Un chercheur de l’IHU devant la justice pour harcèlement et agression sexuelle

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le 4 Mai 2022
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Ce mercredi, le tribunal correctionnel de Marseille juge E.G., ex-chercheur au sein de l'IHU, pour des faits de harcèlement moral et sexuel ainsi que pour agressions sexuelles à l'encontre de deux collègues. Après sa radiation de la fonction publique par le CNRS en 2017, cette affaire aborde enfin son versant judiciaire.

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L'IHU Méditerranée a été créé à partir notamment de l'Urmite. (Photo : BG)

L'IHU Méditerranée a été créé à partir notamment de l'Urmite. (Photo : BG)

Ce mercredi, après cinq ans d’attente, E.G. a rendez-vous avec la justice. Devant le tribunal correctionnel de Marseille, ce chercheur en biologie doit répondre de faits présumés de harcèlement moral et sexuel et d’agressions sexuelles, commis entre janvier 2015 et décembre 2017. Les victimes, B. une ingénieure de recherche et A., doctorante au moment des faits, attendent cette audience depuis des années. L’université Aix-Marseille figure également parmi les parties civiles.

En 2017, la commission disciplinaire du CNRS l’a révoqué de la fonction publique pour les mêmes faits. Une sanction d’abord invalidée par le tribunal administratif avant d’être confirmée définitivement par le conseil d’État en 2018. Lui-même n’a eu de cesse, par la voix de son avocat, de clamer son innocence, appelant de ses vœux l’audience du jour où il sera confronté à ses victimes.

Les deux plaignantes n’ont pas oublié le demi-sourire et l’air de défi d’E.G. alors qu’il quittait la salle d’audience, il y a un an, à l’occasion du premier report de l’audience. Sa défense venait de déposer une montagne de nouvelles pièces, impossibles à étudier en quelques heures. En décembre dernier, le tribunal renvoyait à nouveau le procès devant l’impossibilité d’entendre les nombreux témoins qu’il a fait citer en appui à sa cause.

De report en report, un procès après cinq ans d’attente

Pendant ces mois qui passent d’une audience à l’autre, A. et B. serrent les dents, en attendant de pouvoir faire entendre leur vérité. Pour A., il est toujours difficile de retenir ses larmes quand elle se confronte à son agresseur. “Ma cliente a quitté Marseille. Elle a tourné la page de la recherche et a construit une nouvelle vie, explique son avocate, Stéphanie Spiteri. C’était particulièrement douloureux pour elle de revenir à Marseille, sans procès au bout“.

Doctorante au moment des faits, la jeune femme avait traversé la Méditerranée pour venir faire un stage dans les services d’infectiologie de l’université de Marseille. L’aura du professeur Raoult, à l’époque patron de l’Urmite, premier maillon de ce qui deviendra bientôt l’IHU, brillait déjà au-delà des mers. La jeune femme partageait sa paillasse avec E.G., directeur de recherche du CNRS dont les études exploraient les capacités régénératrices du ver planaire.

Ambiance sexualisée et plaisanteries salaces

Au quotidien, le registre employé par E.G. avec ses collègues atteint rarement les hauteurs éthérées de la science. Cela vole bas. Le dossier déborde de ces plaisanteries graveleuses, salaces, de ces remarques racistes dont le chercheur s’est fait une spécialité. “Il est 16 heures, c’est l’heure de ma pipe. Qui s’y colle ?”, avait-il l’habitude de demander à la cantonade.

Elle a longtemps supporté en se disant qu’elle pouvait passer outre mais cette situation a atteint un point de non-retour.

Rudy Romero, avocat d’une plaignante

Avec B., ingénieure de recherche qu’il côtoie depuis des années, il se lâche. “Il va falloir que tu sois gentille, que tu passes sous mon bureau“, écrit-il dans un texto. Régulièrement, il critiquait “son travail d’arabe” la qualifiant en anglais sous une photo d’elle, d’ “allumeuse arabe”. Les textos graveleux vont même entraîner des problèmes dans le couple de B. E.G. est obligé de s’excuser auprès du mari de celle-ci. “Ma cliente est quelqu’un qui a du caractère, explique Rudy Romero, son avocat. Elle a longtemps supporté en se disant qu’elle pouvait passer outre mais cette situation a atteint un point de non-retour”.

De blagues douteuses en comportements déplacés, cette attitude de harcèlement vécue par les plaignantes connaît son apogée en 2015 alors que l’épouse d’E.G. est gravement malade. Les supérieurs d’E.G. eux-mêmes vont reconnaître que la situation personnelle du chercheur déteint en mal sur son comportement professionnel. À la même époque, ses recherches sur le ver planaire, aux capacités de régénérescence unique, commencent à porter leurs fruits. Ce petit ver immortel est capable de digérer les pires bactéries. E.G. est régulièrement interrogé par la presse, il passe à la télé. La pression augmente.

