[Repas de familles] “Notre chantilly c’est la madeleine de Proust des Marseillais”
De l'apéro au café. Avec cette série d'été, Marsactu s'attache à cinq dynasties familiales qui font manger et boire Marseille. L'heure du dessert a sonné : fruits, glaces ou biscuits s'accompagnent souvent d'un rien de crème fouettée. Un rituel qui, depuis 105 ans, doit pour beaucoup à Joseph Ganteaume et ses descendants, créateurs du Royaume de la chantilly.
Dans la boutique du Royaume de la chantilly de la place Sébastopol (5e). (Photo Emilio Guzman)
BOF. L’histoire de la famille Ganteaume tient pour beaucoup dans ces trois lettres-là. Rien à voir avec une quelconque interjection exprimant le manque d’intérêt. Au contraire, ce sont là des lettres de noblesse : car le BOF est ce crémier qui vend beurre, œufs et fromage. Comme c’est le cas dans les différentes boutiques du Royaume de la chantilly qui ponctuent la carte de Marseille depuis plus d’un siècle.
L’aventure démarre en 1917 : Joseph Ganteaume ouvre la première crèmerie de la saga. “Mon grand-père était quelqu’un de très entreprenant. Il avait le goût du risque”, retrace Cathy Thibon, 60 ans, à la tête des boutiques du Royaume de la chantilly de la rue Granoux (place Sébastopol dans le 5e), de Plan-de-Cuques et de Saint-Barnabé. Alors que la Première Guerre mondiale fait rage, Joseph épouse Odette. Et c’est naturellement rue Longue des Capucins, “dans le cœur alimentaire de Marseille” que le couple ouvre son magasin.
Immigrés italiens
“Ils sont partis de rien”, souligne Cathy. D’eux, elle ne sait finalement que peu de choses, si ce n’est qu’ils étaient d’un milieu modeste : “Du côté de ma grand-mère c’étaient des immigrés italiens, très pauvres. Et du côté de mon grand-père ils n’étaient pas riches non plus.” Mais Joseph, note-t-elle avec une pointe de fierté, est doté d’un sens aigu des affaires et d’une opiniâtreté certaine. Dans sa crèmerie, pour se démarquer des concurrents, il fait donc de la chantilly. Que Cathy prononce chan-ti-li, “comme beaucoup de Marseillais”, dit-elle dans un franc sourire.
Cette crème savamment fouettée est sucrée, mais pas trop. Aérienne et gourmande, elle accompagne les fruits, les glaces ou des biscuits. Devenant au gré des années, à Marseille, un incontournable ingrédient du dessert du dimanche. Chacun sa façon de la déguster. Cathy fait, elle, mine d’y plonger un index dans un geste qui semble tout-droit sorti de l’enfance.
“Pendant la Deuxième Guerre, il prenait sa camionnette et allait chercher de la crème dans les Alpes, en complète infraction. Il s’est fait arrêter souvent!
Cathy Thibon
“Depuis mon grand-père, la recette n’a pas changé”, jure-t-elle. Dans le petit labo de la place Sébastopol, elle verse dans la cuve d’un gros batteur en inox, un litre de crème fleurette label rouge bien froide, ajoute quelques minutes plus tard 250 grammes de sucre semoule et laisse la magie opérer. La machine qui fouette et aère la crème – à 32% de matières grasses, on a rien sans rien – est de la même marque que celle dont s’était dotée son grand-père. “Pendant la Deuxième Guerre, il a continué à en faire. Il prenait sa camionnette et allait chercher de la crème dans les Alpes, en complète infraction. Il s’est fait arrêter souvent ! Mais il a continué et je pense que ça a dû contribuer à le faire connaître des Marseillais”, reprend sa petite-fille.
Ce qui ancre définitivement l’histoire de ces crèmeries dans le paysage local, c’est l’arrivée dans la société de Paul Reynier, le père de Cathy, sa sœur Michèle et son frère Alain. Passionné d’électronique, Paul a une formation d’ingénieur. Issu, lui aussi, d’une famille de crémiers de la rue Longue, il est amoureux de Lucienne, la fille de Joseph et Odette. “Mon grand-père était assez autoritaire. Il ne lui a pas trop laissé le choix : s’il voulait épouser Lucienne, il fallait qu’il vienne travailler avec lui”, se marre Cathy. Paul Reynier continuera l’électronique en amateur, mais passera pro pour ce qui est de la chantilly.
Logo rouge et ruban bleu
Le gendre du fondateur conceptualise l’idée du “Royaume de la chantilly”. Avec lui, la crème fouettée s’étend à plusieurs boutiques. Sous son impulsion, elles sont ornées d’enseignes aux grosses lettres rouges et d’un logo – une couronne et des fleurs de lys – reconnaissables entre mille. Depuis les années 70, la chantilly est servie dans une barquette enveloppée de papier blanc frappé des armoiries du royaume et nouée d’un ruban de bolduc bleu. Autant de signes que les habitués se sont appropriés au gré des décennies. “Notre chantilly, c’est la madeleine de Proust des Marseillais. Quand ils sortent avec leur paquet, les gens ont le sourire”, se satisfait Stéphane Thibon, kiné de formation et ancien marin-pompier, qui travaille désormais avec Cathy, sa mère.
“Ils ont traversé plus d’un siècle, des crises, deux guerres… ça force le respect!”
