Une concentration hors-norme de légionelle dans des immeubles neufs d’Euroméditerranée
La présence de la bactérie a été décelée dans la copropriété le 2e Elément, livrée en 2019 quartier d'Arenc (3e). Les chiffres relevés sont 750 fois supérieurs à la limite admise. Les habitants des lieux dénonçaient depuis deux ans le risque de prolifération.
Le parc habité est censé faire partie des ensembles innovants du nouveau quartier. (Photo CB)
“La légionelle, jusqu’alors, je l’associais aux bâtiments anciens”. Claire Chamarat (*), membre du conseil syndical de la copropriété le 2e Élément ne cache pas son inquiétude mâtinée d’exaspération. Cette habitante d’un des immeubles sortis de terre en 2019 dans le parc habité d’Euroméditerranée vient d’avoir la confirmation de la présence de légionelle dans les eaux chaudes de sa copropriété. Quand elle prolifère dans les circuits sanitaires, la legionella pneumophila peut provoquer la légionellose. Une infection respiratoire grave, contractée en inhalant la bactérie lorsque celle-ci est diffusée en aérosol ou au travers de gouttelettes d’eau, sous la douche par exemple. Dans 10% des cas, la légionellose peut s’avérer mortelle, comme cela est arrivé dans d’autres quartiers de Marseille, à Air Bel ou à la Savine.
Au 2e Élément – groupe de trois immeubles pour 178 habitations, posé à Arenc, au cœur de l’opération de rénovation urbaine Euroméditerranée – la sentence tombe le 4 novembre dernier. La légionelle est relevée partout, à des concentrations diverses. L’entreprise chargée d’effectuer les analyses assortit ses résultats de ce commentaire : “Compte tenu des taux présents, une action est à mener dans les plus brefs délais.” Les chiffres issus du rapport d’analyse sont limpides : la présence bactérienne est massive dans le circuit d’eau chaude sanitaire (ECS). À l’état naturel, on trouve la légionelle dans l’eau et les sols humides et la norme admise est de 1000 unités faisant colonies (UFC) par litre d’eau. Au-dessus de cette valeur les risques de contamination sont importants.
Jusqu’à 750 fois la norme admise
Dans le bâtiment D de la copropriété, la densité est dix fois supérieure à la norme (10 000 UFC/litre). On grimpe à 60 000 UFC dans l’immeuble E, celui qui compte le plus de logements. Les prélèvements effectués dans le F crèvent littéralement le plafond avec 750 000 unités par litre d’eau chaude : soit 750 fois plus de legionella pneumophila que la présence communément admise. Des taux semblables à ceux constatés à la Savine il y a quelques mois. Selon les analyses menées, sa présence est quasi nulle dans le circuit d’eau froide : ce qui est normal puisque la bactérie ne prolifère qu’au-delà d’une température de 20 degrés.
“Nous savons que c’est dangereux. J’ai une voisine et amie immunodéprimée. Un jeune couple vient de rentrer de la maternité avec un nourrisson… La situation est évidemment inquiétante”, pose Claire Chamarat. Dès l’annonce de cette présence massive de la bactérie une “désinfection choc” a été décidée, qui devrait être suivie par une chloration continue des eaux. Rien qui n’apaise totalement l’exaspération de la membre du conseil syndical : “Au fond ce n’est pas une surprise, nous nous y attendions.”
Alertes et préconisations dès 2019
L’eau est mal produite et donc n’est pas assez chaude. Or la bactérie se développe entre 25 et 45 degrés.
Le bureau d’études
Avant la réception de leurs logements et leur installation début 2020, les habitants du 2e Élément ont fait le choix d’être accompagnés par Cofex un bureau d’études techniques indépendant. Depuis bientôt deux ans, ils sonnent l’alarme sur l’éventualité de cette prolifération bactérienne. Un rapport de Cofex, que Marsactu a pu consulter, pointe dès décembre 2019 “des risques de développement de la bactérie Legionella” dans les circuits.
