Huile de palme à Total La Mède : “le gouvernement tente de contourner la loi”

Interview
le 7 Jan 2020
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Après avoir révélé la tentative du gouvernement d'introduire un avantage fiscal pour un dérivé de l'huile de palme importé à La Mède, l'association environnementale Canopée vient d'introduire un recours au conseil d’État pour le contester. Entretien avec son coordinateur, Sylvain Angerand.

Plateforme de la Mède, vue des unités du secteur Est. La Mède France Janvier 2019.
Plateforme de la Mède, vue des unités du secteur Est. La Mède France Janvier 2019.

Plateforme de la Mède, vue des unités du secteur Est. La Mède France Janvier 2019.

L'enjeu

Depuis 2018, Total sollicite un avantage fiscal pour l'huile de palme auprès du gouvernement, retoqué deux fois par le parlement et dénoncé par les écologistes.

Le contexte

A La Mède, Total veut importer massivement d'Asie du sud de l'huile de palme. Une coalition d'associations environnementales et la CGT du site dénonce une "déforestation importée".

Le site de raffinerie en reconversion de Total à La Mède n’en finit pas de faire l’objet d’un bras de fer entre le gouvernement et les associations environnementales. Celles-ci ne veulent pas d’importation d’huile de palme ou de produits issus de cette matière première venue d’Asie du Sud-Est. Au cœur du projet de reconversion de Total, l’exploitation de l’huile de palme et de ses produits dérivés est connue pour favoriser la déforestation et le changement climatique.

Justifiant d’une recherche de rentabilité, Total, sollicite un avantage fiscal auprès du gouvernement pour lancer son nouveau projet. Fin 2018, dans le cadre de l’adoption de la loi de finances, le parlement a rejeté l’huile de palme de la liste des produits considérés comme biocarburants, pouvant de fait, faire l’objet d’un avantage fiscal. Fin 2019, le gouvernement a tenté de changer cette décision. Sans succès.

Mi-décembre, l’association Canopée forêts vivantes, membre de la fédération des Amis de la terre, s’est alarmé d’une volonté gouvernementale d’introduire un avantage fiscal pour, cette fois-ci, un dérivé de l’huile de palme, les acides gras de palme (“palm fatty acid distillate” en anglais ou PAFD). Une note des douanes, obtenue par l’association et révélée par Médiapart le 20 décembre, est venue confirmée la manœuvre.

Depuis, pour tenter de s’y opposer, Canopée a introduit un recours devant le conseil d’État pour “excès de pouvoir”. Entretien avec Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes de l’association environnementale.

Pourquoi êtes-vous si mobilisé avec votre association pour empêcher les importations d’huile de palme et de ses dérivés à La Mède ?

Sylvain Angerand : Les plantations de palmiers à huile sont la principale cause de déforestation en Asie du Sud-Est, en Indonésie et en Malaisie. La consommation d’huile de palme a quasiment baissé de moitié dans l’alimentaire. Par contre, elle explose comme biocarburant. Cette tendance, depuis une dizaine d’années, pourrait s’accélérer avec le développement de grande raffineries, comme celle de Total à La Mède, mais aussi comme celle de ENI en Italie ou de Neste Oil en Finlande. Le marché se développe avec les biocarburants routiers et demain avec, potentiellement, ceux destinés à l’aviation. Pour nous, c’est important de bloquer aujourd’hui ces projets, avant qu’ils ne prennent encore plus d’ampleur

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Qu’est-ce que raconte pour vous la volonté du gouvernement de vouloir donner à tout prix un avantage fiscal à Total à La Mède ?

Le marché des biocarburants est un marché artificiel qui ne dépend que d’avantages fiscaux. Si demain vous supprimez tout avantage fiscal pour les projets à base d’huile de palme, ce que prévoit la loi qui a été voté en 2018, et bien mécaniquement les biocarburants coûtent plus cher que le gazole fossile. Donc c’est pour ça que c’est un point vital pour Total. Malgré toutes leurs tentatives, ils n’ont pas réussi à faire changer la loi, alors ils essaient de jouer sur son application.

Cela fait plusieurs semaines que l’on sent qu’il se passe quelque chose autour des PFAD. On leur a bien dit que l’arbitrage a déjà été fait, dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée et dans la loi qui dit clairement “produits à base d’huile de palme”. C’est le sens de l’amendement que l’on a fait adopté avec des députés en 2018. On savait exactement qu’il fallait y inclure la question des PFAD. Donc la loi n’exclut pas juste les huiles de palme brutes. Ce qu’est en train de faire le gouvernement, c’est de nier et de contourner la loi. Et c’est pour cela que l’on saisit le conseil d’État. Pour faire respecter ce qui a été voté !

