TikTok, lutte contre le RN et soutien à Gaza : les ressorts de la Delogumania

Sébastien Delogu (LFI) à Saint-Louis le 13 juin 2024 pour le lancement de sa campagne. (Photo : CMB)

“Le Rassemblement national, ils disent « on est chez nous ». Mais nous aussi, on est chez nous !” Depuis le début de la crise politique post-dissolution, Sébastien Delogu (LFI) rayonne sur sa circonscription des quartiers Nord et bien au-delà. Jeudi 13 juin, lors du lancement de la campagne du député sortant investi par le Nouveau front populaire dans la 7e circonscription, il y a tellement de monde que le local déborde. C’est donc naturellement en plein air, au beau milieu de l’avenue Saint-Louis (15e), que le candidat prend la parole, envoie ses punchlines, acclamé par l’assemblée.

“Si tous les quartiers Nord descendent voter, il passe”, nous promet une dame d’une cinquantaine d’années qui n’habite pas très loin. À ce stade, les règles du scrutin et le découpage des circonscriptions importent peu. En quelques semaines, Sébastien Delogu est devenu l’une des icônes nationales du Nouveau front populaire. La recette du succès, qui doit beaucoup aux réseaux sociaux, a capté l’attention d’un électorat jeune, éloigné de la vie politique ou issu des quartiers populaires. Et bien souvent les trois à la fois. “Si eux [les politiques traditionnels] ils se présentent, pourquoi pas nous ?” résume Nasser, jeune figure médiatique de la cité Bassens, qui vient de s’engager aux côtés de Delogu.

En juin 2022, cet ancien chauffeur de taxi, originaire de la Viste (15e) et proche de Jean-Luc Mélenchon, avait raflé la 7e circonscription au camp de la majorité présidentielle avec 64% des voix au second tour contre son rival du Rassemblement national, Arezki Selloum. Le même duel est pressenti pour les élections législatives du 30 juin et du 7 juillet. Les pronostics sont largement favorables au député sortant. Si tout se passe comme prévu, Delogu pourra ainsi asseoir son influence sur la deuxième ville de France, à deux ans de la grande bataille des municipales.

C’est quelqu’un qui aime beaucoup se mettre en avant et qui a besoin de reconnaissance.

Une militante associative

Mais sur l’avenue Saint-Louis ce 13 juin, c’est d’abord pour des selfies que la foule intergénérationnelle se bouscule. “C’est pour ma fille !”, s’écrie une femme. “Vous pouvez faire une dédicace à ma copine Chaima ?”, demande un adolescent. Sébastien Delogu, face caméra : “Salut Chaima, regarde, nous, on est là, mais toi, t’es pas là !” On souffle que des gens sont venus depuis Vitrolles. Sur son canal de diffusion Instagram, l’élu rassemble 100 000 personnes. Du matin au soir, on y lit quelques messages politiques de fond, des tutos pour faire une procuration et beaucoup de futilités : Sébastien Delogu boit de la citronnade, écoute du Jul, va manger un couscous sur le Vieux-Port et planifie des kebabs à Saint-Antoine.

Depuis la notoriété qu’il a acquise en brandissant le drapeau palestinien à l’Assemblée nationale en mai, le Marseillais affole TikTok. Sur le réseau social de micro-vidéos ultra-virales, des internautes ont réalisé des “edits”, comprendre, de courts montages à la gloire du candidat, avec le soutien de très grosses communautés, comme celles des fans de musique K-pop ou de la chanteuse américaine Taylor Swift. Pour la presse (Mediapart, Télérama, Streetpress, Le Bondy Blog…), c’est le sujet du moment. On l’interprète comme une contre-offensive, face à une extrême droite qui, avec la jeune figure de Bardella, avait investi ce terrain depuis déjà longtemps. La méthode a démontré sa force de frappe. Mais elle est loin de faire l’unanimité.

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“Il fait de la téléréalité. C’est quelqu’un qui aime beaucoup se mettre en avant et qui a besoin de reconnaissance”, souffle une militante de ces quartiers populaires qui souhaite rester anonyme. Il faut dire que si plusieurs députés du Nouveau front populaire se sont appropriés les mêmes codes de communication que Sébastien Delogu, peu osent les pousser aussi loin. Ses fans sont allés jusqu’à propulser son visage sur les écrans de Times Square à New York. La semaine dernière, Sébastien Delogu s’est affiché aux côtés de Maeva Ghennam, une influenceuse controversée aux 3,2 millions d’abonnés sur Instagram, qui a qualifié le candidat de “big boss” et incité à voter pour lui. “Ceux qui maronnent, ils disent que je fais l’influenceur. Mais moi, tout ce que je fais, c’est spontané”, assure le principal intéressé.

Gouaille

Pour Mohamed Bensaada, candidat (LFI) malheureux en 2022 dans la 3ᵉ circonscription voisine, “Sébastien Delogu a un mode de fonctionnement atypique, il fait abstraction des normes, et le paysage politique est toujours surpris par ce qui ne lui ressemble pas. Il faudrait que la gauche, qui passe son temps à dire que le peuple doit accéder à l’Assemblée nationale, arrête de critiquer la gouaille des gens dès que c’est le cas.”

La gouaille, sans aucun doute. Sur les réseaux comme dans la rue, Sébastien Delogu sait adapter son discours à son public, pratique le tutoiement quasi général, improvise des blagues entre deux envolées et sait s’émouvoir face aux confidences de ses électeurs. “Il a un fort caractère, ça, c’est certain, observe une figure associative. Il ne faudrait pas que ça lui monte à la tête. Mais pour le moment, j’ai l’impression qu’il garde son côté quartier et proche des gens. Je l’ai vu presque pleurer face à une femme qui dormait dans sa voiture”.

