Trois ans après l’annonce d’une réforme, les cimetières marseillais toujours aussi indignes

Enquête
le 27 Mai 2024
24

Ossements à l'air libre, matériel inadapté, absence de suivi médico-psychologique des agents et problèmes d'encadrement... Mairie et syndicats partagent le constat d'un service à l'abandon sous l'ancienne mandature et dont les dysfonctionnements ne sont toujours pas dépassés. Mais ils s'opposent sur le cas de cinq fossoyeurs mis à pied pour "comportements inadaptés".

Les terres communes du cimetière Saint-Pierre le 22 mai 2024. (Photo : PID)
Les terres communes du cimetière Saint-Pierre le 22 mai 2024. (Photo : PID)

Les terres communes du cimetière Saint-Pierre le 22 mai 2024. (Photo : PID)

Sous leurs herbes folles et leurs fleurs de printemps, les terres communes du cimetière Saint-Pierre (10e arrondissement) ressemblent davantage à des terrains vagues pleins de trous et de bosses qu’à des lieux de recueillement. Sur ces carrés qui paraissent abandonnés sont enterrés les défunts sans entourage, dont les proches n’ont pas les moyens de payer des obsèques, ou en attente d’une sépulture disponible.

Ce mercredi 22 mai, Marsactu y découvre un crâne accompagné de quelques autres os exposés au soleil. Dans un autre carré, un cercueil au couvercle explosé git dans une fosse à ciel ouvert. Elle paraît en cours de reprise, comme le montre la terre déplacée sur des bâches juste à côté du trou. Mais rien n’indique au public qu’il ne devrait pas fréquenter l’endroit en travaux et aucun agent ne se trouve à proximité. Selon la loi, au bout de cinq ans d’inhumation en terres communes, et pas avant, les restes humains peuvent être déplacés pour rejoindre une concession funéraire, être incinérés ou mis en ossuaire. Ailleurs, notamment dans les étages de la cathédrale du silence, bâtiment qui accueille des concessions à moindre coût, des dépotoirs de marbrerie et autres bordilles subsistent jusque dans des cases en béton qui n’accueillent pas encore de défunts.

Réaménagement des terres communes

“Ce que vous avez constaté n’est pas normal. Un administré qui visite un cimetière ne doit pas voir de cercueil ou d’ossement”, convient-on du côté des services de la Ville. Un plan d’investissements et de réorganisation est pourtant en cours depuis trois ans. Et les observations de Marsactu s’ajoutent à une longue liste d’éléments macabres relatés dans la presse depuis des années. Ils témoignent du dysfonctionnement du service des cimetières de la Ville de Marseille que la majorité municipale divers gauche peine à remettre en ordre.

“On trouve une situation malheureusement catastrophique. Nous essayons de remédier à tout ce qui n’avait pas été fait, affirme l’adjoint aux cimetières Hattab Fadhla. On est en train de récupérer les terres communes de Saint-Pierre pour les réaménager. Leur état n’est pas digne d’une commune comme Marseille”. Avec l’espoir que le réaménagement sera conclu d’ici à la fin de l’année, pour enfin “enterrer nos morts dignement”.

Des ossements à l’air libre sont toujours également visibles sur des amas de terres déposées sur les hauteurs de la nécropole des Vaudrans (11e arrondissement), six ans après de premières révélations de La Provence. Selon la mairie, ces restes humains “de plus d’un siècle” ont été déposés là suite au réaménagement de carrés de cimetière. “On aurait dû les traiter sur place”, reconnaît la Ville, soit avant que la terre ne soit transférée, pour les conserver en ossuaire. “Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Nous allons récupérer les restes humains avec la dignité qui se doit”, promet la municipalité.

