Vente de La Provence : le liquidateur dénonce le “conflit d’intérêts” de Xavier Niel

Actualité
le 22 Déc 2021
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La bataille entre Xavier Niel et la CMA-CGM de Rodolphe Saadé pour le rachat de La Provence a connu une première étape au tribunal ce mardi. Le liquidateur des parts du groupe Bernard-Tapie tente de faire annuler une clause qui avantage Xavier Niel.

Suite à la liquidation du groupe Bernard-Tapie, La Provence est à vendre. (Photo JML)
Suite à la liquidation du groupe Bernard-Tapie, La Provence est à vendre. (Photo JML)

Suite à la liquidation du groupe Bernard-Tapie, La Provence est à vendre. (Photo JML)

“Nous ne parlons pas là de la cession d’une entité vide, mais d’une entreprise qui compte 650 salariés.” À l’audience en référé de ce mardi au tribunal de commerce de Marseille, l’avocat du liquidateur du groupe Bernard-Tapie (GBT) a tenté d’apporter un peu d’humanité au débat, surtout occupé par des considérations légales et très techniques. Comme Marsactu l’avait révélé début décembre, cette audience a été exigée par le liquidateur de GBT lui-même, Xavier Brouard. L’enjeu ? Tenter de faire sauter le privilège légal dont bénéficie actuellement la société de Xavier Niel quant au rachat de La Provence et Corse Matin. Ce privilège, c’est le droit d’agrément, conféré à Xavier Niel en tant qu’actuel actionnaire minoritaire du groupe de presse. Le fondateur de Free détient aujourd’hui 11% des parts, soit, les seules actions qui ne sont pas détenues par le groupe Bernard-Tapie (89%), aujourd’hui ouvertes à la cession.

Deux repreneurs sont dans la course : NJJ Press pour Xavier Niel et l’armateur CMA-CGM présidé par Rodolphe Saadé. Mais grâce à la clause d’agrément détenue par Xavier Niel, les paris pourraient tourner court. Car si l’actionnaire minoritaire conserve son avantage légal, celui-ci lui permettra de poser un veto sur chaque cession d’actions, et donc sur le choix du futur repreneur. Autrement dit, il suffirait qu’un seul actionnaire s’oppose à l’offre de la CMA-CGM pour que Xavier Niel emporte la mise. À l’inverse, si le tribunal de commerce de Marseille ordonne l’annulation de ce droit d’agrément, les deux repreneurs potentiels seront départagés par un juge-commissaire. Comme l’a expliqué à l’audience l’avocat du liquidateur, “nous sommes faces à deux systèmes juridiques distincts. Deux ordres qui entrent en collision.”

“Monsieur Xavier Niel a déjà un pied dans la maison pour imposer son choix !”

Le système actuel donne l’avantage à Xavier Niel. Le second rebattrait les cartes et permettrait au repreneur le plus généreux de l’emporter. Et selon l’avocat du liquidateur Me Bernard Vatier, la configuration actuelle pose un grave problème d’équité : “Le candidat repreneur, monsieur Xavier Niel, a déjà un pied dans la maison pour imposer son choix ! Il s’agit là d’un conflit d’intérêts, et ce conflit est contraire à l’ordre public.” Pour le moment, l’offre de reprise de Xavier Niel s’élèverait autour de 40 millions d’euros. Celle de son adversaire n’est pas connue à ce jour, mais pourrait être plus élevée, ce qui est tout l’objectif du liquidateur. La cession doit participer au remboursement des créanciers du groupe Bernard-Tapie et en premier lieu l’État, qui attend toujours les 404 millions d’euros versés à l’homme d’affaires suite au désormais célèbre arbitrage frauduleux.

Cette cession va générer un impact social, il ne peut pas être mis de côté.

L’avocat du liquidateur

Si le droit d’agrément de Xavier Niel est annulé, le juge-commissaire pourrait alors comparer “le prix proposé par les repreneurs, mais aussi le plan, le devenir de l’entreprise. Voilà pourquoi il est impératif que les salariés représentants du personnel puissent exprimer leur avis. Et pour le moment, c’est surtout l’inquiétude qui transparaît. Cette cession va générer un impact social, il ne peut pas être mis de côté. Cela n’est pas imaginable”, conclut l’avocat du liquidateur.

