Une appli pour signaler les agressions sexuelles en festival testée à Marsatac

Reportage
le 23 Août 2021
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Pour sa 23e édition qui se tenait ce week-end, le festival Marsatac a mis en place une application et un budget dédié pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Marsactu a observé les premiers déploiements de ce dispositif.

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L'édition 2021 du festival de musiques urbaines se tenait du 20 au 22 août. (Photo SL)

L'édition 2021 du festival de musiques urbaines se tenait du 20 au 22 août. (Photo SL)

Énième QR code à télécharger. “J’ai déjà TousAntiCovid, merci”, se presse un homme, casquette sur la tête et vêtu d’un ensemble beige. “Non ça n’a rien à voir ! C’est pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, je vais vous expliquer en une minute”, s’amuse Coralie. À l’entrée du festival Marsatac, Cléo, Laure et Coralie se tiennent à rebours du flux de festivaliers. Toutes les trois sont bénévoles et proposent de télécharger une application nommée Safer (“plus sûr” en anglais). Le principe ? Si l’on est victime ou témoin de violences sexistes ou sexuelles pendant le festival, on envoie une alerte à l’équipe de bénévoles, qui intervient grâce à un système de géolocalisation et au numéro de téléphone, pour prendre en charge la victime. L’équipe Safer est aussi en contact avec la sécurité s’il faut faire sortir quelqu’un du festival.

Cléo et Coralie expliquent comment utiliser l’application Safer aux premiers arrivés. (Photo SL)

C’est un vrai sujet pour les organisateurs comme nous qui programmons du rap et de l’électro où la place de la femme n’est pas toujours évidente.

Johan Dupuis, responsable de la communication

Le projet est né pendant l’année blanche liée à l’épidémie. “D’habitude, on a la tête dans le guidon pour préparer le festival, là on a eu le temps de réfléchir à ces questions. C’est un vrai sujet pour les organisateurs comme nous qui programmons du rap et de l’électro où la place de la femme n’est pas toujours évidente”, explique Johan Dupuis, en charge de la communication et de la responsabilité sociétale des organisations (RSO) de Marsatac. L’idée est validée par l’association Orane, organisatrice du festival, puis financée en majorité par des partenaires dont le centre national de la musique (CNM). Le budget total s’élève à 70 000 euros. Marsatac a employé deux professionnels pour mener le projet, dont une membre du centre d’information du droit des femmes et des familles (CIDFF), présente les trois jours du festival.

Les victimes de violences sexistes ou sexuelles peuvent se rendre au stand Safer pour être prises en charge. (Photo SL)

Libérer la parole

À 18 heures, les festivaliers ne sont pas pressés et les pancartes des trois jeunes femmes suscitent la curiosité. “C’est super, je vais la télécharger direct. Moi, je suis une colleuse”, sourit une trentenaire, membre d’un groupe de militantes spécialistes des affichages de messages pour le droit des femmes. Une autre estime qu’elle n’en aura pas besoin : “Moi si j’ai un problème je lui mets un coup de coude, direct !” S’ils ne téléchargent pas tous l’application, nombreux sont ceux qui remercient les bénévoles d’être présentes sur place.

D’après une étude de l’association Consentis, sur un échantillon de 1030 personnes, 41% d’entre elles ont indiqué s’être déjà fait agresser sexuellement en milieu festif. “Il est bien plus facile de se frotter dans la fosse que dans la rue et ces comportements sont accentués par la prise d’alcool et de drogues”, souligne Coralie. Béatrice Desgranges, la directrice de Marsatac, est convaincue que les organisateurs d’évènements doivent assumer une responsabilité dans ce domaine. “Il faut garantir la sécurité pour que la fête soit plus joyeuse. Au-delà de ça, c’est aussi pour libérer la parole.” Davantage que pour empêcher les agressions, Safer est surtout là pour prendre en charge les victimes.

Les gens viennent se livrer sur leurs violences passées. En une soirée, cinq personnes m’ont parlé de viol.

Sandra, informatrice sociale

Sur le stand dédié, Sandra Lahoucine, informatrice sociale en charge de la lutte contre les violences intrafamiliales et sexistes au CIDFF, est assise devant des affiches de prévention. L’une d’elle rappelle les cinq zones corporelles qui peuvent caractériser une agression sexuelle : les seins, la bouche, le sexe, l’entre-cuisses, les fesses. “C’est essentiel d’être accueilli et de pouvoir être écouté. Les gens viennent se livrer sur leurs violences passées. En une soirée, cinq personnes m’ont parlé de viol”, insiste la professionnelle. C’est elle qui a formé pendant quelques heures les bénévoles de l’équipe. Sandra profite des moments de pause entre chaque artiste pour aller à la rencontre des festivaliers. Assis sur une nappe jaune dans la pelouse du parc Borély, Sandy, Bruno et Grives ont déjà téléchargé l’application. “C’est important que l’organisateur du festival s’empare de ces questions-là, mais je trouve dommage qu’on ne soit pas tous responsables nous-même”, concède l’un d’entre eux.

