Les Bouches-du-Rhône, département le plus strict pour l’hébergement d’urgence

Décryptage
le 28 Déc 2016
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Au printemps, le sort de plusieurs familles de demandeurs d'asile poussées hors de leurs hôtels payés par l'État avait jeté la lumière sur une réalité : le système d'hébergement d'urgence dans les Bouches-du-Rhône est totalement saturé. Le rapport d'un sénateur vient jeter un nouvel éclairage sur la question.

Un hôtel du centre-ville utilisé pour faire de l
Un hôtel du centre-ville utilisé pour faire de l'hébergement d'urgence. (Photo : LC)

Un hôtel du centre-ville utilisé pour faire de l'hébergement d'urgence. (Photo : LC)

Comme chaque 24 décembre, le maire de Marseille est allé saluer les hébergés en foyers d’accueil d’urgence. Sait-il que les Bouches-du-Rhône sont probablement le département où l’accès à l’hébergement d’urgence est le plus limité du pays ? Un rapport d’information parlementaire rédigé par son homologue sénateur Les Républicains de Seine-Saint-Denis Philippe Dallier pose en effet un regard particulièrement critique sur la situation locale. Rendu public mi-décembre, il évalue les dispositifs pilotés par les préfectures d’une douzaine de départements, dont les Bouches-du-Rhône.

Au printemps et à l’été dernier, une crise sans précédent a touché le dispositif d’hébergement d’urgence du département. Des dizaines de familles, demandeurs d’asile ou simples sans-abri, ont été priés de quitter les chambres d’hôtel que l’État leur avait fourni dans le cadre de l’hébergement d’urgence, c’est-à-dire provisoirement, dans l’attente de leur fournir un logement plus pérenne. Cette situation avait atteint son paroxysme lorsque le tribunal administratif de Marseille, sollicité par plusieurs associations, a assigné l’État à reloger quatre familles à la rue.

Une enveloppe annuelle dépensée en un semestre

Le rapport de Philippe Dallier vient éclairer les coulisses de cette crise. Il part d’un constat : le système d’hébergement d’urgence en France est dépassé. Le sénateur parle de “pilotage à vue d’une politique publique soumise à de fortes tensions”. Il pointe deux raisons à cette situation : la “sous-budgétisation” des dispositifs par l’État au vu de la demande en constante augmentation et la crise migratoire, qui a contribué de manière inattendue et importante à la hausse de cette demande.

Le texte du sénateur a ceci de savoureux que les services de l’État dans les Bouches-du-Rhône, d’ordinaire peu diserts sur la question, ont communiqué au parlementaire leurs observations de terrain. Ainsi ont-ils confié au rapporteur, qui les cite pour appuyer son observation expliquée précédemment, que “le budget qui leur avait été alloué en 2016 était en baisse de 46 % par rapport à 2015. En conséquence, l’enveloppe initiale de 800 000 euros a été intégralement utilisée au 1er juillet 2016”, exactement à la période où le nombre de familles mises à la rue a brusquement augmenté. L’enveloppe, son montant, et ses fluctuations, étaient jusqu’ici jalousement préservés du public.

Quant l’impact de la crise migratoire sur l’accès à l’hébergement d’urgence, les services de Marseille le constatent clairement. “L’engorgement des nuitées d’hôtel disponibles auprès du 115 (dans les Bouches-du-Rhône, ndlr) provenait essentiellement de la saturation actuelle des services dédiés à l’accueil et à l’accompagnement des demandeurs d’asile” relève le rapport. C’est-à-dire que le nombre de demandeurs d’asile ayant augmenté, leur prise en charge et leur hébergement en centre d’accueil mettent de plus en plus de temps à se faire, laissant une latence de plus en plus longue durant laquelle ils ne peuvent se tourner que vers le 115.

394 mises à la rue

Mais en poursuivant la lecture du rapport, on constate clairement que le cas des Bouches-du-Rhône frappe le sénateur. Tandis qu’à Paris ou en Alsace, le recours aux nuitées d’hôtel est fortement développé, de même que dans des départements moins sous tension, le département des Bouches-du-Rhône a mis en place un dispositif particulièrement contraignant et qui conduit, de fait, à limiter l’usage de ce mode d’hébergement”, écrit-ilComme nous l’avons déjà expliqué dans nos colonnes, les services de l’État appliquent un quota de dix nuits d’hôtel par an et par personne, là où la même prise en charge à Paris peut durer des mois, voire des années, tant qu’aucune solution d’hébergement pérenne n’a été proposée en remplacement.

Quand dans d’autres départements, l’hôtel est devenu, par défaut, le maillon essentiel de l’hébergement d’urgence, il n’est ici qu’un répit distribué avec parcimonie. Conséquence, “394 personnes ont connu une fin de prise en charge hôtelière sans solution pour la suite en 2015, du fait du simple respect du quota de dix nuits par an et par personne”. Des remises à la rue pures et simples, pour des personnes qui n’auront eu, au cours de leur répit hôtelier, accès à aucun accompagnement social ou presque, au vu du peu de temps de séjour qui leur aura été accordé.

La préfecture des Bouches-du-Rhône a indiqué au rapporteur du texte que, cette gestion au compte-gouttes n’était “due qu’à une sélection particulièrement poussée des situations les plus vulnérables”. Au printemps 2016, il avait en effet été demandé aux opérateurs du système de répartition des nuits d’hôtel de ne les concéder qu’aux femmes enceintes de plus de six mois et aux familles monoparentales avec des enfants de moins de dix ans. Des critères qui ont fait hurler les associations à l’époque.

