Tunnel Prado Sud : on inaugure un scandale en trois épisodes

Tunnel Prado Sud : on inaugure un scandale en trois épisodes

Aaaahh… Le ruban ! Jean-Claude Gaudin et Eugène Caselli sortiront leurs ciseaux d'apparat, ce vendredi, pour couper le ruban du tunnel Prado Sud. Ce n'est pas tous les jours qu'on inaugure une infrastructure d'1,5 kilomètre. Autour d'eux, l'ensemble des élus se serreront pour figurer sur la photo. Quand on coupe le ruban, il est de rigueur de jeter un voile pudique sur les zones d'ombre d'une telle opération. Et ce beau tunnel en comprend de nombreuses à commencer par son acte de naissance. Petit retour sur un scandale tunnelier en trois épisodes raconté par Marsactu, documents à l'appui (cliquez sur les images pour y accéder).

Une clause léonine qui parie sur le retard de la L2

Or ce contrat comprend une clause plutôt étonnante qui lie le destin du tunnel à un certain ralentissement dans les projets contournement routier par la rocade L2 et le boulevard urbain sud. L'annexe 7 table sur la "mise en service de la L2 Est en 2012. Mise en service du Boulevard urbain sud (BUS) dans sa totalité à partir du 1er janvier 2026".

Ailleurs, il est même précisé : "Si les ouvrages visés au paragraphe 2 de de cette annexe étaient réalisés à une autre date que celle visée à ce paragraphe, et s'il en résulte des effets négatifs sur la fréquentation de l'ouvrage faisant l'objet du service concédé, la collectivité et le concessionnaire conviennent de se rapprocher en vue d'examiner les moyens à mettre en oeuvre pour compenser lesdits effets négatifs pour le concessionnaire, de sorte que l'équilibre économique de la concession reposant sur les prévisions initiales de fréquentation ne se trouve pas modifié".

Quelques semaines plus tard, la droite perdait la présidence de Marseille Provence Métropole au profit d'Eugène Caselli. Or, dans le contrat de "gouvernance partagée" qui va lier pour six ans l'ex-majorité UMP à la nouvelle présidence socialiste, on trouve quelques projets non négociables dont ce fameux contrat de délégation de service public signée en catimini. Dans un article publié sur Marsactu en décembre 2012, la conseillère communautaire communiste, Marie-Françoise Palloix rapportait l'aveu d'Eugène Caselli lors d'un rendez-vous en tête-à-tête :

Il m'a dit qu'il avait trois boulets liés à la gouvernance partagée : l'incinérateur, le tramway rue de Rome et le tunnel Prado Sud. A ce moment-là, j'ai compris que le TPS se ferait coûte que coûte.

Effectivement, malgré l'opposition d'une partie des riverains et des recours, le chantier se poursuit tandis que que la rocade L2 reste longtemps engluée dans les négociations du partenariat public-privé. Lors d'une visite de l'actuel ministre des transports, Frédéric Cuvillier, cette clause avait resurgi dans les questions des journalistes adressées à Eugène Caselli. Celui-ci avait alors annoncé qu'il allait renégocier cette clause. Une promesse qu'il avait réitérée devant la caméra de Marsactu.

Sans suite. Il faut dire que les multinationales du BTP sont passées maîtres dans l'art de rédiger les contrats. Depuis, Eugène Caselli a même d'autres soucis que l'annexe 7…

24 millions de rallonge, le double en suspens

De son côté, MPM assure qu'elle a bien joué le coup, la société ayant réclamé 80,9 millions d'euros. Marie-Françoise Palloix, encore elle, n'est pas de cet avis : "La prise en compte des réserves du commissaire enquêteurs, encore heureux ! Le rétablissement des réseaux et des voiries impactés par les travaux ! Est-ce à dire que le cahier des charges avait prévu d'ouvrir mais pas de refermer ?"

Dans ces cas-là, le seul moyen d'aller au fond des choses est de demander une expertise judiciaire. MPM n'a pas joué cette carte, se contentant d'une mission de conciliation bien conciliante. Ainsi, son rapport estime que Vinci/Eiffage n'a pas à assumer financièrement "des demandes exprimées par certains tiers, tels les marins-pompiers ou les services de police, exigeants et conseilleurs, mais jamais payeurs". Et même si elle assure qu'elle a mené en interne une contre-expertise, MPM a suivi à l'euro près la réévaluation de la mission sur les 18 postes de dépenses qu'elle a pris à sa charge…

Il y aurait déjà de quoi figer les sourires ce vendredi, mais le pire pourrait venir. Dans l'avenant, MPM et la société se sont ainsi mises d'accord pour remettre à plus tard une partie de la facture présentée par cette dernière. Une belle partie : 42,5 millions d'euros. "Sur le reste, nous n'avons rien à payer", nous assurait le directeur général des services Joël Raffin. Ouf…

La poule aux oeufs d'or de Prado Carénage

Peu après l'augmentation du prix du ticket de 2,60 euros à 2,70, le dénommé Paul Roudier par ailleurs militant de Debout la république avait sorti sa calculette pour vérifier la part qui revenait aux actionnaires. "Plus de 60 centimes de dividendes sont payés par l'usager pour un prix de passage moyen évalué à 2,53 euros", calcule le militant. En 2011, le chiffre d'affaires hors taxes de la société atteint 34,4 millions euros, dont 33,9 millions euros proviennent du péage (soit 98.41%). Le résultat net de la société (c'est-à-dire après soustraction des charges d'exploitation, impôts sur les sociétés, participation des salariés et autres) est d'environ 10,5 millions euros". Or, la majeure partie de cette somme est reversée aux actionnaires sous forme de dividendes, il suffit donc à Paul Roudier de diviser ceux-ci par le nombre de voitures qui s'enfilent le tunnel pour obtenir cette somme de 61 centimes qui passe directement de la poche de l'automobiliste à celle des actionnaires, Vinci, Eiffage et les petits porteurs. Rebelote en 2013, avec une distribution de 10,5 millions de dividendes.

A l'époque nous avions contacté le directeur de la société, Jacques Féron, pas démonté pour deux sous par le montant des dividendes. Benoîtement, il le comparaît alors l'investissement de sa société à l'achat d'une maison par un particulier. "Au bout de dix ans, les 500 euros de loyer que paie votre locataire vont directement dans votre poche. C'est la même chose pour le tunnel Prado Carénage. Nous avons investi 300 millions pour réaliser ce tunnel".

A cette occasion, il revient également sur la fameuse clause. Pour lui, il s'agit d'une "hypothèse de travail sur laquelle on construit le modèle financier. Elle n'a d'intérêt que si on peut démontrer que cela relève de la responsabilité du concédant. Par exemple, si ce dernier construit un itinéraire concurrent". Une hypothèse qui correspond à la définition du boulevard urbain sud, nouveau cheval de bataille d'une partie de la droite qui reproche à Eugène Caselli de ne pas avoir programmé le chantier du Boulevard urbain sud. Sur ce point, Jacques Feron se contente de renvoyer la communauté urbaine à ces chères études : "Le concédant est absolument maître de son calendrier et c'est lui qui a  établi cette hypothèse de 2026. Effectivement, si le Bus est fini avant cette date et que nous perdons du trafic à cause de cela, nous discuterons avec la communauté urbaine". Comme quoi, la clause léonine est toujours d'actualité.