Un club de “boxe prolétarienne” fait monter sur le ring minots, précaires et sans papiers
Dans une ruelle du Panier (2ᵉ), des gants de boxe noués aux barreaux d'une fenêtre font lever la tête des passants. C'est ici, au premier étage du centre d'animation et de loisirs, que le Boxe Massilia, un collectif solidaire, s'est installé depuis quatre ans. Il accueille sans distinction les jeunes du quartier précaires et sans-papiers.
Dans le quartier historique du Panier, près de 110 licenciés viennent s'entraîner avec le collectif Boxe Massilia.
Dans la petite salle embuée, Ayoub frappe des pneus empilés qui entourent un sac de boxe. D’autres sautent à la corde, combattent, soulèvent des haltères. Les TN abîmées foulent successivement le parquet stratifié. Pour les motiver, Diego, ancien boxeur pro de 55 ans aux bras recouverts de tatouages, s’égosille, avec un accent italien à couper au couteau : “Allez, allez ! Dansez, pas comme un sachet de pommes de terre !” Sur le ring, il entraîne Liane, une Malgache de 15 ans récemment entrée en compétition. À mesure qu’elle frappe son plastron, les cris de la jeune femme résonnent de plus en plus fort. Les coups fendent l’air et atterrissent dans les pattes d’ours de Diego.
Ici s’entraînent des mineurs non accompagnés, des réfugiés politiques, des collégiens, des intérimaires, des étudiants précaires… Cet espace, vecteur de lien social, leur permet de décompresser. Azar, réfugié afghan d’une quarantaine d’années, corrige la posture d’une jeune étudiante qui perfectionne son direct. Il vient transpirer et former les autres presque tous les soirs depuis deux ans.
Dans ce “club de quartier”, des drapeaux cubain, argentin, mexicain, des photos d’athlètes et des médailles sont punaisés aux murs. Sur les étagères, des trophées luisent. Accrochés aux barreaux de la fenêtre ouverte, qui aère la pièce, de vieux gants interpellent les touristes qui se baladent dans le Panier (2ᵉ).
Une “boxe prolétarienne”
Ici, les prix défient toute concurrence. “J’avais fait des essais dans un autre club, mais c’était trop cher, ça montait jusqu’à 400 euros l’année”, détaille Isahk, 17 ans, des bleus autour des yeux, restes d’une séance d’entraînement aux coups appuyés. Au Boxe Massilia, certains s’entraînent chaque soir, mais le prix reste le même : 20 euros par mois. Sous le lion et la lionne qui rugissent, symboles du collectif, on peut lire : “Pour une boxe prolétarienne”. Sur une affiche de la salle, une citation de Nelson Mandela : “La boxe est synonyme d’égalité. Sur le ring, la couleur, l’âge et la richesse ne comptent pas.”
Diego, l’un des créateurs, tient à ce que tout le monde puisse venir. Pour lui, c’est primordial de former ces minots de la Belle de Mai, de la Joliette, du Panier, du “CV” (pour centre-ville). “C’est important de créer des choses pour les enfants, les familles qui habitent ici, et pas seulement pour les touristes“, explique-t-il.
“À Marseille, il y a un rapport malade à l’école. C’est vu comme une institution de domination. Le sport a cet avantage d’être volontaire, c’est moins coercitif”, assure Diego. L’objectif de la salle, c’est donc de promouvoir des valeurs de solidarité, de maîtrise de soi, de discipline. Souvent, les jeunes viennent d’eux-mêmes, sur les conseils de leurs amis ou après avoir découvert le compte du collectif sur Instagram.
La Débrouille
“Après le confinement, j’ai fait le tour des poubelles et des rues pour trouver du matériel de sport, des pneus, qui pourraient servir à meubler la salle”, indique le coach. Ici, presque tout est récupéré : les tapis de sport, les gants, les sacs, les poids… Pour que les sacs de boxe tiennent au sol, des pneus sont entassés et vissés ensemble. Dans ce club subventionné par la mairie des 2e et 3e arrondissements, seul le ring a été financé par la Ville.
Une cagnotte sert à acheter le matériel nécessaire, à rembourser les trajets, mais aussi à aider celles et ceux qui n’ont pas les moyens de payer ce prix. “Des gens viennent parfois boxer juste pour prendre une douche”, souligne Diego.