“Ce qui pose problème, c’est la conception de l’installation même”, précise-t-on chez Cofex. “Nos premières constatations, malheureusement étaient bonnes. On le voit avec ces résultats massifs aujourd’hui. Dès fin 2019, nous avons donné une liste de réserves aux promoteurs qui devaient corriger plusieurs points. Il y a manifestement eu un défaut de mise en œuvre et de production d’eau chaude. Elle est mal produite et donc n’est pas assez chaude. Or la bactérie se développe entre 25 et 45 degrés.”
Depuis presque deux ans, donc, ce bureau d’études et le conseil syndical renouvellent régulièrement leurs alertes. Notamment dans un “audit de la sous-station” – cet ensemble d’équipements qui assure la production de l’eau chaude acheminée jusqu’au site par la boucle géothermique innovante Thassalia (filiale d’Engie) – Cofex pointe à plusieurs reprises des températures “non conformes” et liste de nombreuses préconisations. Sans qu’aucun travaux correctifs ne soient diligentés par les promoteurs. “On a écrit des lettres, envoyé des mises en demeure… Mais rien n’a été suivi d’effet, s’agace un habitant. Par leur incurie et leur inaction, les promoteurs ont créé cette situation.” En mai 2021, les copropriétaires ont d’ailleurs assigné en justice les promoteurs et le maitre d’œuvre sur plusieurs points litigieux, à leurs yeux, dont la réalisation de la sous-station. Après plusieurs renvois, l’audience devrait avoir lieu courant novembre.
Eau tiède et patate chaude
On a écrit des lettres, envoyé des mises en demeures… et rien ne s’est passé. Par leur incurie et leur inaction, les promoteurs ont créé cette situation.”
Un habitant
Au sein du conseil syndical on se désole que la gestion de la copropriété soit “un gros machin dans lequel personne ne s’occupe finalement de rien”. Du côté des hommes de l’art, face à l’annonce de cette présence bactérienne impressionnante on a tendance à se refiler la patate chaude. Chez Thassalia, fournisseur d’énergie via la géothermie marine, Patrick Berardi, directeur général de cette filiale d’Engie, précise que “la légionelle est indépendante de Thassalia” et que ses causes sont “à rechercher dans le réseau secondaire”. En clair, du côté des promoteurs qui ont bâti cette sorte “d’échangeur” qu’est la sous-station.
Les deux promoteurs, Pitch Immo et Quartus, sont réunis dans la société civile de construction vente (SCCV) “Îlot 2B Sud” (associés à Eiffage pour la réalisation des travaux). La société Quartus n’a pas répondu à nos sollicitations. L’entreprise Pitch Immo assure quant à elle à Marsactu vouloir “assigner les intervenants techniques” à la suite de cette prolifération.
“L’entreprise de plomberie CCSM s’est déplacée sur site en présence du syndic IPF IMMO et d’après son rapport mail du 8 novembre, il y aurait une problématique sur la température trop basse en sortie de l’échangeur Thassalia qui ne permettrait pas de produire une eau chaude sanitaire à température assez élevée. Il évoque deux possibilités : un problème d’entretien ou une trop grosse variation de température du circuit Thassalia”, indique-t-on chez Pitch Immo qui renvoie du coup la patate dans le jardin du fournisseur d’énergie. Lequel fait état d’une “dérive de température” constatée le 29 octobre, mais sans rapport avec l’actuelle présence bactérienne puisque les analyses ont été effectuées sur les circuits d’eau à compter du 23 octobre.
Cahier des charges plus contraignant
En fonction depuis six mois, le nouveau syndic IPF-Foncia n’a pas donné suite aux nombreux appels de Marsactu. Pas plus que la réprésentante de FaciliCiti, alors filiale de Quartus qui a assumé le rôle de syndic de copropriété jusqu’en avril dernier. Difficile dans ces conditions de comprendre les ressorts de l’inaction constatée et de cerner quels axes prendra la lutte contre la présence bactérienne dans les semaines à venir. De son côté, l’établissement public d’aménagement Euroméditerranée fait part de sa préoccupation, tout en prenant soin de rappeler que la contamination “n’a rien à voir avec la boucle géothermique”, fournissant l’énergie, dont l’aménageur public a fait un de ses arguments de communication.
