Protection fonctionnelle : quand les contribuables paient les frais d’avocat des élus
À la veille de Noël, deux élus locaux d'importance, l'ex-adjoint au maire de Marseille Julien Ruas et le maire d'Istres François Bernardini, ont obtenu la protection fonctionnelle. L'avocat Sébastien Mabile décrypte pour nous ce dispositif pensé pour assister les élus face aux risques juridiques inhérents à leurs fonctions.
L'ex-adjoint au maire Julien Ruas. Photo d'archives JML.
Deux conseils municipaux à deux jours d’intervalle et deux délibérations analogues les 21 et 23 décembre. Tour à tour, François Bernardini, le maire d’Istres et Julien Ruas, ancien adjoint de Jean-Claude Gaudin à Marseille ont obtenu la “protection fonctionnelle”. Ils vont ainsi pouvoir faire supporter leurs frais de défense par le contribuable dans deux affaires qui ne se ressemblent guère : l’élu istréen fait l’objet d’une enquête du parquet national financier pour (notamment) prise illégale d’intérêts et détournement de fonds publics quand Julien Ruas est mis en examen dans l’affaire de la rue d’Aubagne.
Avant eux, Jean-Noël Guérini avait fait de même au département lorsqu’il en était le président mais, à l’inverse, Jean-Claude Gaudin n’a pour l’heure pas demandé ce dispositif dans une affaire qui devrait lui valoir un procès. La mesure a suscité dans les deux hémicycles de vifs débats, les arguments moraux des uns s’opposant aux points de droit des autres. En dehors de ces murs, sur les réseaux sociaux notamment, le dispositif suscite aussi des réactions vives. Marsactu a demandé à Sébastien Mabile, avocat au barreau de Paris et docteur en droit, un éclairage sur la question.
Successivement, deux élus locaux d’importance, Julien Ruas et François Bernardini, ont bénéficié de la protection fonctionnelle. Pouvez-vous d’abord nous dire pourquoi cette mesure a été instaurée ?
La protection fonctionnelle a d’abord été prévue pour les agents publics. À l’origine, c’est une loi du régime de Vichy qui a été étendue aux élus locaux puis aux familles proches des élus depuis 2003. La décision d’octroyer la protection fonctionnelle à des agents est prise par le maire. Concernant les élus celle-ci appartient au conseil municipal. On estime qu’il y a des risques afférents à la fonction qui peuvent donner lieu à des attaques, en diffamation par exemple. On considère donc qu’il y a lieu de les protéger dans le cadre de leurs actes et de leur garantir le paiement de leur défense. Mais, que l’on soit bien clair, si la collectivité paye l’avocat, elle n’a aucun droit de regard sur la stratégie de défense. C’est bien le client qui est défendu.
À Marseille, la nouvelle majorité s’est abstenue sur le sujet en expliquant qu’elle entendait appliquer le droit sans cautionner la politique conduite par ses prédécesseurs dont Julien Ruas. La mesure est passée grâce aux voix de l’opposition de droite. La protection fonctionnelle, est-ce automatique ?
C’est une appréciation souveraine de l’assemblée délibérante. S’il y a un refus explicite en séance ou implicite – quand le maire ne répond pas à la demande – le refus est attaquable devant le tribunal administratif. Le principal cas où l’on peut refuser la protection fonctionnelle, c’est lorsqu’il s’agit d’une faute personnelle, détachable du service et d’une particulière gravité comme j’ai pu l’argumenter à propos des policiers de l’affaire Zecler. C’est le cas plus rarement pour un motif d’intérêt général. C’est arrivé par exemple pour un élu qui voulait se pourvoir en cassation et pour lequel le conseil municipal expliquait après une étude juridique que cette option n’avait aucune chance d’aboutir.
Parfois, les élus ont une armée d’avocats à leurs côtés. Y a-t-il des limites aux frais qu’une collectivité peut couvrir ?
Oui, ce n’est pas sans limite. Si le bénéficiaire de la protection fonctionnelle a toujours le choix du conseil qui va l’accompagner, l’administration a toujours un droit de regard sur les honoraires qu’elle va devoir assumer. Cela s’étudie au cas par cas, selon les affaires. L’exemple qui me vient en tête concerne Me Olivier Metzner quand il défendait la commune de la Faute-sur-Mer après la tempête Xynthia. Il s’était rendu à un rendez-vous en hélicoptère, ce qui occasionnait des frais trop importants pour une petite commune, les frais n’avaient pas été réglés.
Une fois que la protection fonctionnelle a été accordée, la collectivité peut-elle demander le remboursement des frais en cas de condamnation ?
