Trois ans après les effondrements, le nombre d’immeubles en péril continue de grossir

Décryptage
le 5 Nov 2021
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Marsactu a compilé les quelque 1500 arrêtés municipaux pris pour des immeubles dangereux depuis le 5 novembre 2018. Cet état des lieux inédit met en lumière l'empilement des périls à Marseille. De nouveaux bâtiments s'ajoutent alors que les précédents connaissent de longs délais de réalisation des travaux.

Depuis fin 2018, les cadenas fermant les immeubles en péril se sont multipliés dans les rues de Marseille. (Photo LC)
Depuis fin 2018, les cadenas fermant les immeubles en péril se sont multipliés dans les rues de Marseille. (Photo LC)

Depuis fin 2018, les cadenas fermant les immeubles en péril se sont multipliés dans les rues de Marseille. (Photo LC)

Qui a dit que la crise de l’habitat indigne était terminée à Marseille ? Certainement pas l’adjoint au maire délégué au logement, qui a actualisé les compteurs lors d’une conférence de presse la semaine dernière : depuis les effondrements de la rue d’Aubagne le 5 novembre 2018, environ 800 immeubles ont été frappés d’arrêtés de péril et le rythme se maintient à une trentaine de nouveaux arrêtés par mois.

Mais ce que Patrick Amico n’a alors pas précisé, c’est quelle part de ces bâtiments avait fait l’objet de travaux suffisants de remise en sécurité. Selon nos calculs, cela concerne tout juste un quart des immeubles ciblés, tandis qu’environ 600 adresses restent interdites d’accès. Si le travail de relogement des pouvoirs publics et la débrouille de certains occupants a fait baisser drastiquement le nombre de personnes hébergées à l’hôtel ou en appart-hôtel (environ 140 ménages aujourd’hui), leurs logements d’origine sont donc bien souvent encore inhabitables.

 

Posé sur une carte, cela donne des quartiers encore criblés, où les portes anti-squat font partie du quotidien des habitants, tel que le Panier, où 18 immeubles restent en péril.

En rouge : les immeubles en péril, en orange les périls partiellement levés, en vert les périls levés.

Ce bilan, réalisé par Marsactu à partir des 1500 arrêtés publiés sur le site de la Ville, est soumis à des marges d’erreur et des limites (voir la méthodologie en fin d’article). Il permet cependant d’offrir une vision inédite sur la dynamique de ces trois ans de crise. En mettant en regard le rythme des évacuations et celui des levées de danger (péril, périmètres de sécurité, etc), on comprend mieux cette accumulation.

 

Relancé par Marsactu, Patrick Amico confirme les ordres de grandeur, mais assure que le service concerné est en ordre de marche. “Le process est bien établi, il fonctionne. Sur 2018-2020 il y a eu 160 mains levées, en 2021 nous en sommes déjà à 58 pour 220 nouveaux périls”, explique-t-il.

L’examen des immeubles de la première vague, près de trois ans après, interroge pourtant sur la capacité de la Ville à obtenir des avancées de la part des propriétaires. Il est vrai que certaines procédures aboutissent rapidement. Et parfois radicalement : pour le 15, rue de la Fare, frappé d’un arrêté de péril imminent le 17 novembre 2018, la Ville a rapidement pris la décision de démolir et cette ruine a été abattue au mois de janvier 2019. Pour le 24, rue Vacon à Noailles, l’accès à l’immeuble a été autorisé onze jours après l’arrêté de péril.

Un an, voire plus, pour sortir du péril

Pour beaucoup d’immeubles signalés en 2018, la situation paraît figée depuis trois ans.

“Tout dépend des travaux qui doivent être effectués. Si c’est moins urgent mais d’une ampleur plus importante, cela peut prendre plusieurs mois, commente Patrick Amico. Il n’y a pas de délai standard, mais nous avons l’habitude de dire qu’il faut en moyenne un an entre les études, l’intervention des hommes de l’art, les négociations des devis, les travaux puis notre visite de contrôle.”

Dans l’ensemble, c’est à peu près le délai que nous observons dans notre compilation des arrêtés. Mais pour plus de la moitié des périls pris dans le courant du mois de novembre 2018, il semble ne s’être toujours rien passé. C’est le cas d’un immeuble de quatre étages du quartier Belsunce ayant fait l’objet d’un arrêté de péril imminent le 23 novembre 2018. Ou bien encore du 1, rue de la Palud à Noailles, du 109, rue Kléber dans le 3e arrondissement et du 1, rue Lafon dans le 6e.

Dans l’arrêté de péril, un délai est pourtant fixé au propriétaire, souvent plus court. Selon l’élu, “la Ville peut accepter un report quand on a la certitude que les propriétaires ont la volonté de faire, mais si ce n’est pas le cas nous n’hésitons pas à signaler au procureur et à procéder aux travaux d’office.”