Qu’est-ce que vous attendez de cette procédure au conseil d’État ?

On est extrêmement confiants sur le fond, puisque c’est assez évident que les PFAD sont des produits à base d’huile de palme. Par contre, nous regrettons que cela permette à Total de continuer à utiliser ces dérivés le temps que le conseil d’État tranche. Et ça, ça peut prendre quelques mois, voire une année. On parle de 100 000 tonnes minimum par an, jusqu’à 200 000. C’est pour cela que l’on a déposé également un référé, s’appuyant sur le caractère d’urgence de cette décision. À voir si le juge l’accepte…

Est-ce qu’il pourrait y avoir selon vous un projet vertueux à La Mède ?

Pas de production de carburant.

Y compris avec des huiles végétales recyclées ?

Non parce qu’il n’y a pas les volumes. On parle d’une usine qui veut produire 650 000 tonnes. Or, le gisement total d’huiles recyclées en France est de 100 000 tonnes. Et il est déjà largement utilisé. On ne peut pas produire dans ces quantités là, quelque chose de vertueux. C’est bien pour ça que Total dépend massivement de l’huile de palme, qui est la moins chère.

Pour créer de l’emploi, il faut plutôt imaginer une palette de solutions. De ce point de vue, il y a même des choses qui ne sont pas inintéressantes dans ce que fait Total. Par exemple, l’unité Ad Blue permet de créer un additif que l’on utilise aujourd’hui dans les carburants fossiles pour diminuer la pollution aux oxydes d’azote. Ça c’est très bien ! C’est ce type de solutions qu’il faut imaginer, pour créer de la valeur, et pour s’appuyer sur le savoir-faire du personnel.

Depuis le début, nous disons avec les syndicats que ce que propose Total est une impasse. Une impasse écologique et impasse économique ! Et les syndicats sont parfaitement lucides. Bien plus que le PDG de Total, qui s’arc-boute sur l’huile de palme.

Est-ce que l’alliance entre votre association et d’autres avec la CGT de La Mède – donc entre écologistes et syndicalistes – est quelque chose d’inédit ? Qu’est-ce que vous pensez de ce travail en commun ?

Je ne sais pas si l’on peut parler d’alliance. On peut surtout parler d’un dialogue respectueux depuis le départ. C’est très fructueux parce que ça ouvre des perspectives assez nouvelles. On voit que Total est aujourd’hui en train de s’isoler complètement et qu’ils n’ont pas d’alliés. Que ce soit dans le monde agricole, que ce soit avec les députés, mais aussi avec les syndicats. Le seul soutien de Total, c’est Emmanuel Macron en fait. Au ministère de l’écologie, et même au cabinet du premier ministre, ils suivent les ordres qui viennent du cabinet de Macron. C’est là tout le problème.

Il y a un autre projet qui vous inquiète dans les Bouches-du-Rhône, c’est celui de l’unité biomasse de la centrale de Gardanne. Pourquoi considérez-vous que c’est un danger pour l’avenir de la forêt ?

On a commis une erreur scientifique qui considérait que brûler du bois c’était neutre en carbone, au prétexte que les arbres allaient repousser. Ce n’est pas aussi simple que ça. Quand on brûle du bois, on émet du carbone. On en émet même plus qu’avec le charbon, parce que les forêts impactées ne stockent plus de carbone. En fait, on ne règle pas du tout la crise, on l’accélère ! Les arbres, ils leurs faut plusieurs dizaines, voire centaines d’années pour repousser. Or, les scientifiques du GIEC [groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] nous disent très clairement, qu’on n’a pas plusieurs dizaines ou centaines d’années devant nous pour baisser nos émissions. On doit le faire maintenant !

La solution n’est pas de remplacer les énergies fossiles par des bioénergies : qu’il s’agisse d’huile de palme dans les carburants ou de biomasse pour la production d’électricité. Il faut diminuer drastiquement notre consommation. Et ça, ça pose la question de la place de la voiture dans nos villes, de la place du transport, de l’avion etc. Ça place également la question d’un vrai plan de rénovation des logements pour consommer moins d’électricité. Aujourd’hui, on n’est vraiment pas à la hauteur de ce qu’il faudrait faire. Donc on créer des monstres énergétiques comme Gardanne et La Mède.

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Commentaires

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  1. ANGIE13 ANGIE13

    ras le bol ses écolos qui donnent des leçons à tout le monde, pénalisent les citoyens, et qui polluent eux aussi car ils utilisent les transports et le carburant. et s’allier avec les syndicats est dangereux pour leur cause..ce n’est plus ni moins que de la récupération. .manque plus que les gilets jaunes…

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