La collectivité dispose le cas échéant d’une possibilité de recours. Mais c’est très rare car on estime que dès lors que la protection fonctionnelle a été accordée, cela signifie que les faits sont en relation avec les fonctions. Donc que la protection s’applique : cela vaut pour les frais d’avocat et les éventuels dommages et intérêts mais pas pour les amendes. La seule limite est vraiment la faute personnelle. Par exemple, la protection fonctionnelle avait été accordée puis contestée pour le maire de Roquebrune-sur-Argens dans le Var. Il avait été condamné pour avoir acheté deux voitures pour 50 000 et 61 000 euros qui étaient utilisés par son fils pilote automobile.
Cela veut dire qu’un élu peut être condamné par exemple pour prise illégal d’intérêts – c’est-à-dire qu’il avait un intérêt personnel à prendre une décision — et tout de même conserver la protection fonctionnelle ?
Parfois, la frontière est un peu difficile à définir, c’est vrai. On peut agir dans le cadre des fonctions et poursuivre aussi d’autres objectifs. Il n’y a pas d’incompatibilité entre le fait de bénéficier de la protection fonctionnelle d’un côté et d’être condamné pour prise illégale d’intérêts de l’autre. In fine, c’est le tribunal administratif qui décide en cas de litige.
Commentaires
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Pas surprenant, cet individu n’a jamais rien assumé, il ne va pas commencer avec sa défense.
Concernant les autres ,ils se sont servis sur la bête, pourquoi pas les avocats,il n’y a pas de petites économies.
Ce qui est surprenant c’est la position de la municipalité actuelle qui rue d’Aubagne appellait à la justice et qui finance la défense des principaux acteurs de ce drame.
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Mr Payant préserve l’avenir au cas ou dans 6 ans il y aurait besoin d’un retour d’ascenseur
en attendant on va pouvoir l’appeler Ponce Pilate Payant
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A l’heure du tout numérique, de la 5G et de l’info en temps reel, on en est encore à subir des lois du régime de Vichy.
Pourtant, pour réviser régulièrement les lois sur le droit d’asile par exemple, cela va beaucoup plus vite. Y a pas quelque chose qui cloche là ?
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La protection fonctionnelle ne peut pas être regardée globalement comme une mesure destinée à « dédouaner » les fonctionnaires de leurs responsabilités. Les agents peuvent être attaqués personnellement pour des fautes potentielles commises pendant le service (accidents de chantiers, médecins, infirmières…). Finalement, ce qui serait une bonne chose c’est qu’une commission indépendante (une commission paritaire par exemple plutôt que des élus tenus par « les clans ») se prononce sur ce sujet après analyse d’une situation spécifique.
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Il y a beaucoup de lois et règlements qui datent de cette période au cours de laquelle l’administration a “bien” fonctionné sans contrôle parlementaire. Voir la réglementation sur les monuments historiques et d’autres…
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Si Ruas arrive à prouver que les décisions prises relevaient d’une politique générale (ce qui semble évident au regard du nombre de menaces de ruines dans la ville), la faute deviendrait « collective » et sortirait donc du champ de la protection fonctionnelle qui reste individuelle. Au-delà des conclusions que les requérants pourraient en tirer (la possible mise en examen de l’ancien maire par exemple) il serait logique que le conseil reconsidère sa position et récupère « nos billes ».
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Est-il exclu que des contribuables marseillais demandent au Préfet de contester la délibération accordant à ces élus la protection fonctionnelle et qu’en cas de refus express ou implicite ils saisissent Le TA ?En effet Ce serait sans doute une excellente occasion de préciser les Limites de la protection fonctionnelle en ce qui concerne les élus locaux.
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N’importe qui, ayant un intérêt à agir (un contribuable notamment) peut attaquer un acte administratif devant le TA (une délibération est un acte administratif). Le problème c’est que le TA jugera sur la base de la loi et pour l’heure, elle ne “limite” pas le cadre de la protection fonctionnelle; elle le fixe. Pour changer la loi, il faut s’adresser à un député ou à un sénateur…ou avoir 4.7 millions de soutiens pour un RIP, ou poser une QPC devant le conseil constitutionnel (mais il faut d’abord trouver la faille dans la constitution). Bref, bon courage!
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La condamnation définitive du bénéficiaire de la protection fonctionnelle entraîne le remboursement par ce dernier des frais engagés par la collectivité. Ça mérite d’être clairement explicité.
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Bonsoir, je ne partage pas ce point de vue.
Si je comprends bien la jurisprudence (https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000029429551/), la Ville peut toutefois se constituer partie civile et tenter d’obtenir le remboursement par ce biais. Mais cela restera surbordonné à l’avis du juge pénal si je comprends bien. Toujours si ma compréhension est la bonne, ce ne serait pas un remboursement proprement dit mais des dommages-intérêts relatifs à un préjudice subi (en l’occurrence le paiement de la défense).
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La loi aurait du être faite à l’inverse: ils payent leurs frais d’avocats et éventuellement les leur rembourser.
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