[Retour aux sources] Sur les traces du castor… et d’un espoir de réserve naturelle
La Durance est la source d’eau de trois millions d’hommes mais de combien de castors ? Nous sommes allées sur leurs traces dans les Alpes-de-Haute-Provence, un matin d’août. Un bon prétexte pour parler de biodiversité au fil de l’eau.
Photo : Sandrine Lana
La série
Depuis le robinet que l'on ouvre sans y penser, Marsactu remonte le fil de l'eau amenée par le canal de Marseille. Des rigoles aux glacier des Écrins, c'est notre retour aux sources estivales.
Le soleil donne des reflets d’argent aux eaux calmes de la Durance et de la Bléone, son affluent aux abords du village de Malijai. Nous attendons l’ “expert local du castor”, selon l’Office du Tourisme de Château-Arnoux (04), Daniel Madeleine, président de La Cistude, une association de protection de la nature qui porte le nom d’une tortue qu’il espère un jour revoir dans la Durance.
Partir sur les traces du castor, ce mammifère aquatique, c’est un prétexte pour appréhender la faune et la flore exceptionnelles de la Durance que les projets humains ont secoué à maintes reprises. Daniel Madeleine arrive au point de rendez-vous accompagné de Patrick Collombon, mycologue renommé et bénévole à la ligue de protection des oiseaux Bléone-Durance aux côtés d’Agnès De Pinho, également bénévole pour cette association et organisatrice des sorties naturalistes. Quelques locaux et touristes naturalistes nous rejoignent.
Les pieds dans l’eau, les amateurs scrutent les bancs de sable gris. On y trouve des empreintes de loups ou de chiens, de renards, de fines pattes d’oiseaux… Pour l’instant, personne ne flaire le castor. “Quand il marque son territoire, on ne peut pas rester sur place ! Ça pue !”, explique Agnès, le regard plongé dans les eaux fraîches.
La sécrétion du castor
C’est que l’odeur de la sécrétion du castor a jadis fait sa renommée et… son malheur. C’est notamment pour le castoréum sécrété par une glande proche de son anus qu’il était chassé jusqu’à la fin du 19ème siècle. Paradoxalement on l’extrayait pour fixer les parfums, notamment sur les hauteurs de Grasse. Au Moyen-Âge, l’acide salicylique – qu’on retrouve dans l’aspirine qu’il contient – servait de remède aux maux de tête. D’autres le chassaient pour sa fourrure épaisse et imperméable… “Il avait quasiment disparu de France et en 1909 il est devenu le premier animal protégé de France !”, explique Daniel Madeleine.
Les arboriculteurs ont également causé sa perte en Durance. “Son milieu de vie a été détruit pour planter des pommiers, des poiriers et des chênes truffiers toujours plus près de l’eau. Il a été chassé par l’homme parce qu’il osait croquer dans l’un de ses fruitiers plantés dans son habitat naturel, le lit de la rivière”, explique encore l’expert. “À quarante mètres de l’eau, il se sent en danger… C’est un vrai animal aquatique. Il ne vient sur terre que pour se nourrir.”
Le mammifère n’a survécu qu’entre Avignon et l’Estuaire du Rhône en Camargue jusqu’au début du 20ème siècle. Mais depuis un siècle, sa population s’est reconstituée en remontant le Rhône et ses affluents. Sur la Durance, pour assurer sa survie malgré les grands barrages hydrauliques, EDF et les associations protectrices ont aménagé des passes à mammifères aquatiques. C’est le cas au barrage de l’Escale, à Château-Arnoux-Saint-Auban.
L’ombre industrielle
À choisir, les locaux préfèrent se baigner ou patauger dans la Bléone, petite rivière limpide qui descend de Digne-les-Bains. Certains n’ont pas tellement confiance en la qualité de l’eau de la Durance… “Avec Sanofi et Arkema… on ne sait pas trop ce qu’il en est. Un jour, j’ai vu les analyses de la qualité de l’eau et je n’ai pas repris mon permis de pêche”, explique Patrick Collombon. Les deux usines chimiques bénéficient de la ressource en eau de la Durance. Créée en 1917 par l’ancien service des poudres de l’armée française, l’usine pharmaceutique de Sanofi est implantée à Sisteron en amont sur la rivière. Quant à Arkema, qu’on appelle toujours ici Pechiney, il s’agit d’une unité de production construite en 1916 pour répondre aux besoins en chlore de la défense nationale.