Lourdes sanctions réclamées contre cinq fossoyeurs

L’affaire des Vaudrans a ressurgi médiatiquement début avril 2024, à l’occasion de la mise à pied de cinq fossoyeurs depuis début février pour “des comportements inadaptés sur le lieu de travail”. La Ville a demandé des sanctions exemplaires : mise à la retraite d’office pour les quatre plus anciens et une suspension de deux ans pour le plus jeune. La procédure disciplinaire étant en cours, la mairie se refuse à commenter les faits reprochés. Il s’agit notamment de l’égarement de trois dépouilles sorties des terres communes, du vol de dents en or et de consommation d’alcool sur le lieu de travail. Les agents incriminés réfutent ces accusations, comme l’a raconté France Bleu Provence, à l’occasion de leur conseil de discipline. En cas de sanction, ils envisagent de saisir la justice administrative. C’est désormais Benoit Payan qui doit prendre une décision les concernant. Dans cette affaire, la municipalité a par ailleurs déposé plainte pour “atteinte à l’intégrité de cadavres” et “violation de sépulture”. “Chaque fois qu’il y aura un manquement au niveau du travail, nous sanctionnerons avec fermeté”, prévient l’adjoint Hattab Fadhla.

Il y a eu des dysfonctionnements, on ne peut pas dire le contraire. Mais on ne peut pas reporter la faute que sur des agents.

Philippe Angelelli, CFTC-CFE-CGC

Pour le délégué CGT des territoriaux de Marseille, Mikaël Casanova, ces agents “sont pris pour des lampistes”. L’affaire a démarré lorsque trois dépouilles réclamées par des familles se sont avérées introuvables, déclenchant une enquête interne. Le syndicaliste raconte qu’elles sont finalement retrouvées dans des caisses en bois du local du four à débris, devenu ossuaire de fortune à cause du manque de place dans l’ossuaire municipal. “Il fallait des responsables face au scandale. Ce sont les dysfonctionnements de l’administration qui ont généré ces problèmes. L’administration doit prendre sa part de responsabilité”, considère amèrement le syndicaliste. “Il y a eu des dysfonctionnements, on ne peut pas dire le contraire. Mais on ne peut pas reporter la faute que sur des agents”, partage Philippe Angelelli, le représentant de l’union de la CFTC et de la CFE-CGC à la Ville.

“Service sous le joug de l’oralité”

Les représentants du personnel décrivent un service abandonné, en sous-effectif, au matériel défaillant et des agents livrés à eux-mêmes. “Il n’existe pas d’école de fossoyeurs. Le métier, ce sont les anciens qui l’apprennent aux nouveaux”, témoigne Mikaël Casanova. Dans ce contexte, “de mauvaises habitudes ont pu être prises. Ce qui a tué le service, c’est la paix sociale. Pour la paix sociale on a fermé les yeux”, reconnait-il. Il appuie notamment sur l’absence de suivi médico-psychologique pendant des années. “Quand vous êtes fossoyeur, vous êtes seul avec vous-même et physiquement, c’est dur. Est-ce que ces gens sont aptes à être sur ce poste ? C’est la première question que je pose à l’administration. Sachant qu’ils sont tous confrontés à la mort au quotidien”, développe le syndicaliste. Comme nous l’a confirmé la Ville, les agents des cimetières ont tous été reçus par la médecine du travail depuis la mise à pied des cinq fossoyeurs. “C’est le seul côté positif”, considère Mikaël Casanova.

Les syndicats souhaitent un tour de table et des moyens pour refonder le service et remettre en confiance les agents. “Ce n’est pas avec des méthodes sèches et brutales que l’on trouvera des solutions. On en trouvera en écoutant les personnels et en évitant de rajouter de la charge supplémentaire à la charge émotionnelle qu’ils ont”, affirme Philippe Angelelli.

La mairie l’assure, face à la crise des cimetière, “les réponses ont été à la hauteur. L’enveloppe se chiffre à des centaines de milliers d’euros”.

Un constat est partagé avec la Ville : aux cimetières règne un vrai flou sur les procédures et les outils de suivi. “Le service a fonctionné sous le joug de l’oralité pendant longtemps”, nous dit-on. Des recrutements par dizaines sont en cours pour “consolider l’encadrement intermédiaire” et porter l’ensemble des effectifs du service et de la régie municipale des pompes funèbres jusqu’à 280 agents, soit une cinquantaine de plus qu’en 2020. Concernant le matériel, la municipalité qui “a constaté une carence”, a procédé depuis quelques mois “à une remise à niveau complète des vêtements de travail, équipements de protection individuelle et outils. Les réponses ont été à la hauteur. L’enveloppe se chiffre à des centaines de milliers d’euros”, nous indique-t-on.