“Inimaginable” en Île-de-France

Le sénateur n’est visiblement pas loin de partager cette indignation, lui qui qualifie cette gestion de régulation drastique”. Et de développer son étonnement : 

Votre rapporteur spécial a été surpris de ces modalités très différentes de recours aux nuitées hôtelières suivant les territoires concernés. (…) Il est peu probable qu’un dispositif tel que celui mis en place dans les Bouches-du-Rhône soit viable dans d’autres régions, en particulier les plus sollicitées en termes de demandes d’hébergement d’urgence. Il a été confirmé à votre rapporteur spécial, lors de ses auditions, que le contingentement des nuitées en Île-de-France était inimaginable.

Il voit dans l’exemple extrême des Bouches-du-Rhône le signe d’une grande inégalité de traitement à travers le territoire français et “s’interroge plus généralement sur le respect de l’égalité de traitement de situations humaines identiques sur l’ensemble du territoire”. Un soulagement pour les associations qui dénoncent la situation depuis plusieurs années. “Beaucoup de travailleurs sociaux pensent que les critères sont les mêmes partout, donc ils font avec, alors que c’est le seul département où cela se passe comme ça !”, s’indigne Benedetta Badii de la Fnars, la fédération nationale des association d’accueil et de réinsertion.

Inégalités de traitement

Sous la plume du sénateur, on comprend aussi que toutes les préfectures n’ont pas le même comportement face à la restriction des budgets. “Les notifications de crédits adressées aux services déconcentrés seraient interprétées de façon plus ou moins contraignante en fonction des régions, conduisant ainsi à des réglementations différentes”. Là où certaines fournissent les nuitées tant qu’elles sont nécessaires, d’autres coupent le robinet quand les caisses dédiées au dispositif sont vides.

C’est justement ce qu’avait reproché le tribunal administratif de Marseille à la préfecture, mettant le droit fondamental au logement au dessus du manque de moyens financiers disponibles. Plus encore, pour la FNARS, ce constat souligne le cercle vicieux dans lequel se trouve le département en terme d’hébergement d’urgence. Avec son attitude de “bon élève” très économe, impossible pour les pouvoirs publics d’avoir un aperçu des besoins réels du territoire. “Actuellement, l’État finance un plan de résorption de l’usage des nuitées d’hôtel, en construisant des lieux d’hébergement pérennes, poursuit Benedetta Badii. Mais à court-terme, il n’y aura rien de fait dans les Bouches-du-Rhône puisqu’aux yeux du ministère, qui consulte les indicateurs de dépense, tout va très bien ici.” 

Quant à lui, Philippe Dallier recommande très clairement à l’État de contrôler de plus près ces différences d’interprétations concernant l’obligation “de l’accueil inconditionnel et continu des personnes sans abri en situation de détresse” et ce afin de garantir une égalité de traitement des situations sur l’ensemble du territoire national”.

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Commentaires

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  1. julijo julijo

    …”il me semble que la misère serait moins pénible au soleil”….a du présider aux choix préfectoraux.

    Le sénateur Les Republicains Dallier, serait-il un dangereux gauchiste ?

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Ce sénateur de droite qui plaide pour le respect partout, y compris au soleil, de l’obligation « de l’accueil inconditionnel et continu des personnes sans abri en situation de détresse » ne peut en effet être totalement mauvais… Mais il est élu en Seine-Saint-Denis, le fameux 9.3 réputé être le département le plus pauvre de France, ce qui doit, quelle que soit son étiquette politique, lui donner une certaine expérience de la détresse humaine.

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  2. Happy Happy

    Merci pour votre traitement de ce sujet complexe et dramatique. L’insuffisance des moyens consacrés à l’hébergement d’urgence a des conséquences humaines terribles, avant tout pour les personnes en détresse à qui on refuse un hébergement, mais aussi, dans une autre mesure, pour celles qui sont obligées de formuler ces refus, en contradiction avec leur mission et leurs aspirations. Cf l’autre très bon article de marsactu sur l'(in)accueil à Pôle emploi : la fragilisation des services publics à vocation sociale par des logiques toujours plus gestionnaires et comptables génère une souffrance chez les publics comme chez les agents de ces services.
    Un des mérites de l’article de Lisa Castelly, reprenant le rapport sénatorial, est de souligner la dimension arbitraire, voire absurde, de la gestion prétendument rationnelle des moyens alloués à l’hébergement d’urgence : ce qui passe pour une contrainte budgétaire inflexible à Marseille semble heureusement ajustable à Paris ou Strasbourg. Il n’y a pas de contrainte plus dure que celle qu’on accepte de subir, et surtout de faire subir, sans broncher.

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  3. VitroPhil VitroPhil

    Excellent article, qui explique le malaise et la politique inhumaine de l’hébergement d’urgence dans le département plusieurs fois évoqué dans ces colonnes.

    Une question encore plus complexe serait d’identifier la motivation de la préfecture pour se singulariser ainsi.
    Un simple zèle budgétaire du préfet ?

    Pour ma part j’ai l’impression que le mal est plus profondément niché dans la pratique du service public sur notre territoire.

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  4. Voyageur Voyageur

    Merci pour cet excellent article.
    Pour info, le département des Bouches-du-Rhône est un exemple d’excellence en matière de logement d’urgence si on le compare …. Au Var !!! L’obligation de centralisation via le 115 de TOUTES les demandes a provoqué l’engorgement et aucun moyen supplémentaire n’a été mis en œuvre pour traiter les demandes.

    Dans le Var, quand la nuit tombe il n’y a qu’un opérateur pour répondre au téléphone. Et encore moins de places d’hébergement.

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