Romain Michel
À Pâques, notamment, la clientèle se presse devant les étals du Royaume et repart avec des barquettes de 500 grammes voire un kilo (18 euros). “C’est devenu une véritable tradition, ça nous a un peu échappé”, analyse Cathy. Lors du dernier week-end pascal, le seul magasin de Sébastopol a écoulé 450 kg de chantilly en trois jours. “Quand les clients nous disent que nous sommes une institution, j’y vois la reconnaissance de ce que mon grand-père et mon père ont entrepris”, se félicite Cathy. “Ils ont traversé plus d’un siècle, des crises, deux guerres… ça force le respect !”, commente Romain Michel qui, avec Carine, son épouse et arrière-petite-fille de Joseph Ganteaume, tient la boutique du Redon (9e), la seule à se décliner également en un restaurant. Aujourd’hui, le Royaume de la chantilly compte cinq points de vente qui dépendent de trois sociétés distinctes et emploient une vingtaine de salariés.
Sur le siècle, la saga familiale se double d’une épopée commerciale. Outre la rue Longue, où le commerce a tiré le rideau en 2004, des magasins ont ouvert puis fermé et parfois refleuri à Saint-Barnabé, Mazargues ou rue de la République… De gentilles contrefaçons ont même vu le jour comme cette enseigne “Palais de la chantilly” dont il reste des traces encore visibles rue Clovis-Hugues, dans le 3e. Cathy rit : “Ça, c’était un oncle qui aurait bien aimé s’approprier le nom”.
Pourtant, au début des années 90 lorsque Paul prend sa retraite, l’enseigne n’est pas loin de déposer le bilan. “La concurrence des grandes surfaces était rude. Je me suis battue. Je tenais le magasin seule, les dimanches, les jours fériés. J’ai remonté l’entreprise”, se remémore la sexagénaire, devant l’imposant rayon fromage du magasin de la place Sébastopol qui culmine à 250 références au moment de Noël. Les Saint-Nectaire figue et noix, pecorino truffé, cheddar mature, ricotta fraîche et Beaufort d’été voisinent avec le saucisson ibérique, la soubressade ou le filet de l’Aveyron qui se mange comme un jambon cru.
Ces dernières années, le fonds s’est enrichi et la fromagerie a muté en épicerie fine. “La clientèle est plus mixte”, décrypte Stéphane Thibon. Originellement populaire, ce coin du 5e arrondissement s’embourgeoise. “Il y a quelques années je ne vendais pas de pata negra ou de poutargue. Maintenant, on voit arriver des clients qui privilégient le commerce de proximité et la production artisanale. Cette clientèle est plus informée et sait ce qu’elle veut”, prolonge Cathy Thibon. L’épidémie de Covid-19 est passée par là, aussi. Pendant les périodes de confinement, l’envie de se faire plaisir a souvent pris la forme d’un bon morceau de fromage ou d’une barquette de crème fouettée.
Cette “histoire emblématique de Marseille”, comme dit Carine Michel, cette “trajectoire marseillaise”, que décrit sa tante Cathy, les descendants de la famille Ganteaume veulent la voir perdurer. La 4e génération incarnée par Carine, Romain et Stéphane veut “amener du sang neuf” et des idées novatrices dans l’aventure familiale : ouverture d’une sixième boutique, d’un site de production dédié, possibilité de livraisons…
“Mais c’est très important de rester rattachés à notre histoire familiale. Ça a du sens. Ça me ferait mal que ça passe à d’autres ou que ça s’arrête”, anticipe Cathy. Sa nièce Carine est sur la même longueur d’ondes : “Ça ne sortira jamais de la famille!” assure l’arrière-petite-fille de Joseph. 105 ans après l’ouverture du premier magasin, son fils de 13 ans ne rêve, dit-elle, que de travailler dans les boutiques familiales. Cathy peut se rassurer. Et avec elle quelques légions de gourmands qui, sinon, verraient soudain leurs chouquettes du dimanche singulièrement orphelines.
Le Royaume de la chantilly : 2, rue Granoux (place Sébastopol), au Redon, à Saint-Barnabé, aux Camoins et à Plan-de-Cuques. Leur site.
Commentaires
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Il y a un autre site Internet pour le restaurant et la boutique crèmerie fromagerie épicerie fine du Redon https://www.royaume-chantilly.fr/
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Très bel assortiment de produits, notamment et surtout en fromages.Un seul défaut,les prix qui sont exhorbitants à appellation fromagère égale.
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Attention, il y a appellation et appellation, un AOP Comté “fermier” est totalement différent d’un AOP Comté, il y a aussi des différences de temps d’affinage… Il y a “Manchego” et “Manchego” celui qui fait presque 30 € le kg est totalement différent de celui à 22 ou 23 €, ne serait-ce par la croûte qui est comestible pour l’un et en produits plastiques non comestibles pour l’autre, le lait cru, le temps d’affinage, etc.
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Alors ça, c’est une sacrée madeleine ! Je pensais que ça avait disparu. Ma mère nous envoyait régulièrement au “Royaume” de la rue Clovis Hugues acheter une barquette de Chantilly (je reconnais la ficelle bleue qui nouait un papier blanc épais) Au retour, on s’arrêtait chez “ma chérie”, boulangère plantureuse rue F. Barbini pour acheter des “bijoux” (maintenant on dit chouquette 🥴) avec de gros morceaux de sucre. On les tranchait par le haut et on les remplissait de chantilly…. Oh misère le régal !
Je vais aller au Redon ca m’a tout réveillé. Merci
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Vous avez raison Barbapapa , mais je le confirme bien à appellation identique , c’est un peu un braquage. Après les produits sont bons , comme ailleurs aussi, mais chers.
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