Située à Saint-Auban, le site est aujourd’hui “un producteur majeur de solvant chloré trichloroéthane (T111) en Europe, permettant de fabriquer des gaz fluorés, des hydrofluorocarbures et des polymères fluorés”, peut-on lire sur le site internet de l’entreprise. D’après les chiffres publiés par le Syndicat d’aménagement de la vallée de la Durance, la pollution des eaux jadis présente semble pourtant endiguée.
Retrouvons nos naturalistes. Le petit groupe évolue à présent sur les berges, entouré de saules, et aiguise son regard aux traces de dents du castor. À quelques mètres de l’eau, les branchages flottants ont été fraîchement grignotés et le groupe repère les empreintes du castoridé… Le calme règne et la fraîcheur matinale enchante les visiteurs. Daniel Madeleine et Patrick Collombon nous désigne les preuves de la présence des castors dans la Bléone et dans la Durance.
Les touristes photographient les “réfectoires” où des branches de saule sont marqués par les morsures des longues incisives de l’animal. Soudain, Agnès repère un minuscule martin-pêcheur bleu électrique qui file au ras de l’eau. “Tu as vu Daniel ! Vous avez vu ?” Les jumelles, les appareils photo suivent la direction de son doigt mais trop tard. L’oiseau coloré est déjà loin vers le Nord.
“Nous voudrions créer une grande réserve naturelle ornithologique pour les 172 espèces qui peuvent être présents dans cette zone”, projettent les trois naturalistes. L’espace s’étendrait entre Durance et Bléone de l’Escale aux Mées. La zone serait la deuxième étendue la plus riche après la Camargue, en ce qui concerne la présence d’oiseaux. “Nous voyons de nouvelles espèces chaque année”, s’exclame Daniel Madeleine.
“Pour l’instant, notre seul label, c’est Seveso…”
De nombreuses espèces d’oiseaux arrivent d’Afrique. Jadis, avant les aménagements touristiques massifs de la Côte d’Azur, les migrateurs longeaient la côte depuis l’Espagne pour remonter vers la plaine du Pô en Italie. Sur la Durance, cinquante zones humides (ou lacs) ont été construites entre Avignon et le Montgenèvre. Cela a attiré les spatules, les grues cendrées, les cigognes… “On veut donner à ce territoire un label naturel. Pour l’instant, notre seul label, c’est Seveso…”, pose Daniel Madeleine avec beaucoup de retenue. “La vallée est quand même le château d’eau de la région. Cinq départements sur six en dépendent.” Elle mérite la protection de sa faune et de sa flore. Si les élus locaux soutiennent le projet de réserve naturelle labellisée, “pour l’instant, ça coince au niveau de la région”, dit-il.
Le groupe se sépare à Château-Arnoux, alors qu’il manque un câble électrique pour visionner un dernier diaporama sur le castor et la Durance. Pourtant, pas de frustration dans le public attentif, la visite a été l’occasion pour tous de toucher du doigts l’immense chantier à mener pour la préservation de la biodiversité sur la Durance.
Commentaires
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Merci pour cet article, y aura t’il une suite ? Et le lien avec les possibles voies réglementaires : site Natura 2000, infractions a directive cadre eaux? etc…
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Il y a quelques dizaines d’années, le site de Sanofi était déjà pollué et les castors s’ébattaient dans la Bléone. Merci de ne pas avoir trop détaillé le site pour éviter que les bipèdes humains-même animés des meilleurs intentions- s’agglutinent sur le site.
Quant à la réserve ornithologique faudra bien pousser pour que les élus s’y mettent.
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