Pour A., cette période est aussi la pire de son passage au sein de l’unité de recherche. Les blagues grivoises ou salaces se transforment en gestes déplacés, puis en agression sexuelle caractérisée. “Le supérieur d’E.G., Jean-Louis Mège est entré dans le laboratoire alors que ce dernier venait d’agresser ma cliente, raconte Stéphanie Spiteri. Il a tout de suite compris que quelque chose n’allait pas. Il a donc convoqué ma cliente en présence de B.” Cette dernière se plaint à son tour du comportement d’E.G.

Mesure d’éloignement sans suite pénale

La double dénonciation remonte la chaîne hiérarchique. Le patron de l’Urmite, Didier Raoult est lui-même prévenu. Ce dernier décide d’éloigner E.G. des deux plaignantes mais sans saisir la justice des faits qui lui sont rapportés. En 2017, au moment de la suspension puis de la révocation d’E.G., nous avions demandé à Didier Raoult pourquoi il n’avait pas saisi la justice au titre de l’article 40, ce dernier avait répondu à Marsactu méconnaître ce principe de droit qui impose à tout fonctionnaire de dénoncer les faits délictueux dont il est témoin. “Les gens qui aiment le pouvoir connaissent tous leurs pouvoirs”, sourit l’avocate de A., en déni de cette ignorance.

La défense du chercheur évoque un climat de jalousie professionnelle.

Pour l’avocat d’E.G., Brice Grazzini, le démarrage de cette affaire tient à des ressorts plus prosaïques : “Cela fait plusieurs années que j’apprends à connaître le monde de la recherche, et il n’y pas pour moi de milieu professionnel plus violent que celui-là”. Pour lui, l’irruption de ces accusations a donc à voir avec la jalousie des prévenues, voire même de son directeur de laboratoire, alors qu’E.G. connaissait une reconnaissance professionnelle et médiatique sans précédent. “Comment expliquez-vous sinon que madame B. qui côtoyait E.G. depuis près de dix ans a choisi ce moment-là pour dénoncer ce comportement ?

2017, l’année où tout éclate

La défense reviendra également sur le contexte politique dans lequel cette affaire finit par éclater. Alors que Didier Raoult rassemble ses équipes dans les nouveaux locaux de l’IHU, E.G. se retrouve une nouvelle fois à travailler à proximité d’A. et B.. Or, au printemps 2017, des ingénieurs de recherche dénoncent le climat délétère qui règne au sein du nouvel établissement. Ces plaintes déclenchent une visite des délégations des quatre tutelles dans le cadre du travail conjoint des comités d’hygiène, sécurité et conditions de travail.

La parole se libère et les victimes se décident à porter plainte. “Ma cliente ne l’a pas fait avant car il n’est jamais simple de dénoncer ce type de faits avec la honte et la culpabilité qu’on y associe, explique Stéphanie Spitéri. Et cela l’est encore plus quand vous venez d’un pays maghrébin pour un stage et que votre famille finance la poursuite de vos études à l’étranger. Cela voulait dire pour elle tout remettre en cause”.

À partir de l’automne 2017, les choses s’accélèrent pour E.G.. Le CNRS le raye des cadres de la fonction publique et l’enquête préliminaire débute. Il ne quitte pas l’IHU pour autant. Didier Raoult lui maintient sa confiance et investit même à ses côtés dans la start up Techno-jouvence, abritée au sein du bâtiment de la Timone. Il n’en quittera la direction générale qu’en 2021, quelques jours avant la première audience du procès.

Didier Raoult tentera même de faire d’E.G. un chercheur associé de l’IHU, avant que les syndicats et l’université ne s’y opposent. Brice Grazzini ne veut pas s’étendre sur la situation professionnelle actuelle de son client, se bornant à dire qu’il est “au fond du trou, malade du cancer, objet d’une violence terrible depuis des années”.

Pour sa défense, il a convoqué neuf témoins, dont des pontes de l’IHU comme Éric Chabrière, “pour faire le travail à décharge que le parquet n’a pas fait durant l’enquête préliminaire”. L’avocat a longtemps cru ou espéré que cette enquête serait classée sans suite avant que le parquet finisse par la relancer en 2019 en décidant du renvoi du chercheur en correctionnelle. Après cinq ans d’attente, la vérité judiciaire arrive enfin, au bout des débats.

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Commentaires

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  1. manudu83 manudu83

    Eric Chabrière comme témoin de moralité, fallait oser, ils l’ont fait. C’est à ça qu’on les reconnait…

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    • Freddo69 Freddo69

      Cette cascade ne doit pas être réalisée seul dans votre salon. Laissez la place à un vrai pro du cyber harcèlement.

      Le gars il est passé hier au tribunal pour menace et cyber harcèlement et le lendemain il va dire que Ghigo lé nocent…

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  2. Lewis Lewis

    “Les gens qui aime le pouvoir connaisse tous leurs pouvoirs” (petits problèmes de conjugaison)

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  3. jacques jacques

    Pourquoi ces pudeurs de gazelle ( juste les initiales) alors que les noms de Baggi et Jorda s’étalent à longueurs d’articles ?

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    • LN LN

      Pourquoi reposer la question, puisque Benoît Gilles vous a répondu ce matin ?

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