Squats à Marseille, la part invisible du mal logement
Combien de squatteurs se nichent dans des lézardes d'une ville à l'habitat dégradé comme Marseille ? Personne n'a de chiffres exacts pour mesurer l'ampleur de la situation. Mais selon de nombreuses associations concernées, le phénomène est en hausse.
Des familles rejoignent les bus alors que les immeubles du Petit-Séminaire sont évacués sont murés, novembre 2020. (Photo : B.G.)
Qu’il soit à la vue de tous aux Flamants dans le 14e arrondissement, dans les barres d’une copropriété dégradée ou caché au détour d’une porte de garage mal fermée rue Cazemajou, le phénomène des squats s’enracine peu à peu dans le paysage marseillais. “La situation se dégrade depuis au moins trois ans partout à Marseille, alerte Tanina Ouadi, coordinatrice du programme squats et bidonvilles chez Médecins du Monde. C’est un ressenti très largement partagé par nos équipes”.
Pour essayer d’aller au-delà du ressenti, certaines associations tentent d’établir quelques mesures du phénomène. Rencontres Tsiganes, une association qui travaille principalement avec les populations roms, établit des recensements quasi mensuels. “Les chiffres sont stables et vérifiés pour les communautés d’origine roumaine, bulgare, roms ou assimilés comme tel”, note Caroline Godard, membre de l’association, qui évalue à 1040 le nombres de personnes de cette population vivant en squats ou bidonvilles à Marseille.
Des gens “qui ne cherchent pas à attirer l’attention des services de l’État”
Mais la plupart des personnes concernées par le phénomène ne sont pas issues d’un pays de l’Union européenne et sont plutôt en attente de demande d’asile ou déboutés de cette procédure. Le recensement est alors beaucoup plus compliqué. “Le profil de l’homme seul cherchant à squatter à la petite semaine n’est plus prépondérant. Nous rencontrons aujourd’hui des familles”, note Tanina Ouadi de Médecins du Monde. Un constat que fait également Caroline Godard. “Nous rencontrons de plus en plus des demandeurs ou déboutés d’asile anglophones nigérians, afghans ou encore albanais, souligne-t-elle. Ce sont des gens qui ne cherchent pas spécialement à attirer l’attention des services de l’État et donc extrêmement difficile à comptabiliser.” Cette semaine encore, Rencontres Tsiganes découvrait en même temps que leur évacuation, deux squats à la Belle-de-Mai et à Saint-Mauront, dans un bâtiment en péril, regroupant respectivement 60 et 80 personnes.
Mais la situation est encore plus complexe pour la myriade de petits squats, disséminés dans toute la ville. “Il existe toute une population sous les radars de l’État en situation d’isolement extrêmement préoccupante, explique Jo, président de Nouvelle Aube, une association engagée sur des plus petits squats. Pour ce public isolé, le phénomène est clairement en hausse, estime-t-il. La crise du Covid a poussé à la rue de nouveaux publics. Des réfugiés bien sûr, mais aussi des ressortissants français jeunes majeurs de moins de 25 ans sans aucun minima sociaux ou d’anciens travailleurs au black brutalement sans ressources et filet de sécurité.”
L’impossible chiffrage
Mais encore une fois ici, pas de chiffres fiables sur l’augmentation du phénomène. “Il existe énormément de situations différentes et de zones grises du squat, estime Florent Houdmon, délégué régional de la Fondation Abbé Pierre. Personne n’a de chiffres en réalité. C’est assez effrayant.” Ce que l’on sait toutefois, c’est qu’à travers la ville, les squats s’implantent, du petit appartement isolé aux immeubles de logement social comme aux Flamants et au Petit-Séminaire, dans des copropriétés comme Corot ou Kalliste, des bâtiments abandonnés ou sous la forme de petits bidonvilles disséminés en bordure de voies rapides. À chaque fois l’occupation est illégale. Souvent, elle permet à des intermédiaires de faire commerce de ces habitats indignes.
La prudence sur les chiffres est également de mise du côté de la préfecture, légalement en charge des populations demandeuses d’asile et de leur hébergement. Anthony Barraco, directeur adjoint de la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités des Bouches-du-Rhône (DDETS), reconnaît le flou qui règne autour de la question : “Il ne me revient pas de commenter les chiffres autour du phénomène. Je ne peux même pas affirmer si le phénomène est en hausse ou en baisse, nous n’avons pas d’élément là-dessus“.
Pourtant, Rencontres Tsiganes et la Fondation Abbé Pierre sont en constant dialogue avec le service déconcentré de l’État et informent régulièrement la préfecture de la situation. Une étude rendue publique en 2019 et disponible sur le site de la préfecture fournissait un aperçu de la tendance, avec un public plus global. Elle faisait état d’une augmentation globale de 11,2 % à Marseille des personnes ayant au moins une fois dans l’année eu recoursà une structure d’aide aux sans-abris. “Il est certes difficile de prouver une augmentation du nombre de squatteurs, mais il me semble que la situation ne s’est clairement pas améliorée depuis 2016″, fait remarquer Florent Houdmon.
Pour les demandeurs d’asile, l’offre de logement saturée
Poser la question du squat à Marseille amène forcément à poser la question de l’hébergement des migrants et demandeurs d’asile, premiers publics concernés. “Nos partenaires associatifs nous informent de la situation. C’est compliqué, mais nous travaillons en étroite collaboration avec l’Ofii [Office Français de l’Immigration et de l’Intégration] sur la question du droit au logement pour les demandeurs d’asile”, assure la direction départementale.
