début de l’été, majorité et opposition s’accordent sur la nécessité de trouver une solution.
“Nous ne sommes pas dans la bonne dynamique, il faut que chacun fasse un effort. L’essentiel aujourd’hui c’est où peut-on trouver des fonds pour le platane et à qui doit-on s’adresser“, déclare Bernard Lavredine, élu d’opposition démissionnaire. “Mon seul souhait est que la situation se débloque et que les Lamanonais profitent du platane en toute sécurité”, répond Roger Berto. A Lamanon, tous les candidats aimeraient voir le platane pencher de leur côté.
Commentaires
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C’est somptueux. Quel dommage que Lamanon ne se trouve pas sur le territoire d’un parc naturel régional, voilà une structure qui aurait pu être sollicitée pour aider à construire une solution concertée.
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Mais LAMANON se trouve déjà dans le Parc Naturel Régional des Alpilles.
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