Projet immobilier à Legré-Mante : plan de dépollution validé et nuisances encore à évaluer
La troisième et dernière réunion d'information sur le projet de dépollution de la friche de l'ancienne usine Legré-Mante, à la Madrague-de-Montredon a eu lieu cette semaine. Si le plan de dépollution a été validé par l'État, les habitants conservent des inquiétudes au sujet du programme immobilier qui doit suivre.
Usine Legré-Mante. La Madrague de Montredon. (Photo : Violette Artaud)
Et de trois. Ce mardi soir de septembre, plusieurs dizaines d’habitants de la Madrague-de-Montredon (8e) se pressent, pour la dernière fois, afin de prendre place dans le hall de leur mairie de secteur. Leurs mines préoccupées rappellent que ce qui les amène ici n’a rien de réjouissant. Face à des représentants de la municipalité, mais aussi de l’État et du fond d’investissement Ginkgo, ils s’apprêtent à évoquer à nouveau le plan de dépollution et le programme immobilier qui doit voir le jour dans leur quartier. Un projet qui doit, dans les prochains mois, prendre la place de l’historique friche industrielle Legré-Mante, un site hautement pollué. Inquiétudes et questionnements emplissent la salle.
“La somme d’experts réunis autour de ce projet est nécessaire. C’est du jamais vu”, tente d’apaiser un représentant du fond d’investissement spécialisé dans la valorisation de sites pollués. Sous les rumeurs de la salle méfiante, sa collègue déroule un diaporama sur le plan de dépollution, déjà présenté lors de la précédente session. Sauf que cette fois-ci, chaque diapositive comporte un petit extrait de texte vert qui dit, en substance, sensiblement la même chose : l’État a validé cette étape.
Tierce-expertise favorable
“La plateforme industrielle et le stock de résidus ne sont pas contributifs d’une pollution à l’extérieur, que ce soit via les eaux souterraines, les gaz des sols, les poussières…”, commence à lire la directrice technique environnementale de Ginkgo. En d’autres termes, la pollution présente sur le site industriel est restée sur le site industriel. Durant quatre ans, Marie-Odile Khiat et ses collaborateurs ont mené une étude des milieux, puis élaboré un plan de gestion et un plan de conception des travaux nécessaire pour mener à bien leur projet marseillais, parmi d’autres dans toute l’Europe. C’est ce dernier document, le PCT, qui a été analysé par les services de l’État, ou plus précisément par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), lors d’une tierce expertise réputée indépendante.
il convient de s’assurer de la bonne stabilité [du crassier] dès la phase de conception.
Extrait de la tierce-expertise du BRGM
Consultée par Marsactu, cette expertise se concentre sur trois points : les mesures globales de gestion, la stabilité géotechnique du crassier et sa couverture, ainsi que la pérennité de cet amoncellement de résidus de l’activité industrielle, que les habitués du bord de mer connaissent bien. Extraire la “pollution concentrée” (1000 m³ de terre), recouvrir la “pollution diffuse” (50 000 m³), avoir recours à la phytostabilisation (utilisation de plantes pour contenir la pollution), encapsuler le crassier… Globalement, le BRGM valide les calculs et les scénarios choisis par Ginkgo pour dépolluer le site. Il pointe cependant une question quant au crassier : “La stabilité semble effectivement acquise à court et long terme. Toutefois, il convient de s’assurer de la bonne stabilité de cet ouvrage dès la phase de conception”.
“Nous ne sommes pas contre le projet, nous ne le connaissons pas”
Forcément, le sujet fait débat dans la salle. “Une partie du crassier s’est déjà effondrée dans la mer cet été, après la publication de vos rapports. Je vous invite à venir voir, nous vous fournirons le masque !”, ironise une voisine. Une inquiétude à laquelle Patrick Couturier, chef de service de la Dreal (direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, un service de l’État) coupe court : “Le crassier sera stabilisé quand les travaux seront faits.” Réactions outrées dans le hall de la mairie.