“La DDETS est pleine de bonne volonté, mais n’a pas la main sur tous les tenants et les aboutissants de la politique migratoire, glisse Florent Houdmon Les services d’accueil et d’hébergement d’urgence pour les demandeurs d’asile à Marseille sont saturés. Environ 5000 personnes inscrites sur la plateforme d’accueil des demandeurs d’asile de Marseille [qui couvre quatre départements, ndlr] ne sont pas hébergées par l’Ofii. Les plus chanceux trouvent des solidarités communautaires, d’autres se débrouillent comme ils le peuvent en squattant dans la ville.”
Au fil des années, la politique nationale vise à répartir les demandeurs d’asile sur le territoire en évitant une concentration sur Paris. Selon les observateurs, malgré un dispositif saturé, la région PACA continue à accueillir un nombre important de demandeurs d’asile redirigés vers elle. Une saturation qui se retrouve également dans la mise à l’abri des mineurs isolés étrangers, qui a notamment donné lieu au squat de Saint-Just.
Un “changement de pratiques” avec la crise sanitaire
“La situation est compliquée sur les Bouches-du-Rhône, reconnaît Anthony Barroco de la DDEST. Mais depuis la crise sanitaire, l’État et les collectivités ont déployé des moyens conséquents dans le sens de l’inconditionnalité du droit au logement“. Depuis mars 2020 en effet, les services de la DDEST et de l’Ofii ont pu libérer 1650 places d’hébergement hôtelier pour tous les publics, sans-papiers compris.
“Un changement de pratique, salue Florent Houdmon. Car pour l’État et la Dihal [délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement] la question des sans-papiers n’existait pas jusqu’à lors.” Une situation qui rendait de fait compliqué la comptabilisation du nombre de squatteurs sur Marseille selon Tania Ouadi de Médecins du monde : “Mais avec la crise, les choses peuvent bouger”, espère-t-elle. L’absence de chiffre précis sur le squat à Marseille est aussi le résultat d’une politique d’invisibilisation des sans-papiers par les services de l’État depuis de nombreuses années”.
Commentaires
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Si je comprends bien, les responsabilités sont partagées entre lEtat, le département, la préfecture. La municipalité et la métropole (la Region ?) n’ont pas de rôle à jouer ?
Ce qui me frappe, c’est que souvent dans le discours publics les “squatteurs” sont décrits comme des agresseurs, qui sattaqueraient volontairement au bien d’autrui (ou public) pour nuire.
Rarement on veut regarder en face cette réalité : aujourdhui, en France, des etres humains n’ont pas d’autres choix que de chercher un abri, pour se reposer, se protéger, et sont soumis à des conditions de vie terribles. Hommes femmes enfants au parcours de vie compliqué.
Pourquoi les pouvoirs publics ignorent-t-ils cette réalité ? Pourquoi meprise-t-on ces gens ? Pourquoi ne s’en occupe-t-on pas sérieusement ?
Les benevoles des associations ont bon dos. On compte sur eux…
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Le 15 mars dernier Libération a publié un article sur des squats légaux pour héberger les sans-papiers qui ont été organisés à Rennes. )
L’article étant réservés aux abonnés je vous en donne seulement un bref résumé afin de respecter le droit d’auteur du journal :
Une association rennaise a ouvert de nombreux squats et a investi une maison de retraite vide, vouée à la démolition. Près de 200 migrants y ont trouvé refuge et ont obtienu un sursis rare : la justice leur accordant plusieurs mois pour évacuer. Sur proposition de la municipalité, l’association et le promoteur ont signé une convention d’occupation temporaire des lieux.
Cette expérience a fait boule de neige : des collectivités, des bailleurs sociaux proposent de nouvelles bâtisses vides. A partir de 2018, la démarche a pris de l’ampleur. La Fondation Abbé-Pierre (FAP) rejoint l’initiative et se charge de convaincre des promoteurs immobiliers de mettre à disposition leurs biens vacants, dans le cadre d’ occupations temporaires, d’au moins un an, avec un nombre de personnes défini et une date de remise des clés. Un système avantageux pour les promoteurs. «Leur plus grande crainte, c’est les squats : ça engendre des frais de justice et des délais. Avec le commodat, ils économisent les coûts de gardiennage, de vidéosurveillance et ils savent quand ils pourront récupérer leur bien. …», souligne Stéphane Martin, directeur de l’agence bretonne de la Fondation Abbé-Pierre. »
Pour les abonnés : (https://www.liberation.fr/societe/logement/a-rennes-des-squats-legaux-pour-heberger-les-sans-papiers-20210315_RJAAQOO4TFHFHB4RNLMOXT43LM/?redirected=1
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“Au fil des années, la politique nationale vise à répartir les demandeurs d’asile sur le territoire en évitant une concentration sur Paris. Selon les observateurs, malgré un dispositif saturé, la région PACA continue à accueillir un nombre important de demandeurs d’asile redirigés vers elle. Une saturation qui se retrouve également dans la mise à l’abri des mineurs isolés étrangers, qui a notamment donné lieu au squat de Saint-Just.” L’État a donc une forte responsabilité dans cette saturation. Trois facteurs me semblent motiver cette politique : 1) Il est plus commode de maintenir en PACA des migrants venus en France par la Méditerranée : ils sont en effet “redirigés”. 2) Et d’autant plus commode qu’il est dès lors plus facile de les expulser ? 3) D’autres régions ne peuvent ou ne veulent les accueillir : la volonté politique de certains députés et élus municipaux, départementaux et régionaux quant à cette question mériterait donc également d’être évaluée.
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