Dans les faits, un autre habitant du parc habité d’Arenc laisse pourtant filtrer une revendication : “Les équipements de raccordement au réseau Thassalia ne sont clairement pas au niveau de la prestation demandée par la géothermie. Euromed devrait sans doute rédiger pour les promoteurs qui souhaitent se connecter à la boucle un cahier des charges plus pointu, plus contraignant.” Renvoyer à de simple “problèmes mécaniques passagers” internes à une copropriété fait bondir les résidents. “Tout de même, ça dépasse le stade d’une panne, là. Cela touche à notre sécurité sanitaire, à notre santé !”, s’irrite un propriétaire qui demande que les différents acteurs cessent “de se renvoyer la balle et prennent enfin leurs responsabilités.”
Commentaires
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Par mon passé professionnel, je connais bien ce genre de problématique. Vous en avez décrit les causes en creux :
– en premier lieu, c’est un problème de conception. Le bureau d’études thermique qui a décrit l’installation a encore dû, comme c’est trop souvent l’usage dans cette région où la compétence de chauffagiste s’est perdue, rédiger son cahier des charges de manière paresseuse, floue, imprécise, en additionnant les copiers-collers.
– ensuite en chantier, le bureau d’études fluides n’a pas véritablement suivi la réalisation de l’installation. Souvent parce que les promoteurs lui accordent des honoraires insuffisants pour cela. Mais aussi parce que chez le promoteur, il n’y a pas assez de compétence technique et qu’ils ne sont pas assez vigilants sur les installations aussi pointues, et ne sollicitent pas assez les bureaux d’études et les entreprises. Quant à l’entreprise, face à un cahier des charges flou et à l’absence de surveillance, elle a dû faire au plus simple et à l’économie.
– et pour finir, si la compétence technique est basse chez les promoteurs, elle est nulle chez les syndic. Autant dire que l’entreprise en charge du contrat d’entretien est elle aussi laissée en liberté, sans véritable suivi. A condition que son contrat lui-même ait été rédigé correctement, avec toutes les exigences techniques requises pour une installation de cette taille.
Cette accumulation d’incompétence s’achève avec la mauvaise gestion du dysfonctionnement : le syndic n’a visiblement pas été à la hauteur pour savoir mettre en œuvre les assurances, et défendre les intérêts des copropriétaires en faisant les actions nécessaires. Ah mais oui : c’était une filiale du promoteur…
Car en plus, là derrière, il y a le jeu cynique du recours à l’assurance : rien ne sert à se casser la tête à faire une conception aux petits oignons, ni à passer des plombes à suivre le chantier, ni à dépenser des sommes folles pour mettre le matériel le plus cher et le plus fiable, on peut même faire des économies sur le dimensionnement en “tordant” les notes de calcul : l’assurance dommage-ouvrage viendra payer les corrections….
A condition que le syndic sache l’actionner, ce qui n’a manifestement pas été le cas ici.
Eh oui, les acquéreurs d’appartements neufs sont livrés à une joyeuse bande de négligents, de cyniques, de va-comme-je-te-pousse…
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Merci pour ce commentaire très éclairant
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éclairant, certes ! inquiétant surtout !
un tel laisser-aller qui occasionne un risque de santé important est navrant en 2021 dans des immeubles neufs, avec un prix au m2 important.
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Merci de nous apporter cette lecture professionnelle la situation. C’est effarant de voir que même dans le neuf, même dans des copropriétés dîtes “haut de gamme” pour la vente, on ne peut échapper à l’incurie et l’incompétence.
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Merci @Patjoub, c’est tout à fait ça. Cerise sur le gâteau, dans le contrat de maintenance négocié par l’ancien syndic et confié à H St Paul (filiale à 100 % d’Engie) il n’était pas prévu d’analyses d’eau…
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Merci pour cet éclairage !
On y retrouve la même combinaison de dilution de responsabilités entre acteurs, de manque de compétence et d’exigence, d’incurie que pour l’entretien des logements anciens à Marseille.