“Nous ne sommes pas contre ce projet, lance Elisabeth Oliva, de l’association Santé Littoral Sud. Nous ne le connaissons pas ! Vous dites que tout va bien mais vous n’avez visiblement pas lu l’avis de la mission régionale d’autorité environnementale. J’invite tout le monde à le lire. Vous verrez que non, tout ne baigne pas !” Publié il y a quelques jours seulement, le rapport en question vise à évaluer la prise en compte des impacts du projet sur l’environnement. La Dreal, qui a mené ce travail, concède que le sujet de la pollution des sols a été largement étudié par Ginkgo. Mais elle pointe d’autres sujets pour lesquelles cela n’est pas du tout le cas.
Trafic routier et chauves-souris non pris en compte
L’analyse de l’évolution du trafic routier ne prend pas en compte le peu de transports en communs dans le quartier.
Les fonctionnaires s’étonnent ainsi que l’évaluation du trafic routier dans le quartier s’arrête à la mise en service du projet, sans se projeter à 20 ans et sans comparer avec l’hypothèse d’une absence de projet. Et le modèle utilisé est remis en cause : “Ces chiffres s’appuient sur une hypothèse de 51 % des déplacements en voiture pour le 8e arrondissement [qui] ne semble pas adaptée au quartier de La Madrague, excentré, éloigné des centres d’activités et qui n’est pas irrigué par les nombreux transports en commun dont bénéficie l’arrondissement pris dans son ensemble”. Du côté des mesures pour limiter l’encombrement des véhicules, baptisé “concept de mobilité global” par Ginkgo, l’avis souligne qu’elles dépendent beaucoup de la métropole (pistes cyclables, navettes maritimes…) et demandent dès lors que soit confirmée leur “faisabilité technique, administrative et financière”.
Outre ces lacunes sur la question du trafic routier, l’autorité pointe aussi l’absence d’étude sur “les impacts du projet (en particulier le crassier) sur le milieu marin.” À l’heure où le changement climatique est un enjeu de premier ordre, le rapport évoque aussi la non prise en compte “des exigences réglementaires de performance énergétique et environnementale applicables aux constructions et aux rénovations de bâtiments” et l’absence “d’estimation des émissions de gaz à effet de serre en phases de travaux et d’exploitation.”
La mission se penche enfin sur la biodiversité impactée par le projet. Elle fait remarquer que “les prospections naturalistes ne couvrent pas un cycle annuel complet, malgré une forte sensibilité écologique de l’aire d’étude”. Et s’inquiète que la situation des chiroptères, la famille de mammifères à laquelle appartiennent les chauves-souris, ne soit pas suffisamment étudiée.
“Il faut avancer”
“Comment pouvez-vous estimer le rapport bénéfices/risques alors même que tout un tas d’inconnues persistent ?”, s’inquiète, en fin de soirée, un médecin et habitant de la Madrague-de-Montredon, qui regrette lui aussi de ne pas en savoir plus sur le projet en lui-même. Celui-ci est vaguement présenté sur un site dédié. Il n’a été que très succinctement évoqué lors des réunions en mairie. Implanté sur une superficie d’environs 8,5 hectares, il doit comprendre 145 logements, une résidence seniors de 134 appartements, une résidence tourisme de 47 appartements, une crèche, ainsi que plusieurs commerces et services.
Les habitants attendent de savoir comment l’arrivée de plusieurs centaines de logements va impacter le quartier.
Comment seront gérées les questions de transport (trafic routier et transport en commun) ? De quels commerces s’agira-t-il ? Comment le réseau d’eau va-t-il être adapté ? Le nombre de logements restera-t-il aussi conséquent ? Autant de questions soulevées par les habitants qui pour l’heure, n’ont pas de réponses définitives. “Nous avons demandé le permis de construire, mais personne ne nous l’a fourni”, regrette encore Élisabeth Oliva. Le document a bien été déposé, mais il est toujours en cours d’instruction. “Il faut avancer”, lance de son côté Monique Touitou, présidente du CIQ de la Madrague de Montredon et impatiente de voir “cette verrue”, comme on nomme l’usine dans le quartier, disparaitre.
Le lancement du chantier ne pourra se faire qu’après enquête publique. Celle-ci doit débuter le 19 septembre et chacun pourra en profiter pour donner son avis jusqu’au 21 octobre. Les riverains auront aussi une carte à jouer dans le comité de vigilance. Proposé par la mairie et accepté par le promoteur, il sera composé de représentants d’associations, d’habitants, d’élus et du maître d’ouvrage. Ses membres devront pouvoir proposer des solutions sur les modalités de mise en œuvre ou de surveillance du projet, mais aussi alerter en cas de problème durant les travaux et informer la population de l’avancée du projet. “Un comité de vigilance, c’est très bien, mais le souci, c’est qu’il intervient souvent après coup”, redoute déjà Élisabeth Oliva. Ginkgo, lui, espère démarrer les premiers travaux de démolition dès 2023.