L’autre gros chantier concernera les extensions de cimetières et reprise des concessions non renouvelées. Aujourd’hui difficile de trouver une place pour une tombe et dans les années à venir, 30 000 places pourraient manquer dans les cimetières marseillais. “Le travail de récupération des concessions n’a pas été fait par l’ancienne majorité. Il y en a des milliers”, affirme Hattab Fadhla. Concernant les terres communes, il manque d’ores et déjà 20% de la superficie réglementaire attendue, soit dix hectares. De quoi se retrousser les manches.

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Commentaires

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  1. Alceste. Alceste.

    « Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence. » C’est la Loi.
    Je connais très peu les autres cimetières de Marseille, mais Saint Pierre est dans un état pitoyable à part l’allée centrale pour la photo.
    Je vais régulièrement sur la tombe de mes parents et effectivement des centaines de sépultures sont à l’abandon. Cela ne date pas d’hier ,mon tombeau est dans la partie la plus ancienne entourée de concessions ruinées.
    L’ancienne mairie n’a rien foutu en la matière, l’actuelle non plus et l’argument de l’héritage commence à bien faire y compris au niveau du personnel municipal. Je n’ose même pas parler du traitement des archives.
    4 années de discours, de tchache,de vent et toujours rien de concret. Ce qu’on fait les fossoyeurs, si cela est avéré, est proprement dégueulasse mais ce n’est qu’un épiphénomène de politiques qui ne valent rien.
    “Il y a des gens qui se croient le talent de gouverner par la seule raison qu’ils gouvernent.”
    Cette municipalité en est le le plus terrible exemple.

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  2. barbapapa barbapapa

    “Ce n’est pas avec des méthodes sèches et brutales que l’on trouvera des solutions. On en trouvera en écoutant les personnels et en évitant de rajouter de la charge supplémentaire à la charge émotionnelle qu’ils ont” = Bien écouter et ne pas charger émotionnellement des mecs qui arrachent les dents des cadavres, c’est comme donner des cours d’éducation civique à Dutrou et à Guy Georges

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    • RML RML

      Suis assez d’accord. Les syndicats sont inentendables .

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  3. julijo julijo

    Ah c’est sûr, les élus du printemps marseillais pourraient aller plus vite.
    Comme pour le logement insalubre, les écoles, les transports….la nullicipalité gaudin a éludé le problème.

    l’élu aux cimetières de Jean-Claude Gaudin, maurice rey se promenait jusqu’en Italie, mais dans les cimetières pas si souvent ! on ne peut pas lui en vouloir, il faisait confiance aux équipes !
    et il faudrait évidemment tout re-organiser, en oubliant, la « gestion » antérieure.
    Selon la déclaration de vassal – marsactu nov.2021- : “Bruno Genzana et Maurice Rey font partie des élus les plus expérimentés et les plus compétents de ce territoire, pour avoir occupé des mandats électoraux dans la plupart des collectivités locales. Il est donc apparu tout naturel de leur confier des responsabilités au sein du cabinet. […] Ils mettent à profit leurs connaissances en matière d’éducation et de sécurité au profit des habitants du département avec un grand professionnalisme.”

    Tout va bien se passer ! rey s’occuperait du 3e âge……pas tombé loin de ses grandes compétences.

    Alors, sûr pas facile pour les syndicats cfdt, cfe-cgc et cgt….il y a un côté indéfendable évidemment, mais rey n’est surtout pas responsable ? comme d’habitude.

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    • Alceste. Alceste.

      La position des syndicats n’est pas indéfendable elle est sordide.
      La taille du petit doigt derrière lequel se cache payan ( c’est la faute de gaudin) commence à ressembler au pouce de César.

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  4. julijo julijo

    alceste n’en jetez plus, on connait votre détestation pour

    – les syndicats (surtout la cgt, et tous ceux qui embêtent les patrons)
    – les écolos (qui nous punissent…)
    – le printemps marseillais (qui fait pas son boulot)
    – payan (qui ne sert à rien)
    – rubirola (qui a switché)
    – melenchon (qui est dangereux)
    – tous les élus en général (par réaction)

    j’en oublie sûrement, vous êtes un personnage acariâtre et outrancier ?!

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    • Moaàa Moaàa

      Lol @Julijo, tout est dit ! 🤣
      Merci

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Oui, vous oubliez sa détestation pour Marseille et ses habitants.