Sébastien Delogu à Saint-Louis le 13 juin 2024. (Photo : CMB)

Mais plusieurs sources contactées par Marsactu interrogent, en miroir, le réel bilan du (court) premier mandat Delogu. “Pour lui, la politique est un grand spectacle qui lui donne l’occasion d’être connu. Mais son bilan sur le secteur, c’est rien, walou, nada”, tâcle sa concurrente Hayat Atia, investie par la majorité présidentielle sur la même circonscription. “Qu’a-t-il fait pour les logements ? Pour les projets de rénovation urbaine ?”, interroge encore la conseillère municipale d’opposition, originaire de la cité des Flamants, un coin du 14e arrondissement rattaché à ce secteur. Vendredi dernier, entre deux tractages, Sébastien Delogu a bien réservé une séquence à cette problématique… À la cité d’Encagnane, à Aix-en-Provence, loin, très loin de sa circonscription, donc.

Drapeau palestinien

Mais le sujet qui revient dans toutes les conversations, c’est la guerre à Gaza. Au mois de mai, Sébastien Delogu a donc brandi un drapeau palestinien dans l’hémicycle, geste pour lequel il a été sanctionné par deux semaines d’exclusion. “On est très reconnaissants pour ce qu’il a fait, pour les enfants qui meurent”, précise une mère de famille croisée dans la foule à Saint-Louis. Auprès de son audience, le geste du député est salué à l’unanimité comme un acte de “courage”, entend-on de nombreuses fois.

“Il y a une prise de conscience sur la Palestine et c’est très important, souligne Hayat Atia. C’est un sujet extrêmement sérieux. C’est pour cela que l’instrumentaliser, ce n’est pas décent.” Une autre figure politique et militante du secteur, qui souhaite rester anonyme, s’interroge : “C’est bien d’agiter un drapeau palestinien, mais sur le fond, est-ce que c’est comme ça qu’on fait de la conscientisation citoyenne et qu’on sauve nos quartiers ?” 

De son côté, Sébastien Delogu tient à rappeler son déplacement à Rafah en février, et répond à ses détracteurs : “Ils parlent, mais ils font quoi ? Qui est allé là-bas, à part moi ? Qui a dénoncé le transfert de munitions vers Israël ? Personne. Que nous. Eux, ils sont dans la haine des musulmans”, soutient-il, en désignant par “eux” ce qu’il appelle “l’union des droites, de Macron au RN”.

Fidèle à Mélenchon, pas tendre avec les autres

Dans une autre proportion, Sébastien Delogu ne ménage pas non plus la gauche locale. Au sujet de la majorité (DVG) en place à la mairie des 15/16, portée par les proches de Samia Ghali, il dit : “S’ils ont toujours la même logique de donner des sous à leurs associations et de laisser crever les gens, ils ne m’intéressent pas.” Souvent souriant sur les photos aux côtés du maire de Marseille, leur relation n’est pas au beau fixe ces jours-ci. Alors que Benoît Payan a choisi de soutenir un autre candidat que celui investi par la FI dans la 5e circonscription, Sébastien Delogu préfère éviter le sujet.

Interrogé sur sa proximité avec Jean-Luc Mélenchon, son protégé répond : “On parle de lui, alors qu’il n’a plus aucun mandat. Moi, ça reste l’homme avec lequel j’ai appris à faire de la politique. Et de la politique sans langue de bois, contrairement à d’autres, contrairement à ceux qui se disent purgés alors que pour certains, ils ont fait un travail minable à l’Assemblée.” 

Aucun nom ne sera donné. Mais on pense justement à Hendrik Davi, qui siégeait à ses côtés depuis 2022, écarté par la commission électorale du mouvement à la dernière minute. Le 16 juin, Delogu a salué d’une grande accolade Allan Popelard, son remplaçant investi par LFI dans la 4e circonscription, lors de la manifestation en soutien à Gaza. “Le principal atout de Delogu, c’est sa fidélité au chef. La France Insoumise lui pardonnera tout, tant qu’il reste à portée de main”, analyse une militante qui l’a côtoyé.

En politique, c’est pas toujours constructif d’envoyer balader les gens avec lesquels on n’est pas d’accord.

Hayat Atia, candidate de la majorité présidentielle dans la 7e.

“Lui, sa méthode, c’est le coup d’éclats, poursuit Haya Atia. Mais le problème, c’est qu’en politique, c’est pas toujours constructif d’envoyer balader les gens avec lesquels on n’est pas d’accord, à l’exception de l’extrême droite, bien sûr.” Battre le RN. Voilà au moins un point sur lequel les capacités de Delogu font consensus. Et voilà pourquoi “c’est très délicat de formuler des critiques dans la configuration actuelle, même quand on a des réserves sur l’homme. Dans les quartiers, notre priorité reste de battre le RN”, résume une de nos sources qui milite dans le quartier.

Sébastien Delogu ne dit pas autre chose. Hasard du calendrier, le candidat devra mettre ce combat sur pause ce mardi 25 juin après-midi : il est convoqué au tribunal correctionnel pour des violences survenues lors d’une manifestation contre la réforme des retraites devant le lycée Nord, en mars 2023. Procès pour lequel son avocat a demandé un renvoi. “La tenue de l’audience ne pourrait pas se tenir convenablement compte tenu du contexte politique actuel et de la campagne en cours”, précise son avocat Yonis Taguelmint.

Quant à la suite, son avenir à Marseille et ses vues sur la mairie centrale, l’insoumis reste muet, mais promet “une annonce après les législatives.” D’ici-là, on a entendu le rêve un peu fou de l’équipe Delogu se chuchoter dans les rangs : l’emporter dès le 1er tour.