Trafic de déchets à Saint-Chamas : le “roi des poubelles” se pose en victime

Enquête
le 23 Jan 2023
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En détention provisoire depuis 8 mois, Richard Perez, principal suspect dans l'affaire du vaste trafic de déchets qui a largement touché les Bouches-du-Rhône, a demandé sa remise en liberté. La justice l'a refusée.

Les pompiers du département ont œuvré pendant plus d
Les pompiers du département ont œuvré pendant plus d'un mois pour éteindre le feu à Saint-Chamas, derrière lequel se cachait un vaste trafic de déchets (Photo : VA)

Les pompiers du département ont œuvré pendant plus d'un mois pour éteindre le feu à Saint-Chamas, derrière lequel se cachait un vaste trafic de déchets (Photo : VA)

Voilà huit mois qu’il est derrière les barreaux. Richard Perez, ou “le roi des poubelles”, comme le surnomme la presse gardoise, est en détention provisoire aux Baumettes depuis le 12 mai 2022. Ce même jour, l’homme de 58 ans a été mis en examen dans le cadre d’une enquête sur un vaste trafic de déchets, prenant ses racines dans le Gard, à Milhaud, où Richard Perez était établi, avec des ramifications jusqu’en Espagne. Mais ce trafic passait également par quatre départements français, dont les Bouches-du-Rhône, département le plus touché dans cette affaire. Sur plusieurs sites de stockage de ces déchets, des incendies se sont déclarés. Le dernier en date, il y a un an à Saint-Chamas, a brulé plus de 30 000 mètres cube de déchets sans qu’on en connaisse la nature exacte, entrainant une pollution de l’air semblable à celle de la ville de Pékin.

Aujourd’hui, ces déchets carbonisés gisent toujours sur le terrain loué à Manuel Cortes, lui aussi mis en examen et placé plusieurs mois en détention provisoire dans cette affaire. Saint-Chamas, mais aussi Meyrargues, Chateaurenard, Bouc-Bel-Air et Marignane : Manuel Cortes dispose de nombreux sites de stockage dans le département. Tandis que la justice vient de répondre favorablement à la demande de remise en liberté sous contrôle judiciaire de ce dernier, elle l’a refusé pour le “roi des poubelles”. Il faut dire que les deux hommes n’ont pas le même pedigree. Si le premier, sorte de fournisseur de terrains dans cette affaire, n’a eu que peu de démêlés avec la justice jusqu’ici, le second est bien connu des tribunaux. Retour sur cette affaire de présumé “trafic de déchets en bande organisée”, dans laquelle la justice tente toujours d’identifier les liens entre les différents protagonistes, tout en gardant au chaud l’un de ces plus gros poissons.

Machines à sous et corruption

Ce n’est pas la première fois que Richard Perez défraye la chronique. Son parcours, il le raconte lui-même dans une lettre manuscrite envoyée à la juge d’instruction, document que Marsactu a pu consulter. “Parti de rien”, comme il l’écrit, il a rapidement su monter dans l’échelle sociale et façonner des liens avec des hommes de pouvoir. Voire, liés au grand banditisme. “NUL à l’école”, selon ses mots, il n’a que 14 ans lorsqu’il commence à travailler dans l’entreprise de maçonnerie paternelle. À la vingtaine, il se lasse de “conduire des tractopelles” et se lance dans un autre activité, plus lucrative : les machines à sous.

C’est à cette période, dit-il, qu’il rencontre “monsieur Cacharel”. Jean Bousquet, le maire de Nîmes d’alors, a fondé la célèbre marque de mode. Nous sommes au milieu des années 1980 et à l’époque, le groupe Nicollin est en charge du marché public de gestion des déchets dans la capitale gardoise. Mais les grèves des poubelles se succèdent et cela agace le maire. “Il me propose de récupérer le marché des poubelles et l’exploitation de la décharge publique de Nîmes. 150 employés, 60 camions, 24 ans et autodidacte… Je rentre en guerre commerciale avec Loulou Nicollin”, raconte encore depuis sa cellule Richard Perez, qui continuera par la suite d’étendre son empire. Le roi des poubelles est né.

“J’ai tout fait péter”

Mais le règne ne dure pas. Alors que son entreprise est désormais forte de 450 employés et qu’il s’apprête, jure-t-il, à la vendre, Richard Perez est arrêté pour corruption. Ce n’est que le début de ses déboires judiciaires : les condamnations pour abus de biens sociaux vont se succéder. Jusqu’à ce que l’homme aille plus loin. En 2003, il est condamné pour incendie volontaire de véhicules d’un concurrent. “J’ai tout fait péter. 120 camions des dépôts dans toute la France. Un fada. Jusqu’à ce qu’ils m’arrêtent. J’ai pris neuf ans alors qu’il n’y a pas eu une goutte de sang.” 

Le nœud de cette histoire est l’activité de monsieur Cortes. La justice doit se demander quel est le lien entre cet homme et mon client, dont une grande partie des activités étaient en règle.