Comment expliquer alors ces situations qui paraissent figées si l’on se base sur les arrêtés ? Dans un premier temps, Patrick Amico livre une explication surprenante : certains vieux dossiers ne seraient “pas complètement bouclés administrativement”, mais les travaux auraient bien été réalisés. Ce retard de traitement s’expliquerait par la conjonction de la masse initiale à traiter, l’attaque informatique de mars 2020 et un changement de logiciel. En tout cas, “nous nous sommes assurés que ces immeubles ne présentent plus de danger”, atteste-t-il.

D’abord régler l’urgence

Nous priorisons. (…) Ce n’est pas un hasard si nous avons mené des travaux d’office rue Curiol car cela bloquait la réintégration de plusieurs immeubles.”

Patrick Amico, adjoint au logement.

Si nous avons pu constater ce genre de glissement de dates, ce n’est pas le cas de certains périls anciens levés récemment. Par exemple l’accès au 2, rue Durand / 24, rue Chateaubriand dans le 7e arrondissement a été autorisé après plus de 2 ans. Le péril imminent n’a été traité qu’un an plus tard, puis les travaux définitifs ont été réalisés une année après. La réponse de Patrick Amico est la même : la priorité de la Ville est “la sécurité des occupants et du public”. Autrement dit la mise en sécurité urgente – auparavant nommée “péril imminent”.

Quant à la persistance de périls “simples” durant de longs mois, “la Ville ne peut pas se substituer à tous les propriétaires indignes”, rétorque l’élu. De fait, au moins pour cette phase de démarrage des premiers millions d’euros dépensés après des années d’absence de mise en œuvre de ces pouvoirs du maire, la collectivité “priorise”. Dans les critères, la mauvaise volonté évidente des propriétaires figure évidemment, mais aussi “la notion d’urgence, la zone, dans le cas où une opération d’ensemble peut être menée, le nombre d’occupants… Ce n’est pas un hasard si nous avons mené des travaux d’office rue Curiol car cela bloquait la réintégration de plusieurs immeubles.” S’ajoutait dans cette rue voisine de la Plaine le blocage de voies de circulation, de même que rue d’Aubagne et, dans le viseur actuellement, la rue Barsotti (3e). Les travaux d’office ne sont finalement pas un couperet aussi implacable que l’annonçait la Ville.

Avec Suzanne Leenhardt

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Les coulisses de Marsactu
Nos données sont basées sur les arrêtés publiés sur le site internet de la Ville de Marseille, où le classement se fait par adresses. Dans certains cas, plusieurs immeubles peuvent être inclus dans une même procédure, avec une terminologie différente comme aux Flamants, voire traités séparément dans un arrêté ultérieur ce qui a compliqué le suivi de l'évolution. Les chiffres agrégés que nous présentons comportent donc une marge d'erreur. Nous avons aussi dû reclasser les types d'arrêtés, pour déterminer le statut exact de l'immeuble. Des erreurs ont pu là encore persister malgré nos efforts. Enfin, ce travail ne distingue pas le nombre de logements concernés, de la maison de ville inhabitée à la grande copropriété. Il ne s'agit même parfois que d'un balcon et non d'un logement. Nous avons considéré là encore que l'agrégation sur un tel volume limite ce biais.
Julien Vinzent
Journaliste.

Commentaires

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  1. Alceste. Alceste.

    Faut-il que le Président de la République de déplace à nouveau à Marseille pour expliquer à cet adjoint que le synonime de prioriser est se bouger.Argument choc selon lui,la lourdeur administrative,mais qu’il aille les secouer.
    Quelle improductivité !

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  2. BRASILIA8 BRASILIA8

    les propriétaires seront d’autant moins enclin à faire les travaux que ces immeubles sont “des passoires thermiques” selon le terme à la mode écolo dont les appartements ne pourront plus être loués

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  3. L.D. L.D.

    Bonjour, encore bravo pour cet article ou plutôt cette enquête fouillée .

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  4. Cd Cd

    Que dire d’un immeuble voisin juxtaposé à un autre placé en péril?
    Péril « simple »? Péril « imminent « quelles sont les différences ?
    Que dire d’une évacuation partielle d’un immeuble en péril ?
    Que dire des procédures qui s’éternisent avec un risque d’aggravation ?
    Que dire enfin des entreprises tout corps d’état qui en profitent pour faire grimper les coûts ?
    Merci d’avoir aborder ce sujet qui mine les arrondissements du centre ville de Marseille et ses habitants!

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  5. GENIA GENIA

    Péril imminent en 2012 Impossible de faire les travaux nécessaires car des copropriétaires ne voulant pas payer.
    Demande de substitution de la Mairie : refusé . Donc 6 ans en attente pour arriver à une expropriation, et spoliation, avec indemnisation au lance pierre !
    Mais dans un immeuble où il y a des bons et des mauvais payeurs : pourquoi les uns devraient être mis dans le même sac ? On dit “les copropriétaires” sans jamais différentier ceux qui sont coupables du manque d’entretien de leur lot et qui s’abstiennent de payer les charges, empêchant les travaux, de ceux qui sont victimes et ayant toujours payé leurs charges et entretenu leur bien.

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