Sauvegarde des emplois et enjeu éditorial

Même discours pour Gilbert Allemand, avocat du conseil social et économique (CSE) de La Provence. “L’actionnaire a gelé toutes les procédures. Il faut suspendre sa clause et laisser le juge-commissaire choisir le repreneur”, demande-t-il dans sa plaidoirie. Le conseil insiste sur l’enjeu sociétal de ce dossier, qui doit sceller le sort du premier quotidien marseillais. “La Provence, c’est le seul titre qui représente quelque chose ici. C’est le seul à avoir survécu dans le temps”, estime l’avocat en balayant La Marseillaise qui, selon ses termes, perdure “au prix d’un miracle judiciaire”. S’ajoute à cela la question de la “sauvegarde des emplois”, mais aussi un enjeu éditorial. Xavier Niel est déjà propriétaire du groupe Nice Matin. En mettant la main sur l’autre grand journal du Sud-Est et le quotidien corse, “on peut craindre une fusion”, avance l’avocat.

Un premier avocat, Didier Malka, intervient pour le compte de l’homme d’affaires. “La jurisprudence est en faveur du maintien de la clause d’agrément. De plus, nous ne sommes pas en république bananière ! Même avec la clause, c’est un expert qui fixera le prix de la cession, et non l’actionnaire lui-même”, veut-il rassurer. Un deuxième avocat, Christian Lestournelle, renchérit : “Je suis désolé, je n’avais pas prévu d’intervenir, mais je vais être rapide. Je veux juste rappeler, encore une fois, la jurisprudence. Celle-ci se prononce pour le maintien de la clause.” Il conclut et désigne les avocats du camp adverse : “Ils sont en train de compliquer un dossier qui est simple !”

L’avocat de Stéphane Tapie, fils du propriétaire défunt, Frédéric Chollet, clôt ce défilé de robes noires. Il plaide également en faveur du maintien de la clause. “Mon client est membre du conseil d’administration. La suspension de la clause suspendrait le vote du CA, et donc le vote de Stéphane Tapie.” Il estime assister ici à “un procès d’intention”, qui “préjuge de nombreuses choses. Il n’est pas encore dit, par exemple, que le conseil d’administration se prononcera en faveur de l’offre de Xavier Niel.” Ce dernier argument entraîne un bourdonnement dans la salle, plusieurs avocats semblent vouloir réagir. Le juge tranche : “Tout le monde a été entendu, j’ai donné la parole à chacun et je dispose de tous les éléments de ce dossier. Là, vous êtes trop nombreux.”

Le spectre d’une procédure à rallonge

La salle comptait en effet plus d’avocats que de représentants du personnel de La Provence. À la fin de l’audience, ces derniers ne se sont pas attardés. “Nous attendons d’être consultés”, lâche Jérôme Lorant, secrétaire du CSE. Il ajoute plus tard, par téléphone : “Cela m’inquiète un peu. J’ai l’impression que ça va durer dans le temps. À l’audience, on a vu que les avocats du liquidateur et de Xavier Niel sont tous sûrs de leurs droits. On peut craindre que l’un comme l’autre ne s’arrêtent pas à un délibéré qui ne leur serait pas favorable.”

Gilbert Allemand complète les mots du représentant : “les salariés sont en attente d’informations et c’est long. Une fois que les offres seront ouvertes, ils pourront les examiner et prendre parti.” L’avocat ajoute que le CSE demandera “le moment venu” une rencontre avec le juge-commissaire et espère que “l’avis des salariés élus sera déterminant”. Mais pour le moment, ils devront patienter. La procédure est suspendue à la décision du tribunal de commerce, qui doit être rendue le 11 janvier. Selon la Lettre A, le départage des offres pourrait intervenir en février, ce qui semble un peu trop optimiste aux yeux de certains avocats. “Les salariés viennent nous voir et s’inquiètent, renchérit Jérôme Lorant. Sans même imaginer de fusion avec Nice Matin, on peut craindre des synergies entre les rédactions, une réorganisation, donc des réductions d’effectifs.” En attendant que la bataille judiciaire ne se termine, c’est donc au pire que les salariés se préparent.

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