Fabien Perez, avocat du “roi des poubelles”

Le pire était encore à venir. En 2011, Richard Perez est condamné, pour trafic de stupéfiants cette fois-ci, et soupçonné de tentative de meurtre. Mais depuis sa sortie de prison, il serait rentré dans le droit chemin, jure-t-il : “Depuis, j’ai décidé de me remettre à la seule chose que je connais, le déchet. Je me suis investi à 1000 % dans Bennes 30 [l’entreprise qui se trouve au cœur de l’enquête en cours du parquet, ndlr] et je peux vous garantir que vous ne trouverez aucune malversation financière ou blanchiment d’argent.” Une version que son avocat abonde, en rejetant la faute sur le deuxième larron. “Le nœud de cette histoire est l’activité de monsieur Cortes. Il a multiplié les hangars [dans les Bouches-du-Rhône, ndlr] et accumulé les déchets sans les trier et sans autorisation”, défend Fabien Perez, l’avocat du “roi des poubelles” (qui n’a pas de lien de parenté avec celui-ci), tandis que celui de Manuel Cortes n’a pas donné suite aux sollicitations de Marsactu. “La justice doit se demander quel est le lien entre cet homme et mon client, dont une grande partie des activités étaient en règle”, poursuit Fabien Perez. C’est avec cet argument, entre autres, que l’homme de loi a demandé la sortie de prison de son client, en attendant un éventuel procès. “Il n’a pas respecté quelques injonctions administratives, c’est vrai, mais là, ça fait huit mois qu’il est en détention”, ajoute-t-il. Un avis que ne semble pas partager la justice.

Indices graves et concordants

La cour d’appel maintient en effet sa volonté de détention provisoire, qu’elle motive par plusieurs raisons : empêcher “une concertation frauduleuse avec ses coauteurs ou complices”, garantir “son maintien à la disposition de la justice alors qu’il présente de lourds antécédents judiciaires”, ou encore “prévenir le renouvellement de l’infraction, en ce que les faits s’étalent sur de nombreuses années, que les interventions et interdictions de l’administration n’ont jamais permis de mettre un frein à l’activité illégale mise en œuvre.”

La cour rappelle également la peine encourue, qui s’élève à dix ans, mais aussi “les indices graves et concordants” qui tendent à prouver que Richard Perez a participé aux faits qui lui sont reprochés. Parmi les chefs d’accusation, on retrouve, entre autres, le “transfert de déchets en bande organisée, l’abandon ou le dépôt illégal de déchets, le mélange non autorisé de déchets et l’escroquerie réalisée en bande organisée.” La cour d’appel mentionne ainsi le constat sur les sites de stockage des déchets lui appartenant “des tonnages qui dépassent largement les quantités autorisées”, le tout sans “observation de tri” ainsi que le mélange interdit de déchets. Mais aussi ses relations avec Manuel Cortes.

Difficile pour Richard Perez, note en substance la justice, d’ignorer la gestion irrégulière de Manuel Cortes sur ses sites de stockage de déchets des Bouches-du-Rhône, qui étaient principalement irrigués par Bennes 30. Notamment parce que le prix payé pour les récupérer ne permettait pas l’investissement nécessaire pour opérer un tri. Des chiffres qu’un roi des poubelles a forcément en tête. Mais aussi parce que ce dernier est allé jusqu’à se porter garant pour certains terrains loués par Manuel Cortes dans les Bouches-du-Rhône. Ou encore parce que des employés de Bennes 30 se sont régulièrement rendus sur ces sites buccorhodaniens.

Milieu marseillais

Étrangement, devant les enquêteurs, Manuel Cortes, dans une forme d’hara-kiri, affirme presque le contraire. “Je leur faisais une attestation comme quoi j’avais traité les déchets et je leur faisais également des bons de suivi, raconte celui qui a quitté la prison le 6 décembre dernier. Je ne pouvais pas trier mais je ne le savais pas. C’est des mois après que je me suis aperçu que j’étais dedans. C’était une fuite en avant. Je ne savais plus comment faire. Le fait que vous m’interpelliez, ça m’a soulagé.” Richard Perez ignorait-il pour autant cette gestion irrégulière ? “S’il l’a fait de manière intentionnelle, ce n’est pas l’homme qu’il prétend être. C’est un homme d’honneur”, répond, fidèle, Manuel Cortes.

Les deux hommes se seraient rencontrés il y a peu, en juillet 2020. Leur rencontre colore un peu plus cette affaire et fait entrer en scène un “apporteur d’affaires” à la réputation sulfureuse. Selon les procès-verbaux d’auditions que Marsactu a pu consulter, il s’agit d’un certain Omar Z. Cet entremetteur, qui a rapproché les deux principaux suspects dans ce dossier a touché une généreuse commission de près de 65 000 euros. Déjà condamné dans une affaire de trafic de stupéfiants à 7 ans de prison, il serait, selon le magazine Blast, un proche de Michel Campanella, figure bien connue dans le milieu du grand banditisme marseillais.

Quels sont les différents protagonistes dans cette affaire et quels liens peut-on faire entre eux ? La justice tente encore de démêler ce vaste trafic de déchets, où les recettes se chiffrent en centaines de milliers d’euros par mois et la marchandise en milliers de tonnes de déchets par jour. À ce jour, sept personnes ont été mise en examen. D’autres pourraient suivre.

Avec Suzanne Leenhardt

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Commentaires

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  1. Un urbaniste Un urbaniste

    Je recommande aux lecteurs d’écouter la vidéo à laquelle Marsactu renvoie (lien sur la phrase selon le magazine Blast). Très intéressant, événement raconté par le maire de Saint Chamas.

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    • neplusetaire neplusetaire

      Merci Violette pour votre article
      Dechets, recyclage milieu très spécial que j’ai connu durant 10 ans. J’ai fini par fuir la société dans laquelle je travaillais après avoir subi durant plusieurs mois des pressions, menaces, harcèlement.
      virements comptes parallèles, factures rectificatives, fausses déclarations poids quantité, qualité……..etc……

      Malheureusement, je n’ai eu que des condamnations lors de mes procédures contre mon employeur. Attestations en faveur de l’employeur de la parts salariés, commerciaux, hommes d’affaires….J’ai été approché par des journalistes dans le cadre de préparation de reportages sur le trafic de déchets ferreux.

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  2. neplusetaire neplusetaire

    pardon merci à Suzanne aussi

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