Mesure de la pollution dans le quartier : il faudra être patientLors de la première réunion en mairie pour évoquer de projet Ginkgo sur la friche de Legré-Mante, les premiers résultats d’une étude des sols entourant le site ont été fournis. Dépassant à certains endroits plus de 10 fois le seuil pour certains polluants, notamment le plomb, ces chiffres n’avaient rien de rassurant. L’Ademe, l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, s’était proposée pour poursuivre cette étude afin de procéder à une “levée de doute”. Elle estimait à 300 le nombre de jardins pouvant être analysés en plus des 75 parcelles déjà testées. En l’absence de la représentante de cette agence de l’État ce mardi soir, aucune nouvelle information n’a été fournie. Seule une diapositive y faisait mention. On y apprend que 90 particuliers ont sollicité l’Ademe, qui a également prélevé de la terre dans 14 lieux publics du secteur (stade, terrain de pétanque, parking…). Quant aux résultats, informe Christine Juste, adjointe au maire de Marseille en charge de l’environnement, ils ne seront pas disponibles avant 18 mois. Bien après le début des travaux.
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Personne mieux qu’une structure comme Gingko ne saura trouver le bon chemin (traduction : celui qui sera le plus rentable pour elle sans l’exposer juridiquement et sans en avoir rien à faire de l’environnement ou des habitants) pour faire aboutir ce projet.
C’est l’un des bâtons merdeux tendus par l’ancienne municipalité à la nouvelle, qui n’a pas su (vue la passivité du maire de secteur du 6/8 dans le 8è) s’en débarrasser. Ou pas voulu, car réaliser ce projet c’est “débarrasser” (au sens très politique du terme) la Ville de cet étron, et voir arriver logements et activités donc impôts.
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Une très grande différence de position à l”g
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Il me paraît nécessaire de rappeler que les actionnaires principaux de Gigko sont la Caisse des Dépôts et Consignations et la Banque européenne d’investissements. Ce ne sont pas Vinci, Bouygues et autres.
Il est faux d’écrire que la mairie des 6/8 n’a rien fait. En premier lieu, avec la mairie centrale, il a été demandé à Gingko de réduire le programme et d’y inclure des logements sociaux et une maison du Parc national.
Le projet présenté permettra de dépolluer le site, de détruire les bâtiments sans intérêt et de mettre en valeur les éléments patrimoniaux dont deux bastides et de belles façades industrielles témoins du passé du site.
Et cela permettra aussi de supprimer une verrue du quartier.
Et si on ne fait rien, la verrue subsistera
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Ce qu’il faut comprendre, car je le vis professionnellement au quotidien, c’est qu’une structure comme Gingko a pour objectif la règlementation, pas les attentes des citoyens. De plus, il ne faut pas en attendre ni la volonté ni la capacité à assumer des conséquences périphériques, en l’occurence la circulation.
Gingko dépolluera conformément à la règlementation, mais en ce sens seulement : ils ne vont pas “nettoyer” tout le site comme l’espèrent les riverains, car si c’était ce que la règlementation imposait, le coût serait incohérent avec une économie de marché qui intègre une rentabilité. L’objectif du projet n’est pas environnemental, il est économique.
Quant à la circulation, il sera dit “c’est à la Métropole de gérer”, entité qui n’est pas associée aux échanges actuels. Je ne dis pas que ça n’arrivera pas, je dis juste que MAMP fera l’aménagement pour l’accès au sens technique (le bateau du trottoir en somme), mais n’ira pas engager une démarche qualitative, surtout dans la mesure où ce projet n’aura aucun intérêt spécifique pour elle (politique comme financier).
Quant au fait que l’un des actionnaires principaux de Gingko soit la CDC, c’est malheureusement tout sauf une garantie de moralité : cf les programmes ANRU.
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Je m’étonne que dans ce comité de pilotage il n’y est pas de médecin spécialisé dans le domaine de la pollution et les risques sanitaires des métaux lourds .
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