Témoin du patrimoine ferroviaire, le buffet de gare d’Aubagne ne survivra pas au tramway

Échappée
le 31 Oct 2022
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Le bâtiment plus que centenaire se trouve au beau milieu du tracé du futur tramway qui reliera Aubagne à La Bouilladisse en 2025. Sa démolition désole plusieurs habitants qui voudraient voir préservé cet ancien lieu de passage.

À Aubagne, l
À Aubagne, l'ancien buffet de gare abrite désormais une association de réparation de vélos. (Photo SL)

À Aubagne, l'ancien buffet de gare abrite désormais une association de réparation de vélos. (Photo SL)

Derrière les feuilles de quatre marronniers, on distingue les traces de la vieille enseigne d’une maison de briques oranges : “buffet”. À Aubagne, ce bâtiment au toit pointu orné de lambrequins dont le bois bleu-gris ne demande qu’à être poncé, se situe à la sortie de la gare SNCF. C’est l’ancien buffet de gare, ce lieu où les passagers pouvaient se sustenter en attendant leur train.

Aujourd’hui, le bâtiment plus que centenaire est entouré d’arrêts de bus. Ce “pôle d’échange multimodal” d’Aubagne continue de se transformer à mesure que les infrastructures de transport se développent. Épargné jusqu’alors, l’ancien buffet est aujourd’hui au beau milieu du tracé du futur Val’tram. Abandonné en 2018 puis relancé l’année d’après, l’extension du tramway fait partie des chantiers de la métropole financés en partie par l’État, dans le cadre du plan Marseille en grand. Son tracé raccorde Aubagne à La Bouilladisse, en passant par l’ancienne voie de chemin de fer, dite de Valdonne. Le buffet de gare, témoin du patrimoine ferroviaire du XXe siècle, sera donc détruit. Au grand regret de quelques nostalgiques.

Document du marché de maîtrise d’œuvre de la métropole qui représente les futurs bus à haut niveau de service (BHNS) et tramway.

“Ils ne sont pas tous mignonnets comme celui-ci !”

Sac sur le dos et bicyclette blanche en main, Joëlle Martinez, retraitée installée à Aubagne depuis 1987, se désole d’imaginer les briques du buffet tomber. “Il fait partie de l’entrée d’Aubagne et est tellement charmant“, confie-t-elle. En allant voir les autres buffets de gare sur le site de la SNCF, elle assure : “Ils ne sont pas tous mignonnets comme celui-ci !“. Pour protester contre la destruction du bâtiment, elle a contribué au registre de la concertation publique et avec une amie, elle a imprimé une pétition. “À part le centre ancien et ses ruelles médiévales, Aubagne ne possède plus guère de sites ou de bâtiments offrant aux visiteurs et aux habitants le charme ancien et provençal que notre ville affiche dans sa communication“, pique le texte. Pour l’heure, une centaine de signatures a été récoltée. Même si l’Aubagnaise fait savoir qu’elle ne remet pas en cause l’utilité du tramway “qui dessert toute la vallée de l’Huveaune“, elle aimerait voir l’étude d’un projet alternatif d’aménagement.

Une ancienne billetterie

À quelques mètres du buffet, des chauffeurs de bus s’arrêtent prendre leur café. Ils sont au courant de la destruction du bâtiment et évoquent des rumeurs de déplacement. “Moi je me souviens j’allais acheter mes tickets de bus à l’intérieur“, songe Laurent, chauffeur de bus quarantenaire. Difficile de retrouver des témoins de l’activité de restauration de l’édifice. Mais à partir de 1998, date du réaménagement du pôle d’échange multimodal d’Aubagne, l’ancien buffet a servi de guichet pour la vente de tickets de bus du réseau métropolitain. Quand l’agglomération a mis en place la gratuité des transports en 2009, il a été fermé. “Aujourd’hui, je passe devant tous les jours, c’est comme un monument historique“, poursuit le natif d’Aubagne. “Il a votre âge, il a cinquante ans non ?“, raille la serveuse.

Il semblerait que ça soit plutôt le double. Mais la date de construction de cette petite maison n’est pas évidente à retrouver. Les archives municipales d’Aubagne disposent de cartes postales datant du début du XXe siècle où le buffet apparaît déjà. La gare, elle, a été mise en service en 1858 par la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée. Aux archives départementales cette fois, une notice explicative de 1865 détaille le tracé de la ligne d’Aubagne aux mines de Fuveau -soit celui que prendra le futur Val’tram- et mentionne déjà “le bâtiment des voyageurs“. Sa date de création pourrait donc se situer à cette période-là.

La gare d’Aubagne et son buffet au début du XXe siècle, à gauche. (Crédits : Archives Municipales d’Aubagne )

Un buffet de caractère

Une trace plus récente souligne l’intérêt patrimonial du bâtiment dans l’ouvrage collectif “Aubagne, le temps retrouvé”. Publié en 2005 et dirigé par l’archéologue Dominique Berthout, il a été commandé par le maire communiste d’Aubagne Daniel Fontaine pour le millénaire de la ville. Il caractérise le buffet par son “architecture éclectique du milieu du XIXe siècle, de part son style chalet, son alternance, très esthétique, de pierres blanches et de briques rouges, ainsi que son décor festonné en base de toiture.