Sandra qui travaille pour le CIDFF va à la rencontre des festivaliers pour leur parler de l’application Safer. (Photo SL)

Les autres bénévoles vont aussi à la rencontre de la foule. Sur leur t-shirt, un grand œil bleu et le logo SAFER est indiqué. “Ça rassure les gens de savoir qu’on est présents et qu’à tout moment, ils peuvent nous alerter”, assure Maéva, une bénévole qui a fait un master de psychologie clinique. Alexandra, autre bénévole, âgée de 27 ans, est persuadée que la présence de l’équipe Safer peut dissuader les personnes qui agressent. Elle-même explique avoir déjà été droguée deux fois à son insu dont une en festival. “J’aimerais juste que les gens puissent faire la fête, prendre ce qu’ils veulent, mais dans le respect de l’autre.” La notion de consentement reste encore floue pour beaucoup et la jeune femme estime qu’il y a encore du travail à faire. “Hier je discutais avec un groupe qui m’a dit “il y a des femmes en string et en soutif donc, à un moment donné, il faut savoir ce qu’elles veulent”. Ils faisaient référence à la famille Maraboutage, un groupe d’artistes. De la même manière Camille, une autre bénévole, raconte : “On m’a dit à l’entrée “oui je vais prendre ton Q-R code” en insistant sur la lettre Q“.

Un impact limité

Ce dispositif est une expérimentation et il est difficile d’en mesurer l’impact pour le moment. Pour la première soirée du festival 140 personnes ont téléchargé l’application, malgré les encouragements reçus. Marc Brielles, responsable du projet, n’est pas mécontent pour autant : “Il y a plein de paramètres à prendre en compte. On a une jauge limitée à 5000 personnes et les gens se collent moins, ils ont intégré les gestes barrières liés au Covid. Et c’est plutôt une bonne nouvelle de ne pas avoir d’alertes ! Après je pense qu’il y a beaucoup de victimes d’outrage sexiste qui ne vont pas alerter pour ça. On ne va pas forcer la victime, c’est elle qui décide. Nous, on est présents si elle en a besoin.”

L’idée serait de pouvoir exporter le dispositif à d’autres évènements pour 2022, avec une grille tarifaire a été établie en fonction du budget de chaque festival. “Les tarifs vont de 50 à 1500 euros pour avoir accès à l’application, au stand et au MOOC pour former les bénévoles”, détaille Johan Dupuis. Plusieurs organisateurs l’ont déjà contacté pour mettre en place ce service. Samedi, la coordinatrice de la prévention d’un autre festival marseillais, est ainsi venue observer le dispositif. Le responsable de la communication de Marsatac espère ouvrir la voie : “Peut-être que dans quelques années, ça sera aussi naturel d’avoir un dispositif contre ces violences, que d’avoir des poubelles de tri dans les festivals”.

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Commentaires

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  1. Alceste. Alceste.

    Drôle d’époque, drôle de ville.

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    • Haçaira Haçaira

      C’est la même chose partout !

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  2. BRASILIA8 BRASILIA8

    maintenant c’est à chacun d’assurer sa protection les milices ne sont pas loin

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    • liovelut liovelut

      Surtout, ça reste une vision très “responsabilité individuelle” d’agressions sexuelles dont on sait qu’elles sont un problème social, dont la cause racine est à l’échelle collective.

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    • Coquelicot Coquelicot

      oui, vous avez raison, c’est à chaque jeune fille, coincée dans un coin par 5 vicelards d’assurer sa propre protection!!!
      C’est vraiment une remarque de mec qui ne s’est jamais fait agresser : complétement à coté de la plaque et outrancier

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    • gastor13 gastor13

      @l’hirondelle, il me semble que vous n’avez pas compris le sens de l’intervention de @Brasilia8. Il semblait regretter que que l’on en arrive à considérer que”c’est à chacun d’assurer sa protection” et qu’il n’y aurait pas loin dans ce cas pour arriver à la création de milices. Il faut des fois savoir lire et comprendre le sens d’une intervention sans la passer à la moulinette d’une vision militante.
      Il faut en effet que ce problème d’agression soit traité dans son ensemble et que les moyens soit mis pour assurer la sécurité des femmes dans ces événements festifs.
      Cette application peut toutefois être une aide précieuse pour les victimes, mais le mieux serait qu’il n’y ait pas de victimes.

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  3. BRASILIA8 BRASILIA8

    gastor13 je ne semble pas regretter que chacun assure sa protection je suis révolté contre cette forme de société qui se met en place où certains qui ont les moyens se feront protéger par des milices éventuellement armées et où les autres les plus faibles dont les femmes n’auront plus qu’à subir la loi du plus fort

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