Pour se rendre en compétition, c’est la débrouille : “On trouve une voiture et on y va”, rigole Liane, encore transpirante après des séries de corde à sauter. “On dort chez des amis, on ne paie jamais d’hôtel”, ajoute Diego. Cette accessibilité est chère aux créateurs du club, installé depuis 2020 dans un centre d’animation et de loisirs (CAL) du Panier.
Le Début à la plage
Diego rembobine. Après une carrière de boxeur pro en moins de 60 kg, l’Italien entraîne dans plusieurs clubs à Bologne, Gênes ou Florence. Quand il arrive à Marseille, il y a une douzaine d’années, il boxe seul, aux Catalans. “Je me suis demandé : qu’est-ce qu’il y a de beau et de gratuit dans la ville ? La plage. Donc, je suis allé faire du sport là-bas.” Deux jeunes le rejoignent d’abord un après-midi, puis ils se pointent de plus en plus nombreux. Tous les samedis matin, il entraîne jusqu’à une cinquantaine de personnes à l’entrée de la Corniche, la plupart sans-papiers. “J’amenais des gants, des trucs ramassés à droite à gauche”, sourit-il. Puis ces rendez-vous déménagent au parc Borély, faute de place suffisante sur le sable.
Pendant un temps, Diego continue de coacher en extérieur, et commence à se rendre dans des locaux, des squats, où il forme de nouveaux sportifs. Il finit par demander une salle à la mairie des 2/3, pour s’implanter dans des quartiers qu’il connaît bien. On lui propose le premier étage du centre d’animation, bas de plafond, inadapté aux cours de danse classique qui s’y tenaient jusqu’alors.
“ÇA me permet de me défouler”
Ayoub, un jeune du Panier aux cheveux bouclés, garde ses lunettes vissées sur le nez tout le long de l’entraînement. Dans sa chambre, il n’y a “que des trucs de boxe. Depuis que j’ai sept ans, je m’entraîne chez moi. Ici, je rencontre des gens, on rigole et on est sérieux à la fois”, sourit le collégien. Certains, comme Amine, intérimaire de 19 ans, ou Touré, 17 ans, mineur non accompagné, s’entraînent tous les soirs. “Entre les rendez-vous avec le juge et avec l’association qui m’accompagne, le club, ça me permet de me défouler”, raconte le jeune Ivoirien, arrivé en France depuis un an.
Ce principe de boxe populaire n’est pas nouveau. Avant d’arriver en France, Diego fréquentait des collectifs d’ouvriers, de cheminots, des squats et des centres sociaux italiens. Par exemple, à Bologne, dans le nord-est de l’Italie, un collectif a choisi d’occuper une ancienne caserne militaire pour aménager un espace autogéré et solidaire, le XM24, où Diego coachait.
Une formule qui plaît
Dans la ville, plusieurs espaces fonctionnent plus ou moins comme le Boxe Massilia : le collectif la Maladroite, installé à la Dar, rue d’Aubagne (1ᵉʳ), est autogéré et à prix libre. Le club Boxe populaire Marseille, repris plusieurs fois ces dernières années, est né de la volonté des militants antifascistes du Molotov. Les enfants peuvent aussi découvrir ce sport à la maison pour tous du Cours Julien (6ᵉ) ou à la Belle de Mai (3ᵉ), où la Team Sorel, spécialiste en MMA, réunit beaucoup de jeunes du quartier.
La place manque dans la petite salle de la rue du Refuge, et les sportifs doivent se retrancher devant les vestiaires pour pouvoir tous et toutes s’entraîner. Cet été, la Ville de Marseille a émis l’idée d’installer le collectif dans un local plus grand, qui pourrait accueillir les 110 licenciés, toujours plus nombreux.
Après leur première séance, Nessim et Louaï, deux collégiens, sortent du ring essoufflés. Sous le regard confiant de Diego, Ayoub, assidu depuis deux mois, rassure les deux jeunes de la Joliette : “Moi non plus au début, j’avais pas de cardio, mais ça va venir !” Malgré ces conseils, Louaï, épuisé, hésite à accepter la proposition du coach qui les presse de revenir dès le lendemain. Nessim insiste : “Si si, tu reviens…“
Commentaires
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très réconfortant.
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En un sens, c’est très sélect.
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