Pour autant, le buffet n’a jamais bénéficié d’une protection patrimoniale particulière. Dans le département, seuls deux ouvrages ferroviaires sont classés au titre des monuments historiques : la gare de l’Estaque et le viaduc de Saint-Chamas. L’architecte des bâtiments de France dans le département, Frédéric Aubanton, reconnaît que cet ancien buffet a du “caractère” mais “pas au point de le classer aux monuments historiques”. Même s’il a exprimé “son regret” de le voir détruit, pour lui, d’autres édifices plus significatifs devraient être classés, comme la gare Saint-Charles. “La décision est collégiale. On regarde la valeur d’intérêt, de rareté, de techniques, d’architecture. Mais là le positionnement du buffet est problématique, il est sacrifié pour l’intérêt général“, pose l’ABF.

Avant le classement en monument historique, d’autres protections peuvent être établies dans le PLUi, ce document métropolitain qui fixe les grandes lignes de l’aménagement du territoire. C’est le cas pour le secteur de la gare d’Aubagne, où certains ouvrages sont protégés par des “fiches patrimoine” : la villa Barthélémy, l’hôtel des Postes, la maison de naissance de Marcel Pagnol, la façade de l’Office de Tourisme et le Château de Lignières.

Pas de déplacement du bâtiment prévu

Depuis deux ans, une association de promotion du vélo “Action vélo” occupe provisoirement l’ancien buffet les mardis et les jeudis en fin d’après-midi. Elle propose des ateliers de réparation de vélo et dispose gratuitement du lieu jusqu’en avril 2023. “C’est intéressant pour nous d’être pile-poil sur un espace multimodal, indique le responsable de la communication de l’association, Nicolas Montanard. Concernant l’avenir de leur activité, les inquiétudes et les avis divergent au sein des membres, selon lui. “On a réussi à réanimer le lieu et le rendre vivant donc c’est dommage, mais on était prévenus”, concède l’adhérent.

L’ancien buffet de gare s’il n’a pas vocation à être classé, ou protégé, pourrait être déplacé. Et bien que la mobilisation citoyenne n’ait pas pris une ampleur importante, le maire d’Aubagne Gérard Gazay a demandé à la métropole d’être “attentive à une forme de remplacement du bâtiment“, sans donner plus de détails. Interrogée à ce sujet, la métropole, propriétaire du bâtiment, ne l’envisage pas à l’heure actuelle et précise qu’il est impossible de le contourner. “Sauf à reprendre le tracé existant et l’ensemble de la gare routière, ce qui représenterait un coût disproportionné par rapport à ce bâtiment qui n’a pas de caractère patrimonial.

Joëlle Martinez continue tout de même à arpenter le marché pour récolter des signatures. Même si elle reste lucide sur l’avancée du projet : “Je vais militer mais je sais qu’on a un Caterpillar en face de nous, sourit-elle. Et puis, c’est dur de faire bouger les gens. Personne ne sait ce qu’il représente, on utilise plus le terme de buffet aujourd’hui“. Si le mot est désuet, l’édifice ne l’est pas encore. Et l’avenir dira si ses murs tomberont d’un grand coup de pelleteuse ou brique par brique.

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Commentaires

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  1. Richard Mouren Richard Mouren

    Merci pour cette belle galerie de photos.

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  2. MarsKaa MarsKaa

    On pourrait le déplacer. En Suède ils déménagent toute une ville qui a la malchance d’être sur une mine rentable qui s’étend (Kiruna, au Nord de la Suède).
    Ce “m’en fouti” sur le patrimoine, l’histoire des lieux et leurs usages, parce que les routes et les bulldozer doivent passer, est insupportable.

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    • Alceste. Alceste.

      Ce n’est pas non plus la gare de Perpignan dont Dali disait qu’elle était le centre du monde.Un joli petit bâtiment sans plus.

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  3. BRASILIA8 BRASILIA8

    Depuis le TGV la gare de Perpignan a été totalement transformée mais il s’agissait d’une opération rentable ce qui n’est pas le cas d’Aubagne

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  4. Chani Chani

    La FNAUT Paca avait proposé une arrivée direct en gare d’Aubagne, sur les rails pour prolonger la ligne directement sur Marseille, cela impliquait d’autres types de rames que celle existantes pour le tramway d’Aubagne et de ne pas lier les deux. La Métropole a malheureusement préféré les économies de bout de chandelle contre une meilleure liaison. D’où l’arrivée sur la partie bus/tram et la destruction du buffet de gare par manque de place.

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  5. CriblédeFraise CriblédeFraise

    Que la métropole s’inspire de ce qui a été mis en oeuvre pour l’hôtel de Cabre qui a été deplacé… il y a près de 60 ans à une époque où la technologie était un peu plus rudimentaire !

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