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    • Patafanari Patafanari

      Oui, laissez Payan reposer en paix.

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  5. Alceste. Alceste.

    Et moi je vous adore, Apollinaire disait qu“Il vaut mieux être cocu qu’aveugle. Au moins, on voit les confrères.”Mais là certains cumulent les deux .
    Je suis admiratif.

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    • Regard Neutre Regard Neutre

      Alceste vous êtes simplement un observateur vigilant de la scène politique locale sans chercher à complaire à qui que ce soit.Cela contribue à titiller une démocratie locale en déshérence en demandant des comptes à ceux qui détiennent le pouvoir. Vos critiques percutantes pointent les problèmes le plus souvent ignorés ou minimisés par d’autres.
      @+

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  6. Dark Vador Dark Vador

    Je ne suis pas systématiquement d’accord avec @Alceste c’est le moins que je puisse dire, mais avec @Electeur du 8e je dévore volontiers leurs parties de ping-pong 😉

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      😉

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  7. PatSEMP PatSEMP

    “Il y a des gens qui se croient le talent de critiquer pour la seule raison qu’ils critiquent”.

    et, puisqu’on est est dans les sentences:
    “la critique est aisée, l’art est difficile”

    (surtout à Marseille !)

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    • Alceste. Alceste.

      Quand vous croiserez Payan et son orchestre “musette” qui nous jouent depuis quatre années “Aragon et Castille” ou l’ambassade d’Auvergne ” soufflez lui a l’oreille cette réflexion du Cardinal De Retz ““Il y a des gens qui préfèrent au succès la satisfaction qu’ils trouvent en eux-mêmes.”
      Payan est satisfait de lui même, au moins un et puis l’on n’est pas mieux servi que par soi même.
      L’illusion s’étiole, le mirage s’efface, le masque est tombé surtout si tout homme que la fortune seule a fait homme public devient presque toujours, avec un peu de temps, un particulier ridicule. L’on ne revient plus de cet état. Tout ceci en référence à son élection.

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  8. Alceste. Alceste.

    Excusez-moi j’ai quelques peines à sortir de mes références classiques, Jul’s , je vous l’avoue j’ai quelques difficultés.

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  9. Armand Louis Armand Louis

    Il n’y avait pas beaucoup de moyens pour entretenir les cimetières dans les années passées mais il y en avait pour acheter une LIMOUSINE pour les obsèques VIP .

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  10. Karo Karo

    Au fait Gaudin a été enterré ou et comment ? En limousine VIP ?
    Est ce que les agents des cimetières ont fait des heures supplémentaires pour lui ?

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    • Armand Louis Armand Louis

      Non, la limousine a été vendue par la municipalité actuelle. Elle croupissait sous une bâche dans un garage.

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  11. jacques jacques

    “Pas digne d’une ville comme Marseille”?? Cela sous-entendrait qu’il y a des villes où ça le serait? J’admire l’art de se prendre les pieds dans le tapis de certains élus.

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  12. jacques jacques

    A part ça, ça commence à devenir fatigant ces parties de ping-pong entre “commentateurs” patentés.

    “La critique est aisée, mais l’art est difficile”; voilà pour les amateurs de citations qui pratiquent surtout l’art de la critique fielleuse.

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    • Alceste. Alceste.

      Encore faut’il en être capable, et celà n’est pas donné à tout le monde.

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  13. Assedix Assedix

    Le sujet est vraiment intéressant, et il faut remercier Pierre Isnard-Dupuy de s’être penché dessus.
    Cela mériterait cependant un traitement plus fouillé — qui faisait autrefois la valeur ajoutée de Marsactu — car au final, à la fin de l’article on n’en sait guère plus sur la situation globale des cimetières à Marseille au delà du fait divers sordide…

    Par ailleurs, puisque le choix a été fait de traiter ensemble la piteuse qualité de ce service public et le ressenti des agents, on aimerait que les “problèmes d’encadrement” mentionnés dans le chapeau soient détaillés dans le corps de l’articles ce qui n’est pas la cas.
    On aimerait enfin savoir si le suivi médico-psychologique des agents des cimetières qui ferait apparemment défaut à Marseille est effectivement mis en place dans beaucoup de communes.

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