Il faudrait que l’État, par ses services déconcentrés, ou les collectivités territoriales prennent ces problèmes au sérieux, instaurent des contrôles plus poussés et remontent le niveau d’exigence.
Les larmes de crocodiles des promoteurs et de leurs filiales, comme de certains syndics, ne peuvent pas masquer que ces entreprises se portent bien et que plus de contrôles et d’exigences ne sauraient les mettre sur la paille.
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@Forza, sur Univ’R Longchamp dans l’un des bâtiments, nous avions aussi H St Paul (avec les mêmes conditions que vous), mais au bout de 6 mois, nous avons pu changer de prestataire car nous, le CS,nous nous sommes rendus compte qu’ils ne faisaient aucune maintenance. Nous avons pris Vitaeco, le double mais où tout est compris (analyse, suivi etc).
Vous concernant le syndic était responsable mais aussi le Conseil Syndical. Et IPF est un bon gestionnaire dans la VEFA.
Bon courage à vous tous
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J’ai un syndic incompétent concernant la gestion de mon immeuble, visiblement, c’est le sport local.
Un charme local supplémentaire,sans doute
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” syndic incompétent ” est un pléonasme marseillais. Nous en sommes à notre 4ème en 12 ans et le dernier bat des records de nullité. Il faut dire aussi, que nos copropriétaires s’obstinent à choisir le moins disant.
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C’est la faute aux moules. Les moules colonisent les tuyaux et empêchent la boucle thermique de bien fonctionner. A bas les moules!
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tant que se ne sont pas des sardines
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Si pitch a réalisé les travaux comme il a achevé ses récentes constructions dans le 12ème, Bon courage aux copropriétaires.
Certains promoteurs s’évertuent à faire les choses correctement, espaces verts, éléments de décoration, remplacement de l’enrobé sur les trottoirs qu’ils ont défoncé pendant les travaux, d’autres comme Pitch s’en foutent complètement et passent à l’immeuble d’après.
Ça sent la bonne procédure au fonds pendant 4 à 6 ans, avec nomination d’un expert et responsabilité commune du BE, de l’architecte, de l’entreprise.
Ils auront de l’eau chaude à bonne température dans 7/8 ans.
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et 10 renvois d’audience suite à changement d’avocat, réparation sous-dimensionnée , … jouer l’usure jusqu’au bout
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Ah, les syndics. Faudrait que Marsactu fasse un reportage sur les syndics …Y aurait tant à dire…
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@forza pour compléter mon commentaire: ce n’est pas le syndic qui a mal négocié mais H St Paul qui est malin.
Pour les AG constitutive, ils proposent des devis peu chers et sans rien. En tout petit ils indiquent que les autres prestations (sel, analyse sont en plus et in fine plus cher)…. On s’est tous fait avoir
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Oui enfin le syndic est censé savoir lire et négocier les contrats et représente légalement la copro (pour tout dire c’est surtout à ça que ça sert). Quand Cofex lui met sous le nez un puis plusieurs rapports où il est écrit noir sur blanc qu’il y a un risque de prolifération de légionelles le minimum c’est qu’il aille jeter un oeil au contrat de maintenance et si ce n’est pas compris le faire rajouter où faire faire des analyses régulièrement.
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F2608
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Si vous mettez dans une même boucle de responsabilité Foncia, Pitch, Eiffage ou même Euro-méditerranée, vous obtenez un condensé de cupidité, d’incompétences et de tromperies commerciales. Je ne connais pas les autres opérateurs, mais ils m’ont pas l’air piqués des hannetons …
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On peut critiquer Foncia mais IPF Immo/Foncia n’était pas syndic à l’époque. C’est même eux qui les premiers ont fait faire des analyses d’eau une fois nommés syndic… avec les brillants résultats que l’on sait. Oui les autres ne sont pas “piqués des hannetons”, comme vous dites. Le syndic était alors “Quartus Syndic” — société de l’ex DG de l’autre promoteur, Quartus, devenue “FaciliCiti” après que le DG en question ait quitté Quartus avec la dite société fin 2020. D’ailleurs si je ne m’abuse ce monsieur est toujours actionnaire de “La Marseillaise” ? A vérifier.
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